«Ce qui m'intéresse, c'est de faire des films de genre, mais avec une vision qui m'est personnelle du monde qui m'entoure. Une vision forcément politique...» A l'instar de Hicham Lasri ou encore Hicham Ayouch, Yacine Fennane, 29 ans, représente la nouvelle tendance du cinéma marocain. En tant que jeune, tout en se démarquant par sa vision neuve du cinéma, il tend à reproduire son vécu de manière authentique de façon à s'identifier complètement à ses films, lesquels gagnent assurément en universalité. Nous avons rencontré ce jeune, grand par la taille et le talent au Festival du film amazigh qui s'est tenu récemment du 9 au 13 janvier, à Sétif. Il ne savait pas, alors, qu'il allait être couronné de l'Olivier d'or du meilleur film...Jusque-là, nous ne savions pas et lui non plus ne s'attendait pas à cette consécration qu'il a vite dédiée aux gens d'Agadir dont il se plait à parler dans son film Squelette, avec tendresse et profondeur, sans mystification, mais surtout avec vérité. L'Expression: Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs? Yacine Fennane: Je m'appelle Yacine Fennane. Je suis réalisateur marocain. J'ai tourné quatre films, deux en langue arabe et deux en langue amazighe dans la région d'Agadir. Ces films font partie d'un projet de 30 longs métrages produits par la Snrt, la première chaîne marocaine et le ministère de la Communication, sans oublier Ali N'Production dont le producteur est Nabil Ayouche qui est le réalisateur marocain le plus connu dans le monde. Il a produit, entre autres, un film à Hollywood qui a fait le tour du monde. Pourriez-vous nous parler de la situation du cinéma marocain, a fortiori, d'expression amazighe? Le cinéma amazigh existe depuis 20 ans au Maroc, depuis la fin des années 1980. Les films amazighs ont toujours existé en fait, sous forme amateur. Ce n'est ni doublé ni sous-titré. Ils étaient vendus avant en VHS, maintenant sous VCD, dans un contexte social bien précis. Ils sont destinés aux Amazighs, autrement dit, à un public bien déterminé. Ce sont, en général, des mélodrames, à l'égyptienne et tournés par des comédiens non professionnels. Par contre, il y a d'excellentes comédiennes qui viennent du théâtre et qui jouent dans ces productions mais qui ne sont pas connues par le système établi, c'est-à-dire, celui du cinéma marocain officiel, celui des projections en pellicules, de Casablanca, de Rabat etc. Depuis quelques années, la Télévision marocaine octroie des subventions à certaines boîtes de production pour réaliser des films professionnels qui durent une heure trente, contrairement aux VSD qui durent 52 minutes. Ces films sont ancrés dans une réalité sociale très locale, amazighe, des régions d'Agadir, Tizenit etc. Ça tend vers le professionnalisme. Ce projet sur lequel j'ai travaillé et produit par la Snrt vise à la réalisation de 30 films dont 20 en langue amazighe. Des films ancrés dans une identité amazighe et un contexte socio-culturel bien spécifique et ce, dans des genres bien arrêtés, c'est-à-dire la comédie musicale, le film historique, le film d'horreur, les films d'action portant sur la culture amazighe vers une universalité à même de lui assurer une pérennité et une ouverture sur le monde... Comment faites-vous face à la multiplicité ou à la diversité des dialectes amazighs dans vos films? En fait, sur ces 30 films, plusieurs sont doublés en divers dialectes ou langues marocaines, autrement en zayania de la région de Khnifa, en rifia de la région de Nador, du nord du Maroc et en arabe. Et si les films sont en arabe, ils sont doublés en chelha, c'est-à-dire en amazigh. Le but est de toucher toutes les cultures marocaines. Quel est le montant du budget alloué par le ministère de la Communication à ces films? C'est un budget moyen, de téléfilm. Mais ce ne sont pas des téléfilms à proprement parler, car ils sont destinés à être vus par le plus grand nombre et certains, pourquoi pas, passeront au cinéma, comme ces films qui participent à des festivals. Il y en a 4 sur les 30 dont deux en amazigh, le mien Squelette et les Arêtes du coeur de Hicham Ayouch, et deux en arabe, La Vague blanche de Ali Mejboud, et L'Os de fer de Hicham Lasri qui ont une vie dans les festivals du monde entier. Pourriez-vous nous parler du film que vous venez de présenter à la 8e Edition du film amazigh qui se déroule à Sétif? C'est mon dernier film, tourné en langue amazighe. Je viens de le présenter au festival du film amazigh. C'est un pamphlet social. C'est l'histoire d'une jeune qui revient de la ville pour créer une association d'animateurs de mariage. Le maire essaye de l'aider et en contrepartie, il veut avoir la terre de sa mère pour qu'il puisse concevoir une autoroute dessus. Ça se passe très mal. S'en suit un remue-ménage, une grande mascarade dans le village. C'est, en fait, une espèce de caricature de nos sociétés qui sont «bouffées» par l'intégrisme, le conservatisme et l'absence de volonté d'aider les jeunes à réaliser leurs rêves. C'est peut-être un film noir au niveau du contenu, mais on rigole du début jusqu'à la fin. Dernière question. Quelle est votre genre de cinéma idéal? Je suis cinéphile. J'ai vu énormément de films dans ma vie. Depuis l'âge de trois ans, ma mère m'emmenait au cinéma. Je lui rends hommage d'ailleurs, c'est grâce à elle que je suis devenu réalisateur. J'aime réellement tous les genres. J'adore les films d'horreur, d'action, tout ce qui touche au cinéma commercial, ancré dans un style précis. Ce qui m'intéresse, c'est de faire des films du genre comédie, policiers, etc., mais avec une vision qui m'est personnelle du monde qui m'entoure. Une vision forcément politique. Parler du Maroc, de ma culture, c'est important. En même temps, divertir des gens avec des histoires qui font rire et pleurer. Mes grands maîtres à penser sont Roméro, Carpenter. Des «mecs» qui sont arrivés à parler réellement de leurs sociétés par le biais d'histoires fantasmées, de science- fiction, d'horreur, etc.