La communauté internationale affichait hier un ‘'soulagement'' visible, mais la violence va-t-elle pour autant s'arrêter en Irak? Dans leur ensemble, médias et commentateurs politiques se sont montrés mitigés à l'annonce de l'élimination, mercredi soir, d'Abou Moussab Al-Zarqaoui chef d'Al'Qaîda en Irak. Il est en effet trop tôt pour affirmer que la mort de l'ennemi public numéro un des Américains en Irak constitue un virage dans la guerre qui se mène dans ce pays depuis l'invasion de mars 2003. Peu s'en faut en vérité. Zarqaoui n'était en fait que l'un des maillons de la guerre que mène Al Qaîda contre l'Occident. Il est patent que dans une organisation très décentralisée, dont les mécanismes de désignation des dirigeants (militaires et politiques) sont souples, la mort d'un chef, aussi puissant soit-il, ne porte pas à conséquence, d'autant plus que les deux gourous, et têtes pensantes, d'Al-Qaîda, Oussama Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri, courent toujours et restent introuvables depuis la chute des taliban en Afghanistan en novembre 2001. Ce qu'il faut également dire est que depuis le début de l'année, Abou Moussab Al-Zarqaoui -auquel a été enlevée la responsabilité du département politique d'Al-Qaîda en Irak-, qui a fait des erreurs politiques et de jugement, a quelque peu perdu de son aura, notamment après le carnage dans un palace d'Amman (60 morts) dont il revendiqua la responsabilité. En revanche, ce qui peut être vrai est le fait qu'un Zarqaoui mort, un Zarqaoui devenu martyr, soit plus dangereux pour la coalition américano-britannique et le gouvernement irakien, qu'un Zarqaoui vivant livré à la vindicte des populations. Comme en témoigne le fait qu'il a été renié par sa famille et sa tribu après les attentats, tous meurtriers, commis en Jordanie, son pays natal et revendiqué par lui. Abou Moussab Al-Zarqaoui (de son vrai nom Fadel Nazzal Al-Khalayleh né à Zarqa en Jordanie) a péri mercredi soir lors d'un raid effectué par l'aviation américaine (auquel ont participé 16 bombardiers qui ont largué chacun des bombes de 250 Kg selon des sources militaires américaines) sur la maison dans laquelle il se cachait lui et de proches conseillers ainsi qu'une femme et un enfant, tous tués. Cette opération contre le chef d'Al-Qaîda en Irak a pu être menée (avec succès) grâce à des indications données par des proches de l'entourage du chef rebelle, selon les mêmes sources. «En plus de Zarqaoui, de son conseiller spirituel cheikh Abdel Rahman et d'un certain nombre de membres d'Al-Qaïda, une femme et un enfant ont été tués dans le bombardement, lorsque deux bombes de 250 kg ont été larguées sur la maison» a indiqué le général américain William Caldwell, porte-parole de l'armée, au cours d'une conférence de presse. Toutefois, selon le Premier ministre irakien Nouri Al-Maliki, «sept personnes dont deux femmes (dont au moins l'une serait une des trois épouses de Zarqaoui indiquent des membres de la famille Zarqaoui en Jordanie) membres du groupe de Zarqaoui avaient été tuées dans le raid». La page Zarqaoui tournée, les Américains se sont empressés à lui donner un successeur -nouvel abcès de fixation?- que rien dans l'actualité jihadiste irakienne ne semble (pour le moment) justifier. En effet, selon le général William Caldwell, l'Egyptien Abou Al-Masri aurait de fortes chances d'hériter le poste de chef d'Al-Qaîda en Irak, indiquant: «Abou Al-Masri, qui était l'un des lieutenants de Zarqaoui, est le candidat le plus probable à sa succession», et d'ajouter: «Nous avons suivi ses mouvements depuis quelque temps et nous pensons qu'il est venu en Irak pour la première fois en 2002. Nous le soupçonnons d'avoir participé à l'établissement de la première cellule d'Al Qaïda dans la région de Baghdad.» Toutefois cette hypothèse ne semble pas tenir la route d'autant plus que pour diriger le réseau irakien et lui garder sa pugnacité, Al-Qaîda a besoin de quelqu'un à poigne déjà établi parmi les islamistes et la population, qui dispose en outre d'un «nom» connu et reconnu, c'est-à-dire une forte personnalité lui permettant de tenir en main les phalanges jihadistes venues de tous les coins du monde arabe et musulman à l'appel de la «résistance». Aussi, à court terme -du moins- la mort de Zarqaoui ne changera pas grand-chose à la situation sécuritaire en Irak, où les attentats se sont poursuivis jeudi et hier occasionnant en quarante huit heures la mort de plus de 50 personnes. Il faudra donc attendre quelques semaines, sans doute quelques mois, pour voir si effectivement la disparition de Zarqaoui a été un «tournant» pour l'Irak. En réalité seule l'administration Bush, et plus singulièrement le président Bush en chute libre dans les sondages, vont connaître un répit salutaire et soigner un tant soit peu une image ternie auprès de la population américaine qui prend (très) mal la mort de ses enfants et le bilan de plus en plus lourd de la présence américaine en Irak. Tout compte fait, les Américains se sont débarrassés de leur ennemi public numéro un, certes, reste toutefois à mesurer les impacts que la mort de Zarqaoui aura sur l'amélioration de la situation sécuritaire et sur la réduction de la violence. Ce qui est une autre paire de manches dans une guerre qui n'est pas seulement entre la coalition (américano-britannique) et la résistance irakienne, mais est également, sous certains de ses aspects, une guerre confessionnelle (entre chiites et sunnites) ou depuis trois mois tous les coups sont permis, comme le montre la cascade de carnages qui ont endeuillé le pays, ces dernières semaines, depuis notamment la destruction, en février, du mausolée (chiite) de Samarra. Car, s'il y a une vérité à relever est que, dans l'Irak de juin 2006, Abou Moussab Al-Zarqaoui a laissé le pays des Raffidain, en proie à une guerre civile, certes non-déclarée, mais dont les effets se font quotidiennement sentir.