Les travaux de cet érudit sont susceptibles d'aider les historiens dans la compréhension des changements induits par le temps qui passe ou par d'autres facteurs. Quelle est l'utilité de lire et de relire les oeuvres d' Ibn Khaldoun? A quel point les oeuvres de cet érudit, écrites il y a de cela plus de six siècles, nous aideront-elles dans la compréhension des conflits qui caractérisent le monde actuel? Ce sont en effet un ensemble de questions qui viennent à l'esprit à chaque fois qu'on parle de ce précurseur de la sociologie et de la philosophie de l'histoire. Le colloque international sur la pensée et l'oeuvre d'Ibn Khaldoun, qui se tient depuis samedi dernier et jusqu'à aujourd'hui à l'hôtel Aurassi, à Alger, est l'occasion propice pour poser la question aux spécialistes en la matière. En effet, dans un monde caractérisé par un «unipolarisme» économique et politique, imposé par les superpuissances mondiales, peut-on parler des théories d'Ibn Khaldoun? Peut-on revenir sur l'un des concepts qui lui sont trop chers, à savoir la Aâssabiya? Pour l'universitaire tunisienne Zeïneb Ben Saïd Cherni, qui participe à ce colloque, «il ne faut pas prendre uniquement le sens négatif du concept de la Aâssabya, mais il est nécessaire de comprendre qu'il signifie aussi la solidarité entre les membres de la même tribu pour résoudre un problème épineux auquel est confrontée leur communauté» explique Mme Ben Said Cherni. Celle-ci n'hésite pas à soutenir néanmoins que «les problèmes posés par Ibn Khaldoun sont aussi inhérents aux conflits qui éclatent çà et là dans le monde, ceux également relatifs à la violence dans toutes ses formes. Ibn Khaldoun porte en effet à réfléchir sur le rôle de l'Etat ; ou si on veut sur la relation existant entre le gouvernant et ses gouvernés». Aussi, selon notre interlocutrice, «la nécessité de revenir sur les oeuvres d'Ibn Khaldoun et de faire un travail de réflexion s'impose d'elle-même». Justement, dans cette optique-là, Ibn Khaldoun est beaucoup plus célèbre pour sa théorie de la naissance, du développement et de la décadence des nations. Pour cet érudit, faut-il le rappeler encore, l'Histoire «est un éternel recommencement». C'est-à-dire qu'une nation une fois la décadence atteinte, elle sombre dans une sorte d'hibernation qui n'est en fait qu'une étape nécessaire pour un nouvel essor et développement. «C'est dans cette perspective là que la théorie khaldounienne contribue à comprendre la marche de l'histoire des nations», explique Zeïneb Ben Saïd Cherni. Isabelle Rivoal, de l'université de Paris, de son coté, préfère appliquer le concept de la Aâssabya sur les sociétés proches- orientales. «Si les lectures maghrébines de l'oeuvre d'Ibn Khaldoun ont été principalement historiennes, ce sont avant tout les sciences sociales et politiques qui utilisent le modèle du penseur maghrébin dans l'analyse des sociétés proches orientales». Isabelle Rivoal a, dans la communication qu'elle a présentée, indiqué que «le modèle de ce penseur a été utilisé notamment par Albert Hourani (sociologue, politologue et historien libanais de nationalité anglaise, Ndlr)». Albert Hourani a «trouvé dans le modèle cyclique khaldounien et plus encore, dans la aâssabya, comme élément dynamique dans le modèle, des outils sociologiques pour expliquer les dynamiques politiques et sociales, notamment en Libye et en Syrie». Par ailleurs, les travaux d'Ibn Khaldoun sont susceptibles d'aider les historiens dans la compréhension des changements induits par le temps qui passe ou par d'autres facteurs. «Cela, l'historien doit en avoir pleine conscience, en posant notamment, le problème des risques inhérents à l'usage de l'analogie, à savoir la comparaison», a signalé l'universitaire italien Giovanna Calasso. Il est à noter enfin que le colloque international sur la pensée et l'oeuvre d'Ibn Khaldoun prendra fin aujourd'hui avec la présentation d'une dizaine de communications relatives toutes à la pensée khaldounienne.