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La guerre des mots
NOUVELLE ESCALADE FRANÇAISE CONTRE L'ALGERIE
Publié dans L'Expression le 24 - 04 - 2006

Deux personnalités françaises de premier plan, le président de l'Assemblée nationale et le ministre des Affaires étrangères, tirent à boulets rouges sur l'Algérie.
La France, par la voix de son président de l'Assemblée nationale, M.Jean-Louis Debré, et son ministre des Affaires étrangères, M.Douste-Blazy, a engagé officiellement une véritable escalade politico-médiatique contre l'Algérie, reprochant à son président, M.Abdelaziz Bouteflika, sa condamnation du fait colonial.
Les deux personnalités françaises se sont succédé hier pour critiquer les dernières positions exprimées par l'Algérie quant à sa vision sur la question de la mémoire.
Le président de l'Assemblée nationale française Jean-Louis Debré a qualifié dimanche d' «inutile agression» les propos du président algérien, Abdelaziz Bouteflika, sur le passé colonial français, ajoutant : «Ne parlons plus du passé, regardons l'avenir». «J'ai été agressé dans ma conscience de Français», a dit M.Debré au Grand jury RTL-Le Figaro-LCI, estimant que «ces déclarations ne font pas progresser la cause de la paix». «L'Histoire, chacun la jugera en son âme et conscience», a-t-il ajouté.
«On ne construit pas la paix en dénonçant les autres», a encore dit le président de l'Assemblée, avant de demander: «Est-ce que la France peut se passer d'une coopération avec l'Algérie? Est-ce que l'Algérie peut se passer d'une coopération avec la France
On a toujours su que les relations algéro-françaises ne peuvent, ne pouvaient, être des relations ordinaires frappées du sceau de la médiocrité. Mais... il y a eu aussi continûment le souci de savoir raison garder surtout lorsque l'on aborde des sujets ayant trait à la mémoire d'un pays -dont les plaies de la colonisation restent ouvertes- qui sans doute a souffert plus que d'autres des méfaits du colonialisme.
Dans un commentaire à la Radio-J (radio juive qui n'est pas connue pour être une partie pro-algérienne) Philippe Douste-Blazy a appelé le président Bouteflika à ne pas «galvauder» l'expression «génocide» indiquant: «Concernant le génocide, un mot qui a été employé récemment, des philosophes et des intellectuels nous ont appris, en particulier (l'écrivain italien) Primo Levi, qu'il ne faut jamais galvauder ce type de terme». Voilà une occasion historique qu'aura perdue M.Douste-Blazy de se taire d'autant plus que lors de sa visite à Alger (9 et 10 avril derniers) il avait eu l'occasion -lors de ses deux heures de tête-à-tête avec M.Bouteflika- de dire au chef de l'Etat les yeux dans les yeux de ne pas «galvauder» le mot génocide, que le président de la République a eu l'occasion d'employer en réaction à la loi du 23 février adoptée par le Parlement français.
Qui, le chef de la diplomatie française veut-il convaincre lorsque ses propos ont pour support une radio juive, laissant ainsi comprendre que la qualité de «sacrifiés» serait réservée à une catégorie d'êtres humains: les Juifs lesquels -avec dans leur sillage les Européens qui n'ont toujours pas réglé leurs comptes avec leur Histoire passée- brandissent l'Holocauste comme un étendard. Le génocide commis par les Européens -entre 1939 et 1945- contre les juifs aurait-il plus de «valeur» -si nous pouvons nous permettre cette supputation- et de droit de cité que le génocide commis par la colonisation française contre les Algériens?
Comme le terme génocide semble réservé aux seuls Arméniens, dixit les dictionnaires français qui ne rappellent pas d'autres génocides comme ceux des Amérindiens par les Américains.
Une lecture étriquée et à sens unique de l'histoire universelle récente et ancienne. Comparaison n'est pas raison certes, mais M.Douste-Blazy a été bien léger en estimant qu'il ne fallait pas «galvauder» un terme qui, selon lui, serait à usage particulier, d'autant plus que le maire de Toulouse qui estime que la France a fait oeuvre civilisatrice en Algérie- a été l'un des promoteurs de la loi scélérate du 23 février 2005 qui fait l'apologie de la colonisation. Maintenant ouvrons le Robert (dictionnaire français) au mot génocide et lisons «Génocide: destruction méthodique d'un groupe humain». C'est exactement ce qui s'est passé dans de nombreuses régions d'Algérie marquées par les emfumades du Dahra et du Zaccar, ouest algérien, à la fin des années trente du XIXe siècle, les massacres des Bibans (région de Bordj Bou Arréridj) lors des insurrections de Hadj El Haddad et de cheikh El Mokrani, (1870/1871/1872) les carnages dans les Aurès au début de XXe siècle qui ne pouvaient être qualifiés autrement que de génocide. Dans son ouvrage, «Algérie, nation et société» Mustapha Lacheraf estime à trois millions le nombre d'Algériens qui ont été tués lors de la colonisation de peuplement menée par la France dans notre pays, auxquels il faut ajouter le million et demi de chouhadas de la guerre de Libération, les massacres de Sétif et de Guelma.
Comment peut-on en effet faire aujourd'hui un devoir de mémoire -et partant apurer les relations entre les deux rives de la Méditerranée- comme en appelle M.Douste-Blazy, sans prendre en charge cette sombre époque de notre histoire commune, avec ce qu'elle a pu avoir de positif, sans doute, mais aussi et surtout ce qu'elle eut de négatif.
De notre point de vue il n'y a rien qui puisse plaider en juillet 1962 quant à la positivité de la colonisation française. Sur les neuf millions d'Algériens de l'époque de l'indépendance, peu d'entre eux ont eu accès à l'éducation française, il n'y avait pas d'université dans le pays, l'annexe universitaire d'Alger étant exclusivement réservée aux fils des colons. Combien d'hôpitaux la France a laissé derrière elle? de médecins algériens formés? Allons! Allons! M.Douste-Blazy, votre remarque sur l'appréciation qu'aurait eue le président de la République des «médecins français et des hôpitaux français» est déplacée, à tout le moins mesquine. Les Français apprécient bien le couscous algérien et ces bonnes choses que les «indigènes» ont su transmettre à ces gens «civilisés» qu'ont été les colons qui n'ont eu de cesse de remettre les «z'arbis» à la place qui, selon eux, leur convenait.
De fait, la sortie intempestive de Philippe Douste-Blazy ne s'explique pas, ou plutôt si, le maire de Toulouse qui fait sa campagne électorale sur les thèmes chers à Jean-Marie Le Pen surenchérit avec l'extrême droite française. Tout cela est bien triste et M.Douste-Blazy, qui a choisi de partir en guerre contre cette Algérie qui décidément l'empêche de dormir, n'est plus le bienvenu à Alger.


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