La région saharo-sahélienne est-elle en train d'entrer subitement dans une zone de turbulences? Le «Grand Sud tranquille» est-il en train de subir les contrecoups d'une politique de folklore qui a trop duré, ou est-il entré, au contraire, dans une zone de turbulences prévisible? Même si à Kidal, au nord du Mali ( là-même où le Gspc avait conduit les otages européens en 2003), on constatait, hier, que les rebelles avaient quitté les places et les casernes qu'ils occupaient -en emportant avec eux armes et vivres en grande quantité, selon les témoins. On susurre avec appréhension que le cycle des soulèvements peut avoir bel et bien commencé. Des rebelles touaregs ont occupé, mardi, deux camps militaires à Kidal, dans le nord-est du Mali, apprenait-on de sources militaires. Les assaillants, qui seraient commandés par un ancien officier déserteur de l'Armée nationale, ont usé de camionnettes armées de mitrailleuses pour lancer l'assaut contre les camps situés dans la périphérie de la ville de Kidal qui se trouve au pied du massif de l'Adrar des Ifoghas, aux confins de l'Algérie et du Niger. Kidal est au coeur du nord désertique du Mali, où des nomades touaregs s'étaient soulevés au début des années 1990 en affirmant être négligés et marginalisés par le pouvoir central. Les deux parties ont fini par faire une paix, prévoyant notamment une intégration de combattants rebelles au sein de l'Armée, mais sans faire taire totalement une agitation sporadique. Pour les spécialistes de la question, la révolte touarègue n'est pas totalement annihilée et est restée en sommeil dans ce pays sahélien enclavé qui est l'un des plus déshérités de la planète malgré son coton. Selon une source militaire, les assaillants seraient des partisans du lieutenant-colonel Hassan Fagaga, un ancien officier et rebelle touareg qui a déserté avec un groupe d'hommes en février. «Il s'agit de partisans de Fagaga, de déserteurs», dit-on à Kidal. L'objectif des assaillants consiste, selon une source malienne, à former «un front uni», à la suite de rumeurs persistantes selon lesquelles l'armée malienne s'apprêterait à reprendre le contrôle de la ville de Kidal. Toutefois, la tension s'est quelque peu atténuée ces dernières 24 heures. En effet, les ex-rebelles touaregs qui ont attaqué mardi des camps militaires du nord-est malien, ont indiqué hier qu'ils souhaitaient «négocier» avec le gouvernement central de Bamako pour le développement des régions septentrionales du pays. Les Touaregs maliens, qui, selon des chiffres officiels, représentent environ 6% de la population, soit 400.000 personnes, vivent essentiellement dans les régions sahéliennes du nord du pays de Tombouctou, Gao et Kidal. Un «porte-parole» des rebelles, qui s'est présenté sous le nom d'«Ahmed» a précisé qu'il parlait au nom d'Hassan Fagaga, qui, a-t-il dit, «dirige le mouvement». Cette péripétie rappelle une autre qui s'est déroulée, il y a une année, et qui avait consisté en l'attaque sanglante contre une caserne militaire à Lemgheity, au nord de la Mauritanie. Nouakchott, alors, à la veille d'un putsch militaire qui va destituer le président mauritanien, Mouaouya Ould Sid Ahmed Taya au profit du colonel Ely Ould Mohamed Vall, parlera abusivement de 150 hommes armés du Groupe salafite pour la prédication et le combat qui auraient perpétré l'attentat. Il y a quelques semaines, le président libyen Kadhafi avait appelé les Touareg de la région saharo-sahélienne à se constituer dans une seule et unique Fédération qui prendrait en charge leurs soucis, démarche alambiquée s'il en est, et qui a été interprétée par plusieurs capitales de la région comme un appel à l'insurrection. En guise de réponse politique à ces zones de turbulences, créées par toutes sortes de contrebandiers locaux, cigarettiers de grands chemins, commerçants d'armes, touareg séparatistes et islamistes séditieux, nous avions bel et bien eu droit à un «verrouillage sécuritaire global». Relevons, néanmoins, le fait -une coïncidence?- que le retour des turbulences dans cette région concorde avec le moment où Washington met en place des structures de surveillance de ce vaste territoire saharien dans le cadre de son plan de lutte contre le terrorisme. Les Etats-Unis avaient, en fait, commencé à s'intéresser à cette région au lendemain de la «guerre totale» engagée par l'administration Bush contre la nébuleuse Al Qaîda et la dispersion de ses cadres et de ses sympathisants un peu partout dans le monde. On avait vite fait de croire que les salafistes pouvaient avoir des incursions à partir de l'Algérie vers le Mali, le Niger, la Mauritanie (qui avait accusé le Gspc d'être l'instigateur de l'attentat de Lemgheity, durant l'été 2005, thèse qui sera démentie, quelques semaines plus tard, par les aveux de prisonniers libérés faisant partie des Cavaliers du Changement, groupe d'opposition mauritanienne armée d'obédience militaro-salafite), et toutes ces bribes d'idées avaient fini par conforter les experts militaires américains que cette bande du Sahel, longue de plusieurs milliers de kilomètres et qui va de la Mauritanie au Tchad et à la Somalie en passant par le Mali et le Niger, finira par constituer une «rampe de lancement» pour les futurs groupes armés. Le plan américain, Pan- Sahel Initiative (PSI), élaboré par Washington à cet effet, est un vaste programme dont l'objectif est d'endiguer toute menace terroriste venant du Sahel. D'aucuns affirment que les Etats-Unis, avec leurs drones et leurs satellites, ne sont jamais loin. Outre les satellites espions, les Etats-Unis utilisent des avions de reconnaissance Orion P3. Cependant, il est tout à fait légitime de se demander «qui justifie la présence de qui?» Les turbulences sont-elles des réponses autochtones à une présence étrangère accrue et donc, pesante? Ou alors une réaction aux régimes locaux qui maintiennent la région dans son état de misère? Ou alors, la stratégie américaine est-elle réellement une réponse pratique à une menace qui prend forme, jour après jour?