Chérif Hamani fait partie de la catégorie d'artistes accomplis. Très jeune et de manière précoce, Chérif Hamani a démontré qu'il était doué et capable d'enchanter ses mélomanes grâce à ses compositions musicales de haut niveau, mais aussi à ses textes poétiques qui mêlent tradition kabyle et lexique amazigh des plus riches et diversifiés. Chérif Hamani est donc un poète et compositeur de musique parmi les meilleurs de Kabylie. Il est l'auteur-interprète de chansons mythiques comme «A Tala» ou encore: «Intas i yemmas», «Ur daseqqar djighkem», etc. Chérif Hamani appartient à une région qui a enfanté de nombreux géants de la chanson, mais aussi des écrivaines et des écrivains: Ath Douala, terre des romanciers Mouloud Feraoun, Fadhma Ath Mansour Amrouche et Rachid Alliche, mais aussi de Matoub Lounès, Zedek Mouloud, Malika Domrane, Samy El Djazaïri... Ceci, sans compter les centaines de chanteurs que comptent les différents villages d'Ath Douala et qui sont plus ou moins connus. Cherif Hamani a peut-être été privilégié par cette chance d'être né et d'avoir grandi dans une région où chaque village possédait un ou plusieurs artistes qui abreuvaient les citoyens de leurs mélodies et de leurs textes tout au long de l'été à l'occasion des différentes fêtes de mariages et de circoncisions. Mais ce n'est pas tout, car Chérif Hamani était pourvu des facultés innées et indispensables que doit détenir tout artiste voulant conquérir une place de choix dans le milieu artistique. C'est dans le village Tagragra, typiquement traditionnel, qu'est né Chérif Hamani, l'un des meilleurs chanteurs kabyles, et ce, en 1956, la même année que son ami, le regretté Matoub Lounès. Il est très jeune quand il commence à gratter sa guitare devant des amis qui restaient admiratifs devant tant de talent. Chérif Hamani est réputé pour être un virtuose exceptionnel du mandole. À l'époque, tout artiste qui aspirait à aller très loin dans sa carrière devait subir une sorte d'examen. C'était le passage obligé dans l'émission mythique intitulée Les chanteurs de demain (Ighenayen n uzekka) que diffusait la radio algérienne d'expression kabyle d'Alger (chaine II). Chérif Hamani s'y rend en 1974. À l'époque, cette émission était animée par le célèbre poète Mohamed Benhanafi et Idir Acherouf. Mais avant cela, Cherif Hammani avait fréquenté le conservatoire d'Alger car il accordait une importance prioritaire à la musique au moment où la chanson kabyle de manière générale était plutôt encline à accorder plus d'intérêt aux textes, le maître Slimane Azem ayant été, pendant très longtemps, une école et ayant tracé en quelque sorte le chemin à suivre par les nouvelles générations. L'universitaire Hacène Hirèche, dans sa biographie de Chérif Hamani le décrit parfaitement: «Chérif Hamani puise dans l'esthétique traditionnelle, et ses inflexions de voix nous font entrer dans une poésie née des profondeurs multiples. Il nous fait partager des bonheurs d'expressions multiples dans une langue maternelle qu'il maîtrise à la perfection et des mélodies qui pénètrent tous nos sens». Hacène Hirèche rappelle que dans la relation qui unit Chérif Hamani à la société, à la nature et à lui-même, on décèle la conduite originelle de sa création: l'humilité, l'écoute, valeurs fondamentales de la société kabyle: «Ses poèmes, il les lie comme des gerbes de fleurs dans une cohérence exemplaire». Donc, sur le plan musical, Chérif Hamani est artiste exceptionnel ayant réussi à marier harmonieusement le folklore kabyle au chaâbi algérois pour engendrer des mélodies suaves que le mélomane écoute avec un bonheur évident, voire avec une extase à chaque fois renouvelée. Chérif Hamani est aussi un poète dont le verbe est d'une richesse impressionnante. Chérif Hamani puise, non pas dans les néologismes, mais dans le kabyle ancien et il fait découvrir à chaque fois des mots et des expressions qui étaient presque en voie de disparition. Il ressuscite ces dernières à sa manière en les immortalisant de fait. Il a abordé depuis le début de sa carrière, une infinité de thèmes dont l'amour. Mais aussi l'amitié, la déchéance, la rupture, la nostalgie, la vie... Le chercheur Hacène Hirèche écrit à ce propos: «Chérif Hamani chante l'amour inconsolable, aspire à l'idéal comme il rêve à l'être perdu: la mère (yemma), Matoub Lounès auquel il rend un hommage appuyé (amek), tous deux disparus et auprès desquels il va chercher à exhumer un sens enseveli susceptible d'aiguillonner la cité (taddart) accablée par des tragédies effroyables et ininterrompues». Par son témoignage, sa modestie, sa grande culture ancestrale, Chérif Hamani est le témoin privilégié qui dénonce l'imposture, la concussion, le crime organisé et collectif, estime Hacène Hirèche en ajoutant que c'est du fond de cet abîme qu'il lance son cri pour en appeler à la conscience de chacun et de tous, seul sursaut possible pour détourner l'Algérie du gouffre. Chaque grand artiste a une chanson phare, une sorte de locomotive à laquelle ses fans l'identifient à l'unanimité. Dans le cas de Chérif Hamani, il s'agit de sa chanson intitulée «A tala» (Oh fontaine). Cette dernière est une merveille sur le plan musical. Elle l'est aussi du point de vue poétique. Car, Cherif Hamani en se servant de la fontaine, lieu mythique dans la société kabyle, emmène le mélomane dans une succession de réminiscences qui ne peuvent que remuer les âmes sensibles. Dans ce texte, Chérif Hamani chante et regrette les temps anciens, ceux de l'enfance et de la jeunesse. Les époques nostalgiques qui sont parties tellement vite à tel point que l'on finit par se demander s'il s'agit vraiment de temps vécus ou plutôt s'ils n'étaient que des instantanés évanescents, imaginaires et rêvés.