Al Zarqaoui est bien mort, les Américains triomphent ; récit d'un nom dans une guerre. Les noms s'inventent dans toutes les guerres. Autour d'eux, des légendes se tissent, des tranchées se creusent, des armées s'affrontent. Des reporters s'acharnent sur les faits des chefs de guerre, en font leur pain quotidien. On en érige parfois des mythes. Puis soudain tout s'effondre. L'image se déchire, se disloque. Mais le spectacle n'est pas fini. On recrée des scènes à l'infini. Lorsque le secrétaire d'Etat américain accuse, en 2003, Al Zarqaoui d'être le «chaînon» entre Al Qaîda et Saddam Hussein, personne n'ose le croire, y compris ceux du Pentagone qui, généralement, s'en réjouissent. Mais l'invasion de l'Irak, facile au départ, bute sur une résistance imprévisible. Au fil des jours, elle (la résistance) s'organise. Les sunnites forment le noyau dur de cette onde de choc. Les Américains et leurs alliés sont abasourdis par tant de hargne dans le combat. Elle sera symbolisée par un seul nom: Abou Mossab Al Zarqaoui, le bras armé d'Al Qaîda en Irak, selon la version américaine. Juste ce qu'il fallait pour démontrer qu'on avait raison au départ lorsqu'on est allé chercher les raisons d'une guerre. Al Zarqaoui, 36 ans, est né à Zarqa, une petite ville située à 25 km de Amman. Il fréquente la mosquée de Abdullah Ibn Abbès dès son jeune âge. Il fait un séjour en Afghanistan dans les années 80 puis revient en Jordanie. A son retour, il est arrêté. On le soupçonne de préparer un attentat sur le sol jordanien. Il est emprisonné avec son chef spirituel Abou Mohammed Al Maqdissi. «Je me souviens d'un homme très religieux. Il avait une vingtaine d'années. Il considérait les gens qui ne faisaient pas la prière, comme moi, comme des infidèles. Dans sa cellule, il s'appliquait à mémoriser le Coran par coeur. Quand il parlait, c'était en vieil arabe. Il utilisait des mots du temps du Prophète. En public, il était souvent très silencieux. Il souriait rarement. Il impressionnait beaucoup. Il était très charismatique. Il portait une barbe et une tenue traditionnelle afghane», confie Abdullah Abou Rumman, le rédacteur en chef du quotidien Al Mara'ah, emprisonné pour un article en 1996. Amnistié en 1999, Al Zarqaoui repart en Afghanistan. Il aurait pris part aux combats contre les Américains, après les événements du 11 septembre. Mais ce n'est qu'en 2003 qu'il rejoint l'Irak pour organiser la résistance. Sa tête est mise à prix (25 millions de dollars). Certains vous diront qu'il n'a jamais existé. Pour d'autres, il est le précurseur et le symbole de la résistance. D'autres en font un mythe. Mais l'homme n'a existé que grâce aux médias qui font le compte-rendu d'une guerre peu équilibrée. Al Zaraqoui a récemment appelé à la guerre totale contre les chiites comme s'il les assimilait aux forces de l'occupation. Il est entré ainsi dans une autre guerre dont personne ne connaît l'issue. Al Zarqaoui est aussi à l'origine des rapts et des liquidations spectaculaires des étrangers en Irak. Ces images d'otages sans défense où l'on voit des civils les yeux bandés appeler à la clémence ont frappé les consciences, jusqu'à faire de ce «héros» de pâte à papier un sanguinaire hors du commun. Il tombe sous le coup d'un mortier américain. Les Yankees ont encore triomphé. Ils ont eu Saddam. Ils ont eu Al Zaraqoui. Il faudra bien que cette guerre finisse un jour, quand il n'y aura plus de héros. Quand le seul héros sera le peuple irakien luttant pour reconquérir sa souveraineté.