Dans cet entretien, l'expert en géopolitique, Dr Arslane Chikhaoui, nous parle des effets que pourraient générer ce nouvel épisode dans la brouille diplomatique entre Alger et Madrid, sur différents plans économiques et commerciaux. Il nous explique également ce que prévoit la législation de l'UE dans ce contexte. L'Expression: L'Abef a émis une note à l'endroit des opérateurs algériens suspendant les opérations de domiciliations bancaires. Qu'est-ce qui pourrait justifier une telle réponse d'Alger? Dr Arslane Chikhaoui: Le gouvernement algérien a annoncé le 8 juin 2022, le gel des domiciliations bancaires des opérations de commerce extérieur de produits et services de et vers l'Espagne. Cette mesure dite de rétorsion fait suite à la suspension du Traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération avec l'Espagne. Cette suspension par l'Algérie du Traité est motivée par la déclaration du président du Gouvernement espagnol Sanchez devant le Parlement, le même jour, lequel s'est glorifié d'avoir vendu le Sahara occidental au Maroc. Il semble que le gouvernement espagnol ne mesure pas avec acuité la sensibilité de l'Algérie sur des dossiers de souveraineté, et toutes déclarations inappropriées ne feront qu'accentuer les conséquences diplomatiques et économiques. Quelles implications pourraient avoir de telles décisions sur les échanges entre l'Espagne et l'Algérie, sur les plans diplomatiques, économiques et commerciaux? L'Espagne est le troisième client de l'Algérie (après l'Italie et la France) et son cinquième fournisseur (derrière la Chine, la France, l'Italie et l'Allemagne). Selon les données disponibles, l'Espagne a exporté vers l'Algérie des produits d'une valeur de 1242 millions d'euros entre janvier et août 2021 (1916 au total de 2020), tandis qu'elle a importé de l'Algérie pour 2556 millions en 2021 (2511 en 2020), principalement des hydrocarbures... Dans un contexte géopolitique nouveau dont les contours sont en train d'être dessinés avec une recomposition des alliances, l'Algérie est favorable à des partenariats bilatéraux fiables, comme l'Italie, la Turquie, la Chine, l'Inde, et la Russie. Elle plaide pour revisiter l'Accord d'association signé avec l'UE en 2002, et entré en vigueur en 2005 qui après évaluation a quand même lésé, dans le temps et dans l'espace, les intérêts économiques du pays. L'Algérie plaide, aujourd'hui, pour une approche «gagnant-gagnant» réitérée lors du Conseil des ministres du 31 octobre 2021. Les approvisionnements en gaz de l'Espagne pourront-ils être affectés par ces nouvelles restrictions? Selon les spécialistes, cette décision ne devrait pas actuellement affecter le flux de gaz algérien vers l'Espagne, qui est maintenu normalement en accord avec les clauses contractuelles. Selon certains journaux espagnols, le gouvernement Sanchez pourrait avoir recours à l'arbitrage international pour faire valoir ses droits. Qu'est-ce que cela impliquerait pour l'Algérie? L'Espagne considère que le gel unilatéral des échanges commerciaux pourrait violer l'Accord euro-méditerranéen de 2005, qui a établi un régime de partenariat préférentiel entre la Communauté européenne et l'Algérie. Par voie de conséquence, l'Espagne envisage de dénoncer l'Algérie à l'Union européenne. Le gouvernement espagnol estime que les représailles commerciales d'Alger violent l'Accord d'association avec la communauté européenne. Selon les observateurs avertis, le gouvernement espagnol étudie la possibilité de dénoncer l'Algérie à l'UE. Le MAE Albares, a déclaré que l'Espagne prépare une réponse ferme pour la défense des intérêts et des entreprises espagnoles à la décision algérienne. L'article 38 de l'Accord d'association de l'Algérie avec l'UE stipule que les deux parties «s'engagent à autoriser, dans des monnaies librement convertibles, tous les paiements courants liés aux transactions» entre les deux pays, et à assurer la libre circulation des capitaux pour les investissements directs en Algérie et le rapatriement des bénéfices, entre autres mesures visant à éliminer les obstacles et à discriminer les échanges entre le pays du Maghreb et le bloc européen. L'accord prévoit également que tout conflit concernant l'application ou l'interprétation du traité sera soumis à un conseil d'association composé des ministres de l'UE et de l'Algérie ou, à un niveau inférieur, à un comité d'association composé de fonctionnaires des deux parties, dont l'accord sera contraignant. Dans le cas où il n'est pas possible de parvenir à un accord, trois arbitres seront nommés pour régler le différend. La porte-parole de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité, Massrali, a exprimé son inquiétude. En fait, l'UE considère que cette décision de gel unilatérale des transactions commerciales entre l'Algérie et l'Espagne pourrait être un précédent qui peut survenir dans d'autres situations et est également considéré comme un préalable à la dénonciation de l'Algérie de l'Accord d'association.