Dans une réponse cinglante et proportionnée aux propos du président français, le ministre des Affaires étrangères oppose au concept de «rente mémorielle» prononcé par Macron, celui de «faillite mémorielle». Le chef de la diplomatie algérienne qui s'exprimait à partir de Bamako a d'abord, pris le soin de rappeler quelques faits historiques sur le rôle joué par le Mali dans le soutien apporté à la révolution algérienne. Le front du Sud dont l'état-major était stationné à Gao a, en effet, permis à l'ALN de marquer les limites du territoire algérien à libérer du joug colonial. «L'indépendance de l'Algérie, qui était inévitable en 1960, après des années de lutte et de sacrifices», devait se faire «dans le respect de l'intégrité territoriale de notre pays», a précisé le ministre. Ce fait de l'Histoire relève de la mémoire. En plus d'être un pays africain, le Mali était une colonie française et partage donc avec l'Algérie la mémoire des crimes coloniaux. Le ministre le précisera d'ailleurs, avec brio en faisant endosser à la France, la responsabilité de décoloniser sa propre mémoire. Le propos est profond et renvoie à la cécité historique dont fait montre Paris dans le traitement des questions mémorielles. L'establishment français refuse de voir une réalité qui a déjà fait le tour du monde. Il n'est pas besoin de preuves supplémentaires pour qualifier la colonisation. N'est pire aveugle que celui qui ne veut voir. Ce furent des crimes contre l'humanité par milliers. Le refus de Macron d'admettre cette simple vérité le conduit, lui et tous les responsables français, à une situation de «faillite mémorielle qui pousse les relations de la France officielle avec certains de nos pays dans des situations de crise malencontreuses», rappelle Lamamra. Les propos du président français en sont la parfaite illustration. L'homme s'est égaré dans des considérations contraires à toute logique historique, juste pour éviter d'assumer le rôle néfaste de la colonisation française. En cela, le ministre des Affaires étrangères a mille fois raison, en soulignant la faillite des élites françaises, incapables de décoloniser leurs mémoires. Et pire que de rester otage d'une vision totalement fausse du rôle joué par les colons et leur armée, ces mêmes élites ont transmis cette cécité historique à leurs descendances. «Cette faillite mémorielle est malheureusement intergénérationnelle, chez un certain nombre d'acteurs de la vie politique française, parfois, aux niveaux les plus élevés», note Ramtane Lamamra. Le chef de la diplomatie algérienne propose un remède à ces héritiers malgré eux d'un fardeau fait de millions de vies massacrées par leurs aïeux. «Ils ont besoin de se libérer de certaines attitudes, comportements et visions», dira-t-il. En d'autres termes, les Français d'aujourd'hui doivent faire leur examen de conscience et dépasser la «logique incohérente, portée par la prétendue mission civilisatrice de l'Occident». Ce gros mensonge est colporté par des criminels contre l'humanité. Lepen, Salan et autres Massu, qui ont distillé dans la partie «utile» de l'intelligentsia française ces contrevérités historiques, sont les bourreaux de l'Histoire de France. Ils ont collé le hideux passé colonial aux grandes réalisations de leur République. Celle-ci a, certes, montré la voie à une partie de l'humanité. Elle eut ses philosophes, ses savants, ses écrivains, ses intellectuels. Mais elle eut aussi ses «salauds» qui ont inventé «les bienfaits civilisateurs» de la colonisation et l'ont fait entrer dans les crânes des dirigeants, pour couvrir leurs crimes abjects commis contre le peuple algérien et partant, jeter une «couverture idéologique (sur) le crime contre l'humanité qu'a été la colonisation de l'Algérie, du Mali et de tant de peuples africains», a relevé, très opportunément, le ministre des Affaires étrangères. Et le seul fait qu'un président de la République française tienne les propos qu'a tenus Macron, renseigne sur la tragédie mémorielle en France. Au lieu de solder, une bonne fois pour toutes, le côté sombre de son Histoire en remettant les fossoyeurs du passé à leur juste place, cette 6e ou 7e puissance mondiale s'enlise dans sa schizophrénie et veut avoir raison contre des milliards d'êtres humains. Ces derniers ne la jugent pas, mais lui demandent simplement de dire l'Histoire telle qu'elle s'est produite. Ces milliards de personnes, et parmi elles les 45 millions d'Algériens, n'en veulent pas aux Français, mais à cette poignée de «salauds» qui colonisent encore la mémoire des 65 millions de Français.