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Kheïreddine, un Algérien d'adoption
AU NOM DU PASSE
Publié dans L'Expression le 25 - 05 - 2006

Les exploits des marins algériens qui dictaient leur loi en mer à cette époque suscitaient la crainte de toutes les nations chrétiennes qui n'avaient de cesse que d'abattre l'Etat algérien.
L'Algérie et la Turquie ont conclu le 23 mai 2006 un traité d'amitié et de coopération, à la faveur de la visite de deux jours du Premier ministre turc, M.Recep Tayyip Erdogan, en Algérie. Le traité signé prévoit le développement du dialogue dans les domaines politique, économique et culturel. Les deux pays s'engagent également à promouvoir la coopération économique, notamment dans le domaine de la petite et moyenne entreprise (PME), et à institutionnaliser une réunion annuelle de «haut niveau» entre les chefs de gouvernement des deux pays
A cette occasion, M.Erdogan a souligné que l'Algérie «a connu depuis 1999 un processus de transformation très sérieux illustré par des paramètres économiques favorables». L'Algérie, a-t-il ajouté, «a lancé un programme ambitieux pour la construction d'un million de logements. Nos promoteurs suivent cela de très près et notre expérience dans ce domaine peut être transférée en Algérie». Pour M.Erdogan, la construction de barrages, de routes interurbaines, et la distribution de l'eau sont, entre autres, des domaines où la Turquie a enregistré une «évolution remarquable», soulignant que l'Algérie est le «premier partenaire» de la Turquie en Afrique, et relevant la similitude des programmes engagés dans les deux pays. M.Erdogan n'a pas manqué de souligner la «nécessité» d'intensifier les échanges de visites des hauts responsables des deux pays. Il faut noter que les échanges commerciaux entre l'Algérie et la Turquie ont atteint, en 2005, 2,5 milliards de dollars alors qu'ils étaient de 120 millions de dollars en 1992, année de l'installation du Conseil d'affaires algéro-turc. Les exportations algériennes vers la Turquie ont atteint en 2005, 1,5 milliard de dollars tandis que ses importations de ce pays se sont élevées à 800 millions de dollars.
Voilà pour l'économie. Qu'est-il de l'histoire? de la mémoire de la recherche de l'identité de ce peuple algérien qui peine à se redéployer du fait d'une méconnaissance de son passé. Peut-on effacer trois siècles de présence turque avec ses bonnes et ses mauvaises traces laissées dans notre pays?
Les frères Barberousse
La royauté -sur la région de l'Algérie centrale- préexistait à l'arrivée des Turcs en Algérie. Le roi d´Alger (Royaume d´Alger), par le "recrutement des frères Barberousse", a bel et bien fait appel aux Turcs pour aider à contenir les agressions des marines espagnole (Charles Quint) et français...Avec la chute de Grenade, 1492, l´Espagne poursuivra les fugitifs mauresques qui viendront s´implanter dans les villes côtières, Oran, Mostaganem, Ténès, Cherchell, Alger, Béjaïa, Jijel, et de l´intérieur comme Tlemcen, Miliana et Médéa.
Entre 1505-1510, l´Espagne occupera ou dominera toutes les villes côtières de l´Ouest et du Centre, jusqu´à Béjaïa. Oran sera, en fait, ville espagnole, puisque conquise par le cardinal Ximénès, grand criminel, responsable du massacre de plus d´un million de "morisques" ; Rodrigo de Zayas en parle dans son livre Les Morisques et le racisme d´Etat.
En 1512, la population de Béjaïa fera appel aux frères Aroudj. Ce dernier par un coup de génie accepta d'être suzerain de la «Porte» en échange d'une assistance militaire de celle-ci. Ainsi, près de 2 000 janissaires ont été mis à la disposition des frères Barberousse. Les villes et les ports algériens furent libérés les uns après les autres. Baba Arouj se proclama roi d'Alger après avoir assassiné -dit-on- Selim Ettoumi le roi légitime. Il sera remplacé après avoir été tué par les Espagnols à 80 km de Tlemcen, par son frère Kheïreddine, qui organisa la résistance algérienne. Ce dernier fit alors appel au Sultan ottoman, qui le nomma "BeylerBey" d´Afrique, et lui fournit une aide matérielle et militaire de quelque 6000 hommes et des canons. L'Algérie de l'an 2000 devrait, de notre point de vue, reconnaître une place de choix au fondateur de l'Etat algérien moderne ; on ne compte pas le nombre d'attaques repoussées contre le Maroc et la Tunisie, en ce qui concerne la délimitation des frontières. Leon l'Africain (Ibn El Wouazzan), raconte que Kheirredine acheta sur ses propres deniers près de 3000 ouvrages à Sativa en Espagne pour constituer le fonds de la bibliothèque de l'université de Constantine qu'il a créée. Kheireddine infligera une sévère défaite aux Espagnols, sous les murs d´Alger, et peut dès lors en attaquant le penon d´Alger. Après avoir battu les Espagnols, Kheïreddine imposera sa suprématie en Méditerranée ave ses galères.
Il eut à signer des traités d'amitié avec François 1er roi de France et ensuite avec Charles Quint après la débâcle de l'invincible armada en octobre 1541 à El Harrach.
L´Algérie était constituée depuis 1515, en Etat souverain qui avait ses ambassadeurs propres et disposait depuis lors, d´une administration organisée, de limites territoriales bien définies, d´une armée régulière, et d´une flotte maritime importante, considérée comme la plus puissante de la Méditerranée centrale. La Régence d´Alger, nom donné à cet Etat, s´était placée selon Charles André Julien sous l´autorité spirituelle du Sultan - Khalifat de l'Islam-, et ce, pendant trois siècles jusqu'à l´arrivée des Français.
L´Algérie devint ainsi entre 1518 et 1671, une régence ottomane. Les Turcs n´auront qu´une présence informelle sur une grande partie du territoire, notamment en Kabylie, territoire constamment en dissidence et qui ne voulait pas payer d'impôts. L´Algérie se constituera à partir de cette date, en quatre provinces autonomes.
Dey d´Alger, le beylicat du Titteri avec Médéa, le Beylicat d´Oran et le Beylicat de Constantine, lesquels Beylicats seront à leur tour divisés en caïdat et Cheïkhat.
Les exploits des marins algériens qui dictaient leurs lois en mer à cette époque suscitaient la crainte de toutes les nations chrétiennes qui n'avaient de cesse que d'abattre l'Etat algérien. Aucun navire ne pouvait passer au large des côtes algériennes sans qu'il n'ait payé le droit de passage.
Les navires qui refusaient de payer étaient directement remorqués au port d´Alger. Les marchandises que transportaient ces navires au statut diplomatique non reconnu étaient ainsi vendues à Alger.
Ces marins se sont même aventurés loin des côtes algériennes, malgré le handicap de leurs embarcations. Ils sont même parvenus à remonter l´Atlantique et atteindre les ports sud de la Grande-Bretagne. Parmi les exploits d´antan, on peut citer une attaque au large de Boston, l´occupation pendant plus de 50 années d´un village britannique, la destruction d´une flotte portugaise à Lisbonne par les marins algériens qui l'ont surprise en remontant le fleuve qui mène à la ville, et pas mal d´autres actions incroyables.
Une puissance militaire
En 1637, la ville irlandaise sous contrôle britannique de Baltimore est prise suite à un débarquement de la marine algérienne: 117 prisonniers capturés et revendus à Alger. En 1649, le parlement britannique réussit à engager des négociations pour leur libération, mais seuls 2 choisirent de rentrer au pays.
Les autres avaient commencé une nouvelle vie, s´étaient convertis et choisirent de rester à Alger. Avant cette attaque, une autre attaque en 1631 sur la même ville de Baltimore s´était produite. Le célèbre poète irlandais Thomas Davis écrivit en 1844 -deux siècles plus tard- une ballade qui relate l´épisode de 1631 qui précéda celui de 1637. Le raid algérien sur Baltimore marqua la mémoire de la ville.: «...The summer sun is falling soft on Carbery´s hundred isles. -The yell of "Allah" breaks above the prayer, and shriek, and roar, Oh! Blessed God! The Algerine is Lord of Baltimore. The yell of "Allah" breaks above the prayer, and shriek, and roar, Oh! Blessed God! The Algerine is Lord of Baltimore...-».
Les USA à leur indépendance payaient plus de la moitié de leur budget à la Régence d´Alger pour sauvegarder le passage de leurs navires en Méditerranée. Les Algériens avaient refusé d´être payés en dollars et demandèrent à être réglés en canons et en or.
Le Sénat fut si excédé par cette situation qu´il vota des fonds pour faire construire 6 navires de guerre et les envoyer se battre contre les Algériens plutôt que de continuer à payer. Ainsi, le premier navire de guerre américain le USS Constitution fut construit pour combattre et protéger les navires US en Méditerranée. Surnommé Old Ironsides est le seul navire parmi les 6 qui est encore conservé.
En 1827, la Royal Navy Britannique, la Marine de guerre française et la Marine impériale russe décidérent d´attaquer l´Empire ottoman, de libérer la Grèce et de continuer leur chemin ensuite pour prendre Istambul.
Les Algériens envoyèrent tout ce qu´il restait comme forces navales algériennes après des années de blocus et de combat. Les Algériens ont perdu 90% de leur flotte dans cette bataille de la baie de Navarin. Avec la disparition de la flotte algérienne disparate, les Français allaient débarquer en Algérie pour conquérir notre pays...
Bien plus tard, au début du XXe siècle, la Turquie nous refascine de nouveau et sur le modèle des «Jeunes Turcs», les nationalistes algériens créent le mouvement des «Jeunes Algériens». Il en fut de même en Tunisie où la fascination de Bourguiba était telle qu'il copia le drapeau, et...la laïcité de Mustapha Kémal. Parlant de la fascination exercée par le père de la Turquie moderne, Nahas M.Mahieddine écrit: «La pensée politique de Mustafa Kemal Atatürk et le Mouvement national algérien». «L´appartenance de l´Algérie à l´Empire ottoman pendant plus de trois siècles crée un sentiment complexe vis-à-vis des Turcs, sentiment difficile à qualifier en raison des circonstances qui ont amené ces derniers dans ce pays et de l´évolution de la politique des autorités de la Régence envers la population locale. Néanmoins, l´invasion coloniale favorise la formation d´une image du pouvoir turc passé et de l´Etat turc du début du XXe siècle au niveau de l´imaginaire collectif des Algériens où se mêlent à la fois la réalité et le fantasme. Cette attitude psychologique traduit en fait l´idée consciente ou inconsciente de privilégier l´appartenance communautaire pour mieux se singulariser politiquement et culturellement par rapport au pouvoir colonial français». «Lorsque le réalisme et l´évolution de la situation du pays ainsi que celle des idées mènent les Algériens à la construction d´un mouvement national qui définit l´algérianité à partir d´un discours politique rationnel, tout en menant une action culturelle et sociale préparant la société à se libérer du pouvoir colonial, l´élite et les dirigeants qui prônent cette libération continuent néanmoins de regarder vers ceux qu´ils ressentent comme étant les plus proches non seulement d´un point de vue sociologique ou culturel mais aussi politiquement, notamment lorsque l´action politique est l´expression d´un nationalisme mené contre ceux qui s´évertuent à le nier. C´est dans cette perspective et en ce sens qu´on peut observer chez les principaux leaders algériens, au moins pendant un moment, sinon une admiration pour Mustafa Kemal Atatürk, du moins un exemple dont certains aspects méritent un regard particulier». (1).
Voilà pour la partie visible de notre histoire commune avec les Turcs. Si on est en droit de demander à la France de nous restituer notre mémoire, on ne comprendrait pas que la même démarche ne soit pas faite en direction de la Turquie continuatrice de l'Empire ottoman et de la «Sublime Porte». Nous avons plus de trois siècles d'histoire commune qui demandent à être connus.
Nous ne pouvons pas effacer, d'un trait de plume, toute notre acculturation avec la culture de ce grand peuple dont la première dynastie due à Osman 1er daterait de la fin du XIIIe siècle. Nous avons encore, et c'est une chance, de grandes familles d'origine turque qui ont su garder cette mémoire par-delà les vicissitudes de l'histoire.
Il aurait peut être été souhaitable de mettre en place à côté de «l'économique» qui a constitué l'essentiel des discussions, un autre volet non moins important, celui de la mise en place de chantier pour l'écriture d'une histoire commune de plus de 3 siècles, de sa restitution au plan documentaire au moins en photocopie avec l'apport des merveilleuses opportunités des technologies audiovisuelles.
Il aurait été souhaitable aussi de faire preuve d'imagination pour mettre en place une université commune de tous les savoirs pas forcément avec une installation physique mais plutot utilisant, là aussi, tous les trésors de l'Internet.
C'est dire que tout est possible avec l'imagination sous-tendue par une volonté commune de créer une nouvelle page de notre histoire. Le patrimoine immatériel est pérenne et j'en suis convaincu, la vraie richesse de nos deux nations est le vrai socle de nos relations futures.


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