Qu'on le veuille ou non, Mohamed Benchicou est un nom, voire même un grand nom, de la presse algérienne. Mohamed Benchicou aura accompli aujourd'hui la totalité de la peine de deux ans de prison ferme, prononcée à son encontre, le 14 juin 2004, par le tribunal d'El Harrach puis confirmée par la cour d'Alger, au motif d'une «infraction à la législation sur les mouvements de capitaux» après la découverte de bons de caisse dans ses bagages à l'aéroport d'Alger, en août 2003. A l'époque, il avait plaidé non coupable, arguant devant le président du tribunal, que «toute cette histoire n'est qu'une machination savamment orchestrée» contre lui, en raison de ses écrits, en général, et de son livre biographique, en particulier, un véritable pamphlet consacré au président Abdelaziz Bouteflika, en pleine campagne électorale. Benchicou s'est défendu, alors, d'une quelconque motivation électoraliste, affirmant qu'il n'avait pas écrit son ouvrage «pour provoquer un impact quelconque sur les élections» et qu'il s'agissait là d'une «initiative de journaliste», uniquement, même si, par ailleurs, il aurait pu se réjouir si le pamphlet déclenchait «quelque conséquence heureuse» sur lesdites élections. On peut certes émettre des réserves sur les idées du journaliste, dès lors qu'on ne les partage pas, mais, qu'on le veuille ou non, Mohamed Benchicou est un nom, voire même un grand nom, de la presse algérienne. Le fait est que l'apprentissage de la presse libre, en Algérie, s'est accompagné de maints dérapages, voire d'atteintes flagrantes à la déontologie, mais c'est le prix à payer pour que se forge une presse réellement libre, portée par une opinion publique qui a largement démontré, par son adhésion et ses choix, sa soif d'information à partir de sources théoriquement crédibles. La presse indépendante est certainement imparfaite, souvent partiale, péchant par manque de professionnalisme, mais elle constitue l'exceptionnelle bouffée d'oxygène qui alimente le citoyen algérien, confronté au message crypté des médias lourds, entièrement pilotés par l'Etat. Et, à tort ou à raison, elle se considère investie d'un droit de mémoire envers les martyrs de la démocratie qui lui fait obligation d'être le porte-voix des hommes et des femmes en lutte contre la censure, l'injustice et toutes les formes d'inégalité dont souffre la société algérienne. En dépit des protestations et des appels à sa libération anticipée émanant de plusieurs ONG dont la Fédération internationale des journalistes, Mohamed Benchicou est resté en prison jusqu'à devenir, aux yeux de beaucoup, un symbole de la lutte de la profession qui s'est mobilisée, depuis, contre la loi qui pénalise les délits de presse. Il faut savoir, en effet, qu'il ne se passe pas une semaine sans que les responsables des publications du secteur privé ne soient contraints et forcés à séjourner dans un tribunal, une journée durant, pour des affaires dans lesquelles leur journal n'a eu d'autre but, bien souvent, que d' informer ses lecteurs de telle ou telle réalité. Mohamed Benchicou n' a pas bénéficié de la grâce présidentielle, annoncée le mois dernier, au profit des journalistes condamnés définitivement pour des délits de presse, en fait peu nombreux, la plupart des confrères poursuivis ayant fait appel de leur condamnation en première instance. Le communiqué de la Présidence soulignait que «cette mesure qui exprime le souci constant du chef de l'Etat à préserver, consolider et renforcer la liberté de la presse est un gage supplémentaire pour la sauvegarde des droits et des libertés dans notre pays, sauvegarde à laquelle contribue grandement la presse nationale.» Ce faisant, la voie est ouverte, on l'espère, à un autre pas vers une autre Réconciliation, celle qui dissiperait le malentendu entre le pouvoir et la presse indépendante, scellant l'avènement d'un dialogue et d'une franche concertation, à même de nourrir la «sauvegarde des droits et des libertés dans notre pays» dont les intérêts, autant que les idéaux, sont communs à tous les citoyens. Benchicou va recouvrer, dès sa sortie de prison, sa place au sein de la famille de la presse nationale à laquelle il appartient pleinement et à la promotion de laquelle il a vaillamment contribué, lui qui nous a beaucoup manqué.