Quelques heures à peine après que les premières vagues de migrants eurent envahi l'enclave de Ceuta, l'Espagne approuvait une aide de 30 millions d'euros, soit 37 millions de dollars, au profit du Maroc, dans le cadre d'un encouragement sonnant et trébuchant de la police marocaine des frontières chargée de contenir la pression sur cette partie du flanc sud de l'Union européenne. Mais il apparut très vite que le royaume marocain, focalisé sur sa mainmise au Sahara occidental, n'hésite pas à utiliser la question migratoire pour faire pression sur l'Espagne afin qu'elle prenne son parti dans le conflit. Longtemps, le Makhzen a tiré un net profit, par cette politique, pour obtenir plus de transferts d'argent, en guise d'aide financière, agitant la menace perpétuelle d'un afflux de migrants illégaux qu'il ne parviendrait pas à canaliser, faute de moyens conséquents. Il aura fallu la récente crise pour que l'Espagne, d'abord, et l'Union européenne, ensuite, découvrent, effarés, jusqu'à quel point le royaume marocain est prêt à aller pour gagner non seulement des sommes conséquentes mais aussi imposer l'adhésion à ses thèses aventureuses sur la prétendue marocanité du Sahara occidental. Depuis que l'ancien président américain Donald Trump s'est fendu d'une «reconnaissance» unilatérale en échange de la normalisation par Rabat de ses relations avec l'Etat hébreu, le Maroc s'est donné des ailes, convaincu qu'il allait bénéficier d'une même impunité que son partenaire sioniste vis-à-vis de la communauté internationale. Mais il n'aura pas fallu attendre longtemps pour le voir déchanter. Tout d'abord, la réaction de l'Union européenne, apportant un soutien sans réserve à l'Espagne dont elle considère la frontière avec le Maroc comme une «frontière européenne» aura eu l'effet d'une douche froide, surtout que les dirigeants marocains à l'origine de la manoeuvre pensaient contrecarrer par ce biais la prochaine décision de la Cour de justice de l'UE (CJUE) relative à l'exploitation illégale des ressources du Sahara occidental, territoire en attente de décolonisation et ne relevant en aucune manière des frontières connues du royaume marocain. Autre gifle tout aussi retentissante, l'annonce par le Premier ministre marocain de manoeuvres de l'Africom en territoire sahraoui a été promptement, et de manière cinglante, démentie par les Etats-Unis, non pas une mais deux fois, comme si Washington a tenu à dissiper toute équivoque sur son respect de la légalité internationale et des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU. Un camouflet qui a eu l'effet d'un boomerang sur des autorités marocaines déjà sonnées par la réaction espagnole et européenne face au chantage des migrants que Rabat a transformés en monnaie d'échange sur un double plan financier et politique. En poussant plus de 12000 migrants dont de nombreux mineurs vers la ville de Ceuta qui compte 80 000 habitants, le royaume marocain a joué au pompier pyromane mais ses calculs sont tombés à l'eau avec la décision de l'UE de reconsidérer l'aide au contrôle strict de la frontière qui aura coûté, depuis 2007, quelque 13 milliards d'euros. Pendant ce temps, les dirigeants marocains qui ont tout fait pour aggraver la crise en tentant une exploitation mafieuse du séjour en Espagne du président de la RASD, Brahim Ghali, en fin de compte innocenté par la Cour suprême espagnole des accusations colportées par des agents du Makhzen, ont, depuis, sombré dans un silence éloquent.