Les entrepreneurs des deux côtés de la mer finiront peut-être par s'entendre. L'économique et le sécuritaire seront-ils les locomotives du rapprochement algéro-français? On pourrait le penser à la vue de la visite du général Gaïd Salah en France, chef d'état-major, et du séjour de la délégation du mouvement des entrepreneurs français (Medef) à Alger. Deux autres événements, non moins importants sont venus témoigner de cette volonté de décrispation, après l'ouragan soulevé dans l'Hexagone par la déclaration du président de la République à l'université de Constantine. Il s'agit de la lettre de remerciements envoyée par le chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, quoique avec beaucoup de retard au président de la République, pour l'accueil chaleureux qu'il a reçu à Alger. Les médias ont voulu lire dans cette lettre, somme toute diplomatique, l'ouverture d'une nouvelle page, portant à la fois sur l'amélioration des procédures de délivrance de visas, et sur l'investissement français en Algérie. Sur l'amélioration du cadre des affaires et des opportunités économiques. L'autre fait notable, et qui se veut tout aussi symbolique, est l'annonce par Total de la découverte d'un gisement de gaz dans la région de Timimoun. Pour une entreprise qui a une présence d'une cinquantaine d'années en Algérie, le fait de faire coïncider cette annonce avec l'arrivée du Medef à Alger était une manière de se rappeler au bon souvenir de ceux qui considèrent que les hydrocarbures restent en Algérie le secteur le plus attractif, au moment où les cours du brut atteignent des sommets vertigineux. Pourtant, à la suite de la conférence animée par de Selguy, on est plutôt enclin à considérer que le fait de mettre les petits plats dans les grands ne suffit pas à entraîner un investissement massif et de qualité en Algérie, ni à dédouaner un déclin de la présence française, contrairement à ce qu'avait souhaité le président Jacques Chirac qui avait appelé à un partenariat d'exception entre les deux nations, boosté par la signature d'un traité d'amitié dans les plus brefs délais. De ce dernier point, on sait maintenant ce qu'il en est, et ce à quoi on peut s'en tenir, la loi du 23 février 2005 étant passée par là, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Et pourtant, la visite de Jacques Chirac en Algérie, l'accueil triomphal qu'il avait reçu de la part des enfants de Bab El Oued, les bains de foule qu'il affectionne et dont la population d' Alger n'a pas été avare ont laissé penser à une «France qui gagne», au sens où le général de Gaulle parlait d'une certaine «idée de la France». Certes, une bonne partie des travaux entre la délégation du Medef et celle du forum des chefs d'entreprise se sont déroulés à huis clos, et donc il est possible de croire que sans doute des contrats juteux ont été discutés ou sont sur la voie d'être finalisés, mais en économie comme dans l'élection du pape par les cardinaux, il n'y a pas de fumée sans feu. En l'occurrence, il n' y eut pas de fumée parce qu'il n'y avait pas eu de feu... de joie. «Paroles, paroles» disait Dalida à Alain Delon. C'est-à-dire des promesses. Rien de plus. En l'espèce, s'il n'y a pas d'investissement et si la France reste malgré tout le premier fournisseur de l'Algérie, c'est sans doute parce que l'Algérie, dans l'esprit même de l'accord d'association avec l'Union européenne, reposant essentiellement sur le démantèlement tarifaire, continue à n'être considérée que comme un simple débouché, le plan de consolidation de croissance de 80 milliards de dollars n'étant là que pour absorber les produits fabriqués outre-Méditerranée, et non point un aiguillon, pour doper la croissance tout en mettant en place des infrastructures de base. Par rapport donc à la France qui gagne, dans l'esprit même de Jacques Chirac, on assiste tout bonnement à une France qui se recroqueville sur elle-même et se réveille avec la gueule de bois des émeutes en banlieue. On en restera donc aux voeux pieux, tels ceux exprimés par Yves-Thibault de Silguy, qui avait affirmé à son arrivée à Alger que la rencontre entre le Medef et le FCE visait à encourager les entreprises françaises à être plus présentes et plus audacieuses sur le marché algérien. Les journalistes, qui ont couvert la rencontre en ont conclu, eux, à une frilosité à affronter le marché algérien, même s'il est vrai que l'environnement de l'entreprise reste assez difficile en Algérie, du fait du foncier, de la formation et de la privatisation. Le secteur bancaire reste celui où la formation souffre encore de la comparaison avec les autres pays. Le représentant de la Société Générale n'a-t-il pas relevé que sa banque emploie 7 expatriés français pour 450 employés algériens, contre seulement 12 expatriés pour 10 000 employés locaux en Tchécoslovaquie. Les Algériens pourraient rendre la politesse en disant qu'il appartient aux Français d'aider les Algériens à mieux former leurs cadres bancaires. Ce qui se concrétisera, nous dit-on, par une coopération entre la Société algérienne de formation bancaire (Safb) et le Centre français de formation bancaire. Les pesanteurs qui gênent encore l'essor des relations bilatérales algéro-françaises sont nombreuses, et ce ne sont pas les délégations à répétition qui y changeront quelque chose. Néanmoins, elles prouvent qu'Alger reste une destination privilégiée, et qu'à terme, en se connaissant mieux, les entrepreneurs des deux côtés de la mer finiront peut-être par s'entendre. Encore des promesses?