Lécrivian Anouar Benmalek était l'invité de l'espace de l'Institut français d'Algérie au 25eme Salon international du livre d'Alger, vendredi apres-midi où il a présenté devant ses lecteurs son dernier livre «L'amour au temps des scélérats», publié aux éditions Emmanuelle Collas en 2021 et sorti en Algérie chez Casbah Editions. Il ouvrait ainsi le riche programme tracé par l'IFA dans le cadre de cet événement dédié aux belles-lettres. De quoi parle ce nouveau livre? «C'est vraiment la question piège à poser à un auteur! On appelle cela le pitch. C'est l'opération la plus désagréable qu'il soit parce que vous devez résumer en deux, trois phrases, quelque chose qui tient sur 500 pages. On est incapable de le faire.» Et de poursuivre: «Je peux plutôt parler de ce que je voulais faire. Plus on prend de l'âge, plus on se dit qu'il faut que j'écrive tel ou tel livre..Au départ, je voulais écrire quelque chose sur les Indiens d'Amérique et puis ensuite le temps passant, je me suis dit que je ne connais pas assez leur histoire pour écrire un livre, le temps est passé, j'ai écrit d'autres livres etc. Et puis il y a eu ce que j'appelle le «pendant ce temps»...Pendant que je travaillais sur ce projet de livre, il y avait des événements importants qui se passaient dans le monde arabe, en particulier l'apparition de Daesh, en Syrie, en Irak etc.Petit à petit je me suis mis à penser à un livre où il y aurait tout ça. À l'époque, c'était un pari difficile à tenir. Comment faire un livre supportable? Car les horreurs qui se passent en Syrie sont à peine supportables. Faire un livre pour dire que ce qu'ont subi les Syriens, les Irakiens, y compris les Algériens, ça n'en fait pas d'eux des êtres à part. Ce sont des êtres ordinaires, ayant été touchés par des événements extraordinaires.». Le chant d'Ismahan Et de renchérir: «Ce qui a transformé le projet, je l'avoue est, en regardant la télé, je tombe sur une chanson d'Ismahan et là, le chant d'Ismahan devient une des raisons du livre. Car seul l'amour peut rattraper les horreurs qui occupent le monde.Car s'il n' y a pas l'amour, à quoi bon vivre?» Et de souligner: «Ce roman peut paraître dur, mais c'est aussi un roman dans lequel j'ai nourri de l'affection pour certains personnages parce qu'ils tentaient de résister à la barbarie du monde et à la barbarie qui est en nous...». Détaillant un peu plus la trame de son livre et évoquant le personnage de Tammouz, Anouar Benmalek dira avoir voulu parler de la Mésopotamie car la «Mésopotamie ancienne a produit la civilisation monothéiste,l'écriture etc. Elle a vu aussi l'apparition sumérienne et la coexistence et de la barbarie de l'époque et de l'apport civilisationnel sumérien. J'ai eu l'impression qu'on le retrouvait, également, dans cette même région où l'on a à la fois Daesh et des gens remarquables..En gros, la beauté du monde et l'horreur du monde. Il m'a fallu trouver un personnage qui fasse le lien. Tammouz, ce n'est pas le diable, mais on s'en approche». Avouant qu'il est difficile d'écrire ce genre de livre, l'auteur de «L'enfant du peuple ancien» dira «parce qu'il est aussi très facile de parler de l'horreur du monde- Les exemples abondent,je voulais que le lecteur, qu'il soit algérien, européen, américain, découvre des gens comme nous. Chacun de nous aime quelqu'un. Essayez de penser que ces gens-là, des gens qui s'aiment, se retrouvent à un moment donné en pleine guerre. Le défi était de faire en sorte qu'on ne dise pas que seuls les Syriens qui sont destinés aux malheurs, non! Ce sont des gens comme vous et moi. Seul l'amour peut réparer ce qui se passe, notamment chez nous. L'être humain est réduit à rien. J'aime les histoires d'amour. Seul l'amour donne sens à la vie. C'est un livre d'amour placé dans un contexte extraordinaire avec un personnage, Tammouz, qui fait le va-et- vient entre deux époques, a priori tres éloignées...». Tammouz ou le presque diable Parlant de ses personnages, Anouar Benmalek dira qu' «un romancier doit s'attacher à ses personnages. Je voue de l'affection même aux plus cruels.» À propos du travail de l'écriture, Anouar Benmalek qui révèle que ce livre lui a pris quatre ans, estimera qu'un bon écrivain ne doit pas avoir trop confiance en lui -meme, sinon il finira par écrire des livres répétitifs. La prise de risque est à chaque fois importante. Je ne suis jamais sûr de réussir un livre.» À propos de sa méthodologie dans le travail, l'auteur de «Tu ne mourras plus demain», estimera qu' «Ecrire c'est se mettre à la table, même quand vous n'avez pas d'idées. De temps en temps vous avez une fulgurance qui arrive. À la fin, quand vous terminez, si quelqu'un vous dit, ça se tiens, là, vous êtes récompensé de vos efforts. Mais il se peut que cela ne soit pas le cas.». Evqouant le cliché selon lequel, un écrivain est plus productif pendant le «confinement» Anouar Benmalek confiera que ce fut «les pires années que j'ai connues. Le fait d'être obligé de rester chez-soi, cette sensation de peur de la fin du monde universelle a été extrêmement pénible. Le monde entier s'est retrouvé enfermé en lui-même. On s'est beaucoup menti en disant que le monde allait changer, qu'aprés la Covid, on allait redémarrer sur des bases nouvelles, l'être humain reste ce qu'il est; égoïste etc. De temps en temps il révèle sa bonne part d'humanité, mais...» Regrettant de ne pas pouvoir écrire moins long, Anouar Benmalek se comparera à «un marathonien» qui peut écrire 500 pages sinon plus... «Nous les Algériens, on aime parler. Il y a une espèce de volonté de tout. De raconter, d'approfondir les traits des personnages etc.Mais il est vrai qu'il faut savoir s'arrêter quand il le faut et élaguer ou réécrire en enlevant aussi, quand cela s'impose. Tout est question d'équilibre même si cela n'existe pas. Vous devez le sentir. Le plaisir surtout est cette rencontre avec les lecteurs qui est irremplaçable». Dans un sursaut d'optimisme, Anouar Benmalek, incitera son auditoire à garder espoir tout en se souvenant «qu'il y a aussi de choses belles dans le monde arabe, malgré les dictatures, les généraux etc. Nous avons des poètes, des chanteurs, des artistes, des écrivains au talent immense..Nous avons notre place dans ce qu'on appelle le concert des nations. On n'est pas, comme certains nous considèrent, ou comme nous nous considérons, des gens qui ne méritent pas leur place dans cette humanité. Nous l'avons! Encore faut-il que nous en soyons conscients. Le monde arabo-berbéro -musulman a été d'abord le siège de l'invention de l'écriture. Il ne faut pas l'oublier. Ne succombons pas au mépris qu'on a pour nous à l'extérieur», a t-il conclu.