Bachir Djaider est poète, essayiste et dramaturge. Il écrit en français et en tamazight. Il est l'auteur de trois recueils de poésie, de plusieurs essais ainsi que d'une pièce de théâtre en langue tamazight qui vient d'être éditée. L'expression: Vous êtes économiste de formation, comment vous êtes-vous converti à l'écriture littéraire? Bachir Djaider:Cette transition s'est faite naturellement. J'ai de tout temps été attiré par la magie des mots, en sus, mon penchant pour la lecture m'a beaucoup aidé à pénétrer le monde de la littérature qui n'en finit pas de m'émerveiller. Au fil des pages, l'envie de franchir le palier de simple lecteur à auteur a grandi pour que je me retrouve, sans me forcer, à produire des oeuvres littéraires. En ayant poursuivi des études en économie à l'université, cela n'est nullement un obstacle pour plonger dans ce bel univers qu'est la littérature. D'ailleurs, au lycée, j'ai été en classe de sciences exactes où les chiffres primaient sur le verbe. Mais au final, l'amour du verbe a pris le dessus sur les calculs et autres fonctions. Quand on est happé par les mots, on n'en ressort pas. On en redemande davantage. Votre passage à l'université de Béjaia a-t-il été pour quelque chose dans votre parcours d'écrivain? Mon passage à l'université de Bgayet m'a propulsé à aller de l'avant, notamment dans mon amour grandissant pour la littérature. Ainsi, lorsque je préparais mon magister en économie, j'ai pu contribuer avec un groupe d'amis à éditer un journal bimensuel du collectif culturel «Imnayen». Bon nombre de lecteurs dudit journal ont apprécié mes écrits et m'ont encouragé à me lancer dans le monde de la presse. Durant des années, j'ai collaboré avec les quotidiens «El Watan», «La Dépêche de Kabylie», «La Cité», «Soummam News», «Mondafrique» ainsi que la presse électronique à l'image du Matin d'Algérie, L'initiative, Tamurt... Vous êtes essayiste, dramaturge et poète, pourquoi avoir opté pour une telle diversité des genres d'écriture? Etant de nature curieux, je ne me suis pas limité à un seul genre littéraire. De la poésie au théâtre, en passant par les essais, j'ai pu m'imprégner de ces divers univers qui, chacun avec ses spécificités et ses défis. C'est dire qu'avec les mots, des ponts se tissent entre tous ces genres que je parcours allégrement. Si certaines personnes voyagent d'un pays à un autre, moi je pérégrine d'un genre à un autre, de la poésie à la dramaturgie, des essais traitant de l'actualité... je n'ai nullement besoin de visa pour visiter ces contrées où le verbe est roi. À ma manière, j'essaie de faire le guide en faisant découvrir ces pays (genres littéraires) aux lecteurs. Pouvez-vous nous parler de votre tout nouveau livre «Akman d wurfan», qui vient d'être édité? «Akman d wurfan» est une pièce de théâtre en tamazight qui vient de paraitre aux éditions Bookelis (France). Cette pièce, je l'ai écrite durant le confinement. Etant un féru du quatrième art, je n'ai fait qu'assouvir mon envie de produire une pièce de théâtre, en sus, dans ma langue maternelle. En somme, j'ai pris comme thème, le sexisme et la phallocratie en ayant comme fil conducteur la COVID 19. La femme reste une éternelle mineure aux yeux de notre société patriarcale qui la toise d'un oeil méprisant. Pour s'affranchir de ces écueils et de toutes ces pensées ataviques, il est temps de rendre à la Femme ce qui appartient à la Femme. C'est dans cet esprit que je veux, à ma manière, dénoncer ces esprits obtus et rétrogrades en essayant de crever l'abcès. Yidir, un des personnages clés de «Akman d wurfan» incarne cette catégorie de «mâles» qui s'enorgueillit de son statut de maître de céans. Pur phallocrate, et loin d'être du genre pantouflard, Yidir se trouve contraint de se confiner à la maison des suites de l'apparition de la pandémie de la COVID 19. Ainsi, entre sa contamination imaginaire au coronavirus et l'oppression de se voir coincé entre les quatre murs, il se réfugie dans son éternelle opiniâtreté, en décidant à rendre la vie dure à sa femme, Taklit. Cette dernière décide de prendre le taureau par les cornes en ne se laissant pas étouffer par la furie de son mari. Entre réalité et traditions, entre confinement et colère, entre choix et fatalité, l'histoire mouvementée dudit couple est rythmée par une succession d'événements... Ce livre, contrairement à vos précédents ouvrages, est écrit en tamazight, pourquoi avoir changé de langue d'écriture? Ce nouveau livre est écrit en tamazight, car cela est une suite logique de mon engagement et mon combat pour la survie de mon identité. Chacun milite à sa manière. Moi, j'ai opté pour la plume pour mettre en lumière cette sublime langue qui n'a rien à envier aux autres. Nonobstant mon penchant pour la langue de Molière dans mes débuts en ma qualité d'auteur, il n'empêche que tamazight a besoin de ses fils avant tout pour redorer son blason. Et c'est par conviction et amour que j'ai produit ce dernier livre en kabyle, et forcément pas le dernier. Je trouve autant de plaisir à écrire avec la langue de Victor Hugo et celle de Mouloud Mammeri. Vous êtes d'abord et avant tout poète, puisque vous êtes l'auteur de nombreux recueils, comment est né votre amour pour la poésie, parlez-nous de votre univers poétique, de vos poètes préférés... La poésie est ce jardin de vers qui parfume mon quotidien. Cet amour indéfectible pour la prose s'est matérialisé par la production de trois recueils: «L'écume des rêves» paru aux éditions Tafat en 2013, «L'Arche des mots» éditions Edilivre, 2020, et «L'ivre poète», éditions du net, 2020. Ce qui m'attire le plus dans ce genre littéraire est cette capacité à exprimer une kyrielle de pensées en si peu de mots. Les vers sonnent comme des notes de musique avec une suavité qui dépasse l'entendement. Une ribambelle de poètes a fait naître en moi cette envie de sublimer les mots, entre autres Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Charles Baudelaires, Jacques Prévert, Louis Aragon, Tahar Djaout, Jean Amrouche... Puisque vous écrivez désormais en tamazight, pouvons-nous avoir votre point de vue sur la situation actuelle du livre en langue tamazight par rapport à il y a trente ans? La situation du livre en Tamazight a fait des pas de géant par rapport à celle d'avant, mais cela ne doit pas être un motif pour dormir sur ses lauriers, car beaucoup reste à faire. Cependant, même si la production littéraire en tamazight foisonne, il est temps de privilégier la qualité sur la quantité. Le lecteur n'est plus celui des années précédentes, car bon nombre d'entre eux ont accès à Tamazight dans les écoles. Il faut sortir des sentiers battus et laisser place à une production littéraire à la hauteur de ses semblables. Le chemin est long, mais prometteur au vu de cette nouvelle vague d'écrivains qui sublime cette langue vieille comme le monde. Pouvez-vous nous faire part de vos projets d'écriture? Une flopée de projets d'écriture est en cours. Je finalise un roman en langue française et des recueils de poésie dans cette même langue et en tamazight. Un autre essai, «L'équation algérienne» paraîtra prochainement dans une maison d'édition en France.