C'est une accumulation de difficultés qui ont existé de tout temps et en tous pays. La dimension économique des crises est sans doute la plus frappante, avec une récurrence périodique, selon les circonstances de chaque époque. L'Algérie n'échappe pas à cette loi de l'histoire socio-économique des nations qui a donné lieu à bien des théories échafaudées par les penseurs pendant deux siècles au moins. Face à cette crise, les Algériens sont forcément anxieux et déboussolés. Leur scepticisme est bien visible malgré les propos des pouvoirs publics de tout mettre en oeuvre pour la démêler. En un mot, c'est une situation de trouble profond qui préoccupe aussi bien les gouvernants que les gouvernés parce qu'elle cause à la société, dans son ensemble, des dommages évidents sur les plans politique, économique, social, culturel, moral et psychologique. Mais cette situation n'est pas inextricable. Car notre pays qui en a vécu de bien plus graves par le passé est capable d'y répondre en se réformant sérieusement pour mieux fonctionner. L'espoir est d'autant plus permis que l'Algérie n'est pas démunie. De plus, l'affirmation par la Proclamation du 1er novembre 1954 des principes d'une république démocratique et sociale soucieuse d'authenticité tout en étant résolument ouverte sur la modernité, n'est pas périmée. L'objet de la présente contribution n'est pas de traiter des contraintes qui entravent son établissement et dont certaines ont été évoquées dans ces mêmes colonnes de septembre 2021 à janvier 2022, ni de faire écho aux critiques persistantes des failles du système. Il est de mettre le doigt sur un fait significatif que l'Etat vient de mettre en avant. Cherchant à retrouver ses marques après tant de déconvenues, ce dernier décide en effet de s'assigner une mission de taille: le redressement économique par le biais d'une croissance sans entraves bureaucratiques qui ne laisse personne sur le bord du chemin. Tout en étant une bonne nouvelle pour les investisseurs locaux et étrangers, cette mission implique comme postulat un retour de l'investissement parmi les grandes tâches nationales. Ce retour est annoncé par un nouveau code examiné en Conseil des ministres extraordinaire du 19 mai 2022.C'est un texte qui veut consolider la législation antérieure promulguée au cours de la période 2008-2016 par l'introduction d'une projection à long terme et d'autres améliorations. Sa vocation n'est pas d'être un aboutissement, mais un déclencheur. Aussi, soulève-t-il maints questionnements. Que signifie au juste ce code? Que peuvent en espérer les investisseurs et à quoi ambitionne-t-il? Quelles sont les actions susceptibles de lui garantir un aboutissement désirable? Les multiples vulnérabilités Ce texte signifie que l'Etat est en principe déterminé à prendre sa part, en tant qu'acteur parmi d'autres acteurs, dans la mise en mouvement de la machine économique. La nécessité de son intervention découle des vulnérabilités multiples qui pèsent sur le pays, ainsi que de l'incapacité manifeste du marché à assurer la régulation de l'économie. Le nouveau code traduit également une volonté déclarée d'aborder la question économique par le recours à l'investissement industriel, national et étranger. Celui-ci consiste à «consacrer des moyens financiers à la création, au développement, ou à l'amélioration d'établissements industriels, en vue d'assurer des services ou de produire des biens» (A.de Vogue, 1961). Créer, développer, améliorer seraient ainsi les trois buts fondamentaux de l'acte d'investir dans le domaine industriel, comme d'ailleurs dans d'autres domaines. L'Etat se montre donc résolu à poursuivre ces buts en incitant les investisseurs à s'engager dans la même voie. Aussi, l'espoir suscité chez ces derniers par le nouveau code est-il a priori très grand.À la condition qu'il ne se fracasse pas comme ses prédécesseurs sur une application défectueuse, il pourra inaugurer sans aucun doute un processus vertueux où l'investisseur ne sera plus regardé par nos administrations comme une sorte de harceleur à faire suer par des moyens immoraux. Par la réhabilitation du fameux guichet unique, celles-ci sont mises dans l'obligation de faciliter la tâche à quiconque veut participer à la création de richesse. Prodiguant des encouragements, assouplissant les procédures, rendant moins ardu l'accès aux financements, nos administrations seront alors de vrais accompagnateurs qui auront à coeur de concilier l'intérêt général et les intérêts particuliers. À travers elles, l'Etat pourra même aller plus loin en concevant une planification souple, destinée à harmoniser toutes les initiatives, publiques et privées. C'est là, en un mot, le schéma idéal que véhicule le code de l'investissement annoncé. Il n'est pas irréalisable si l'on revient aux normes universelles de gestion de la chose collective, principalement dans le domaine économique, et si l'on tire les leçons des déboires de nos expériences antérieures. Il s'agit là d'une condition essentielle parce que ces leçons serviront assurément à sortir la machine économique de ses balbutiements actuels. Que s'est-il passé, en effet, au cours des trente dernières années? Il s'est passé, entre autres choses, que l'agitation politicienne a refoulé au dernier rang le débat de fond sur les grandes questions économiques et sociales. Car tout devenait politique au sens restrictif de ce terme, c'est-à-dire que tout gravitait autour de la lutte effrénée pour le pouvoir et les postes, y compris par le recours à la violence ou à l'argent. Des partis apparus après 1989 se sont, certes, efforcés de proposer des programmes économiques comme par exemple le Pnsd de Rabah Benchérif et sa théorie du «capitalisme horizontal». Mais ces programmes n'ont pas suscité d'intérêt. Il s'est passé également au cours de cette période que les politiques économiques ont fonctionné de façon empirique, c'est-à-dire en l'absence d'une vision stratégique leur servant de boussole, avec des objectifs à moyen et long terme, assortis de moyens appropriés. Le gouvernement Hamrouche On s'en est tenu, en effet, à des vues fragmentaires peu propices à un mouvement d'ensemble synchronisé autour de la croissance. C'est ainsi qu'au cours des trois décennies qui vont de 1988 à 2018, l'Algérie ne s'est dotée d'un ministère de l'Economie que pendant deux courtes périodes: vingt mois avec Ghazi Hidouci dans le gouvernement de Mouloud Hamrouche (9 septembre 1989 au 4 Juin 1991), et treize mois avec Belaïd Abdeslem dans son propre gouvernement (8 Juillet 1992 au 19 Août 1993), soit au total trente mois à peine sur une durée de six cents mois. Le reste du temps, la chose économique a été confiée successivement à 15 ministres des Finances,deux ministres délègues à la Réforme financière, trois ministres délégués au Trésor, deux ministres délégués au Budget qui, tous, ont géré l'Economie nationale essentiellement par le biais des lois de finances et autres mesures. En un mot, même les pouvoirs publics se sont accommodés de l'absence d'une doctrine servant de ligne directrice à la conduite de la machine économique. Celles proposées respectivement par Mouloud Hamrouche et son équipe avec leurs cinq «Cahiers des Réformes» élaborés sous la direction de A. Hadj Nacer, et par Belaïd Abdeslem et son gouvernement avec leur programme endossé le 15 septembre 1992 par le HCE (Haut Comité d'Etat) présidé par Ali Kafi, n'ont pas fait long feu. Pourquoi une telle carence? Parce que les troubles intérieurs apparus entre 1990 et 1992 ont provoqué l'instabilité et fait prévaloir le court terme dans la gestion des affaires publiques. Par la force des choses, les gouvernements successifs se sont concentrés pendant près de trois décennies (1992-2018) sur une quadruple priorité. 1- au plan politique, la promotion des principes de la «Rahma», la «Concorde civile» et la «Réconciliation nationale» afin de rétablir l'ordre et la paix; 2- au plan social, l'attachement à cicatriser les plaies béantes ouvertes par la tragédie nationale de la décennie 1990; 3- au plan socio-éducatif, l'intensification des constructions d'établissements d'éducation -formation, ainsi que d'universités et de centres universitaires; 4- au plan financier, «le rétablissement des équilibres (...) extérieurs et intérieurs (qui était d'une nécessité vitale pour le pays). Autrement dit, (il fallait) régler le problème de l'étranglement de l'économie par la structure inadéquate de l'endettement extérieur et celui du déficit du Trésor public» (A.Benbitour, 2017). Quant au volet économique proprement dit, il n'a été abordé, à partir des années 1980, que de manière conjoncturelle par le biais de réorganisation des sociétés nationales et des domaines socialistes agricoles, puis, de la «restructuration industrielle» et de la privatisation des entreprises publiques dans le cadre de la Constitution de 1989 et des ordonnances 95-22 de 1995 et 96-10 de 1996 notamment. En l'occurrence, «on a plutôt développé le premier stade d'une réflexion qu'une stratégie. (Jusqu'à la fin des années 1990), on a (également) consacré plus de 500 milliards de dinars à l'assainissement du secteur public sans une réelle contrepartie en termes d'efficacité, de compétitivité, de productivité, de création d'emplois, de rénovation technologique, d'exportation, etc...» (S.Mouhoubi, 1998). À partir des années 2000, le traitement du volet économique s'est limité également à la réalisation d'équipements collectifs pour répondre aux besoins de base de toute la société. Il est vrai que deux stratégies sectorielles ont été adoptées: 1- une stratégie industrielle s'étalant sur une période de 10 à 15 ans approuvée en 2007; 2- une stratégie de Développement national agricole, Renouveau rural et Renouveau de l'économie agricole approuvée entre 2000 et 2006. Mais si en matière agricole l'impact n'est pas négligeable, en revanche la réindustrialisation du pays n'a pas suivi malgré l'ambition affichée lors des Assises nationales réunies à cet effet en février 2007. À vrai dire, nonobstant l'embellie financière des années 2000, les pouvoirs publics ont dû parer au plus pressé en collant de près au programme présidentiel, c'est-à-dire en n'envisageant les choses qu'à l'horizon d'un mandat électoral. Les décisions ne pouvaient se prendre nécessairement qu'au jour le jour sans souci d'anticipation qui aurait permis de définir une vision, c'est-à -dire une image de l'avenir comparable à celle dont le pays a cru devoir se doter au lendemain de son indépendance. Récurrentes préoccupations Telle fut en tout cas, très sommairement décrite, l'approche suivie en matière économique au cours des trois à quatre décennies écoulées. Elle met en lumière une exigence pressante qui se pose aujourd'hui. C'est celle de mener de front cinq actions au moins susceptibles de garantir au nouveau code de l'investissement un aboutissement souhaitable, lui évitant ainsi de rester un voeu pieux à l'instar d'une grande partie de nos lois. Ces actions qui répondent en fait à des préoccupations récurrentes consistent dans ce qui suit: 1- parachever le passage à l'économie de marché pour insérer l'économie algérienne dans l'économie mondialisée, sans pour autant perdre de vue les défaillances de ce dernier, ni l'impératif d'une intervention de l'Etat en matière de redistribution, laquelle est au coeur du texte fondateur de novembre 1954; 2- mettre les institutions au service de l'économie et réformer complétement l'administration économique; 3- promouvoir une pédagogie du changement à travers, notamment l'installation de la chose économique non seulement dans la législation, mais aussi dans les consciences et les faits, c'est - à - dire dans les moeurs par la vulgarisation des processus fondamentaux de l'économie; 4- ériger le dossier de l'économie en tant que l'un des principaux fronts où se joue désormais la crédibilité du discours politique et la robustesse de l'Etat, c'est -à -dire la puissance du pays. Car à l'époque où nous vivons, la puissance «se limite moins que jamais à sa seule dimension militaire; elle se loge de plus en plus dans (...) le soft power» (p. Buhler, 2011) dont l'aspect économique est précisément fondamental. 5- Ne pas continuer à s'en tenir à des vues parcellaires et à aller au hasard, mais construire un plan indicatif de développement économique qui aborde sous l'angle pratique les problèmes d'industrialisation du pays tout en servant de guide pour les décideurs et définissant les grands objectifs. Au final, au-delà des différences de sensibilité et d'opinion, un consensus se dégage indéniablement autour de ces questions parmi les personnes averties. Une unanimité se dégage également au sein de l'opinion sur la disqualification définitive de la langue de bois et sur l'exigence de faire le lien entre le dire et le faire, le discours et son application, le désir de réformer tenu au sommet et l'acte volontaire pour aboutir sur le terrain des faits. Car dans le monde inquiétant d'aujourd'hui où l'économie joue un rôle majeur, l'Algérie qui dispose de beaucoup d'atouts ne peut pas s'autoriser des replâtrages si elle veut prendre sa juste place au sein de son environnement. Aussi, ses appareils administratif, financier et autres qui tiennent entre leurs mains le sort de l'économie nationale, sont-ils dans l'obligation de renoncer une bonne fois pour toutes à l'utilisation de leurs méthodes et pratiques anachroniques afin que l'Algérie ne soit pas à la traîne des nations qui avancent.