Le livre consacré au massacre du 17 octobre 2021, intitulé «Ici, on noya les Algériens» de l'auteur Fabrice Riceputi sort en Algérie. Cet ouvrage est composé de plusieurs parties où on peut lire, également, un texte de Edwy Plenel intitulé «Une passion décoloniale» ainsi qu'une préface de Gilles Manceron. L'initiative de publier ce livre en Algérie revient aux éditions Média-Plus de Constantine. Pour rappel, cet ouvrage de 288 pages a été publié en France le mois de septembre dernier, aux éditions Le Passager Clandestin de Paris. Dans la partie Une passion décoloniale, signée Edwy Plenel, ce dernier témoigne: «Chaque fois que je franchis la Seine à cet endroit de Paris, que dominent la préfecture de police et le vieux Palais de justice, j'improvise cette rengaine, dérivée du vers qui ouvre Le pont Mirabeau, le célèbre poème de Guillaume Apollinaire. Apposée sur l'un des parapets, une plaque discrète témoigne, désormais, de cette tragédie, moins visible que les grandes lettres noires peintes à l'époque par des militants solidaires de la cause anticolonialiste algérienne, dont une photographie anonyme garde le souvenir: Ici on noie les Algériens.». Hommage à ceux qui ont parlé Le coauteur rappelle que la date du 17 octobre 1961 fait partie de notre histoire, et nous devons la regarder en face: c'est à Paris qu'une manifestation pacifique de travailleurs alors français - «Français musulmans d'Algérie», selon la dénomination officielle -, venus protester avec leurs familles contre le couvre-feu raciste qui les visait, eux et eux seuls, fut sauvagement réprimée par la police de la capitale, sur ordre de son chef, le préfet Maurice Papon. «Une Saint-Barthélemy coloniale dont les historiens évaluent aujourd'hui les victimes à près de trois cents morts, sans compter de nombreux blessés et des milliers d'interpellés, souvent expulsés vers des camps d'internement en Algérie», rappelle encore Plenel. Ce dernier cite alors un poème de Kateb Yacine écrit au lendemain de ce massacre: Peuple français, tu as tout vu / Oui, tout vu de tes propres yeux / Tu as vu notre sang couler/ Tu as vu la police. Assommer les manifestants/ Et les jeter dans la Seine/ La Seine rougissante/ N'a pas cessé les jours suivants/ De vomir à la face / Du peuple de la Commune/ Ces corps martyrisés / Qui rappelaient aux Parisiens / Leurs propres révolutions/ Leur propre résistance/ Peuple français, tu as tout vu / Oui, tout vu de tes propres yeux/ Et maintenant vas-tu parler? / Et maintenant vas-tu te taire? Le livre de Fabrice Riceputi se veut un hommage à celles et ceux, historiens et militants, qui ne se sont pas tus et qui ont choisi de parler. Et de parler clair et franc «car dans cette longue bataille mémorielle qui se poursuit encore, il ne s'agit pas seulement d'entendre l'appel à la vérité de l'histoire, mais d'être au rendez-vous, aujourd'hui même, d'un passé plein d'à-présent». Connaissance d'un épisode important de notre histoire Dans sa préface, Gilles Manceron souligne que cet ouvrage rend justice à un auteur qui ne revendiquait pas le titre d'historien, mais dont la contribution a, pourtant, été essentielle à la connaissance d'un épisode important de notre histoire contemporaine: «En effet, c'est grâce à l'enquête solitaire et assidue conduite par cet éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse qu'a pu être connu ce crime d'Etat longtemps occulté que fut la répression massive perpétrée par la police à l'automne 1961 contre les travailleurs algériens de la région parisienne». Il y est également indiqué que Fabrice Riceputi nous rappelle dans ce livre que, par son obstination de militant de la vérité, Jean-Luc Einaudi apparaît, pour reprendre les mots de Mohammed Harbi, comme un «héros moral». Le livre qu'il a publié en 1991, «La bataille de Paris. 17 octobre 1961», a été la première description précise de cet événement, objet pendant trente ans d'une dissimulation systématique de la part des autorités françaises, sans que l'alternance politique de 1981 change profondément les choses, lit-on dans la même préface. «Il résultait d'un travail à l'écart d'une Université française pour laquelle, en écho à cette dissimulation officielle, cet épisode restait un angle mort de son enseignement comme de sa recherche. Son travail d'autodidacte a fait montre, cependant, d'une extrême minutie et d'une grande probité intellectuelle, selon les mots qu'a employés le grand historien Pierre Vidal-Naquet lorsqu'il a accepté de préfacer, en 1986, le premier livre de cet inconnu», ajoute-t-on dans le texte de la préface. La répression est une violence inouïe Même si une telle occultation ne pouvait réussir à terme, vis-à-vis d'un événement qui, comme l'ont écrit les deux historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster, a été la répression la plus meurtrière d'une manifestation pacifique de toute l'histoire contemporaine de l'Europe occidentale, conclut Gilles Manceron. Que s'est-il passé en détail en cette journée tragique? Ce livre y répond: Paris, 17 octobre 1961, 20 h 30. À cinq mois de la fin de la guerre d'Algérie, des dizaines de milliers d'Algériens, hommes, femmes et enfants, manifestent pacifiquement contre le couvre-feu qui leur est imposé par le préfet de police Maurice Papon. La répression est d'une violence inouïe: onze mille personnes sont raflées, brutalisées et détenues dans des camps improvisés. Plus d'une centaine sont «noyées par balles» dans la Seine. Pourtant, le lendemain, les rapports officiels ne font état que de deux morts. «Face à ce mensonge d'Etat, un simple citoyen se fait chercheur. Il s'appelle Jean-Luc Einaudi. Pendant trente ans, ce héros moral surmonte les obstacles - omerta, archives verrouillées, procès... -pour faire connaître et reconnaître le crime d'Etat. C'est cette bataille intellectuelle, judiciaire et politique que retrace Fabrice Riceputi dans un récit documenté et passionnant», précise pour sa part l'éditeur du livre. Il faut noter enfin que Fabrice Riceputi est un historien et enseignant. Il anime les sites histoirecoloniale.net et 1000autres.org, consacrés à l'actualité des questions coloniales et postcoloniales et à la guerre d'indépendance algérienne. Pour sa part, Edwy Plenel est journaliste et cofondateur de Mediapart.