Ce «phénomène» a pris de l'ampleur au cours de ces dernières années. La mère célibataire: aborder un tel sujet, ô combien mais cependant réel, dans une société traditionnelle, demeure une initiative très délicate, encore plus à Constantine qu'ailleurs. Surtout que l'on a constaté qu'aucune mesure en matière de prévention sociale n'existe. Dans notre enquête, on constatera également qu'aucune association ne tient compte de ce «phénomène» qui a pris de l'ampleur au cours de ces dernières années, sauf pour les mères ayant divorcé ou perdu le mari qui sont prises en charge. Les mères célibataires sont discrètement signalées au niveau de l'orphelinat, mais en vérité, aucune étude en matière de statistiques n'est établie. Elles sont seules, abandonnées, sans tendresse, sans aide et sans prise en charge. Qui sont donc ces femmes? Pourquoi errent-elles? Que deviennent leurs enfants? Des questions que seules trois femmes ont accepté de discuter sous couvert de l'anonymat et avec beaucoup de méfiance. Nora, c'est comme ça qu'on appellera notre premier témoin, est âgée aujourd'hui de 38 ans. Ayant perdu sa maman alors qu'elle avait à peine trois ans, elle sera prise en charge par l'une de ses tantes maternelles, après que son papa eut décidé de se remarier. Elle adoptera dès son jeune âge un comportement sauvage, en mettant un terme à sa scolarité. Encore naïve, la jeune fille sera l'objet sexuel de certains hommes, sans foi ni loi. Sans expérience, Nora tombera enceinte et sera chassée par le mari de sa tante, une fois son secret découvert. C'est dans la rue qu'elle va vivre. Le garçon qui avait abusé d'elle niera tout. Cependant, elle aura la chance, après plusieurs mois de souffrance, de rencontrer quelqu'un qui va l'aider jusqu'à son accouchement. Il n'était pas question pour elle d'effectuer un avortement. «On ne guérit pas le mal par le mal», dira-t-elle. Quelque temps après, elle mettra une petite fille au monde et décide de chercher un travail. Aujourd'hui, plus à l'aise, elle éduque toute seule son enfant, elle n'a plus de famille mais semble réussir. Ce n'est pas le cas de Fatiha qui, après avoir été reniée par sa famille, était contrainte d'abandonner son enfant qui sera placé dans une institution étatique. Elle ne sait pas à quoi ressemble son fils qui serait âgé aujourd'hui de cinq ans, alors qu'elle a à peine 24 ans. «J'ai été victime d'un abus sexuel, abandonnée par le père de mon enfant, je n'avais pas les moyens de me faire opérer. J'ai erré dans les rues, je ne suis pas d'ici, je viens d'Annaba. Je suis venue ici pour accoucher et je ne suis plus repartie. L'erreur est humaine, mais la société ne pardonne pas. Je regrette d'avoir fait confiance, je regrette ma famille mais je ne peux échapper au destin». Les larmes aux yeux, Fatiha a préféré se retirer. Un autre cas, une autre histoire aussi délicate que les deux autres. Naïma, elle, est fonctionnaire. A l'âge de 16 ans, son cousin, profitant de l'absence de sa famille, l'entraînera avec des promesses auxquelles elle cèdera. Mais ce ne fut que mensonges. Elle tombera enceinte et son compagnon niera tout. Cette victime sera, heureusement pour elle, prise en charge par sa tante dans une autre wilaya. Naïma cèdera sa fille à une famille adoptive. Au cours des premières années, elle lui rendait visite, mais elle rompra ce contact, par peur de sa famille qui ignore toujours les faits. Ce sont les seuls témoignages que nous avons pu obtenir grâce à des contacts particuliers. Surtout que la mère célibataire continue de susciter en Algérie des réactions négatives. C'est la raison peut-être qui pousse plusieurs femmes à commettre des infanticides. Au cours des sessions criminelles, la cour de Constantine traite jusqu'à cinq affaires de ce genre. Les accusées sont condamnées à des peines de 3 à 7 ans. Mais beaucoup d'entre ces femmes préfèrent continuer, en dépit des moyens dont elles pourraient disposer, d'élever seules leurs enfants parfois, pour ne pas dire souvent, dans des conditions défavorables, en faisant appel à l'aide de certains proches parents. Des psychologues et sociologues pensent qu'il est temps, en vue de prévenir efficacement ce phénomène, notamment pour ce qui est de l'abandon de l'enfant, de créer des institutions spécialisées qui pourraient apporter une aide matérielle et morale aux mères célibataires. L'une de nos interlocutrices souligne que personne n'est à l'abri de l'erreur. Au lieu de juger et condamner, il serait plus raisonnable d'adopter des mesures destinées à limiter les préjudices causés à l'enfant, dont le seul tort est d'être venu au monde de manière illégale, et de lutter contre l'infanticide et la mortalité sensiblement élevée chez les enfants illégitimes. Pourquoi ne pas créer, dira-t-elle, des maisons maternelles? On pourrait ajouter également que, selon une étude statistique établie par Roland-Ramzi Geadah, 11% des mères célibataires d'origine arabe et 7,5% africaine, s'exilent en France pour élever leurs enfants ; le taux est faiblement représenté mais reste important. Elles arrivent en France pour cacher leur grossesse et échapper à la poursuite familiale. D'autre part, on souligne également que 81,5% des mères célibataires ont moins de 26 ans dont 19% sont des mineures. Elles sont généralement issues de milieux aux conditions matérielles et sociales défavorables. D'autres «errent» sans attache familiale ou sociale, sans domicile fixe. Il y a celles aussi qui quittent le domicile familial à la suite de leur grossesse. En majorité, les mères célibataires ne travaillent pas et n'ont aucune ressource. Il est donc tout à fait évident que dans de telles conditions socio-affectives, les mères célibataires se retrouvent dans une situation périlleuse et sont attirées par le moindre geste de sympathie.