Proche aussi bien du président de la République que des islamistes, l'homme est, à juste titre, chargé de concrétiser le contenu de la Charte pour la paix. Une semaine après son installation par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, à la tête du gouvernement, Belkhadem aura à sa charge de donner un coup d'accélérateur à la réconciliation nationale. Le plus grand chantier politico- sécuritaire du président de la République marque, on l'aura remarqué, un temps d'arrêt. Depuis la mi-mars et la libération des derniers détenus islamistes des prisons, on n'a pas vu la réconciliation nationale avancer d'un empan. Bien au contraire, durant les mois d'avril et mai, nous avons assisté à une poussée des actes de violence terroristes. Le dernier en date, et qui s'est passé, il y a quatre jours, a ciblé deux gardes communaux, qui ont été tués dans une embuscade tendue par un groupe armé à Aïn N'Sour, dans la région d'Aïn Defla, à 160 km à l'ouest d'Alger. Quoique en nette régression depuis 2003, les violences en Algérie, comptabilisées sur le compte des groupes armés islamistes, continuent de faire des victimes. Au moins 52 personnes ont été tuées dans ces violences depuis début mai, selon un décompte non officiel, et plus de soixante personnes ont été tuées au mois d'avril. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale, approuvée par référendum le 29 septembre 2005, prévoyait pourtant «l'extinction des poursuites judiciaires» pour les islamistes armés qui ont mis fin à leurs activités et se sont rendus aux autorités, mais n'ont pas été «impliqués dans des massacres collectifs, viols ou des attentats à l'explosif dans des lieux publics». En outre, un délai de six mois est accordé aux islamistes armés n'ayant pas commis des crimes de sang pour déposer leurs armes et se rendre. Bien que la position de la direction du Gspc a été, dès le 28 septembre 2005, de tourner le dos à l'offre de paix proposée par le président Bouteflika, on avait quand même assisté à des dizaines de redditions d'islamistes, notamment à l'est et à l'ouest du pays. Des sources proches du ministère de l'Intérieur avaient parlé de 105 repentis dans le cadre des dispositions de la Charte. Cependant, et hormis des signes positifs ici et là, rien n'a pu être ajouté à ce qui a été déjà fait auparavant. Ni les islamistes vivant à l'étranger, et auxquels le président Bouteflika multipliait les signaux forts, ne sont rentrés, ni les redditions n'ont connu une courbe positive, les terroristes en armes étant toujours estimés à un millier, selon des sources sécuritaires. En froid avec l'ancien chef du gouvernement, dont la tendance éradicatrice n'a échappé à personne, et qui semble être un des motifs de sa rupture avec le Président, les islamistes réfugiés en Europe ont mis un frein à leur intention de rentrer au pays. Durant les mois qui ont succédé au référendum sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, Bouteflika avait multiplié les contacts avec les leaders de la mouvance islamiste exilés en Europe et aux Etats-Unis. Et c'est ainsi que nous avions pu voir Belkhadem à Londres, discuter avec le «groupe des Londoniens», un des groupes d'islamistes algériens les plus importants en Europe, Boudjerra Soltani et Amar Ghoul prendre langue avec les islamistes réfugiés en Suisse et en Belgique. Soltani dira quelques semaines après, que c'est le président de la République lui-même qui l'a investi de ces missions et contacts, ce à quoi Ahmed Ouyahia répondra curieusement, quelques jours après, en affirmant que personne n'est investi de missions de contacts avec les islamistes, ouvrant une polémique stérile qui n'a pas été du goût du Président. Pourtant, au départ, la réconciliation laissait entrevoir des perspectives larges et positives, et le président de la République y tenait avec d'autant de sérieux et de sincérité qu'il s'agissait réellement d'un projet qu'il a défendu seul, et dans un environnement hostile fait d'éradicateurs et d'anti-islamistes invétérés. Ce qui a semblé être le projet de sa vie n'a pourtant pas ramené la paix qu'il a tant cherchée. Pourtant, tout a été fait pour que les choses aillent vite et dans le bon sens. Ils étaient quelque 30.000 islamistes concernés par l'application des textes de loi portant sur la réconciliation nationale, si l'on prenait en ligne de compte les repentis, qui avoisinaient les 8000 personnes, les prisonniers, estimés à près de 8000 qui ont été définitivement condamnés, donc «libérables», les terroristes encore en armes, principaux concernés par l'«offre de paix» et dont le nombre côtoie le millier, les handicapés, les familles des disparus -estimés officiellement à 7500 cas de disparition- ou les blessés islamistes de la décennie 1992-2002, les exilés dans le cadre sécuritaire né de l'après- janvier 1992 et enfin, ceux qui sont touchés par les mesures de réinsertion dans leurs fonctions. Une estimation approximative donne un premier chiffre de quelque 30.000 islamistes qui pourraient bénéficier des nouvelles mesures. Et bien que la direction politique de l'ex-FIS soit exclue politiquement du cadre de la réconciliation nationale, la base islamiste, hormis quelques rares cas, tels les anciens détenus des camps du Sud, a été, dans une très large mesure, satisfaite et pleinement prise en charge par la Charte. C'est dans ce contexte très particulier que va agir, donc, le nouveau chef du gouvernement, avec, cette fois-ci, l'appui autant du président de la République, près duquel il jouit d'une totale confiance, que des islamistes qu'il s'agira encore de convaincre et dont il a été toujours proche.