La restriction sur la délivrance des visas imposée par les pays du vieux continent vers la fin des années 80, n'a pas pour autant calmé les ardeurs de ces trabendistes, qui ont pris goût à cette aventure, certes, turbulente, mais lucrative surtout. Une partie d'entre eux s'est rabattue sur le royaume chérifien tandis que l'autre a jeté son dévolu sur la Turquie. C'est vers le début des années 80, que le trabendo a fait son apparition dans les moeurs des Oranais. A cette époque, des jeunes et moins jeunes oranais se sont reconvertis en trabendistes pour être en mesure de subvenir convenablement aux besoins de leurs familles. Nombre d'entre eux, qui percevaient un salaire de misère, ont quitté leurs employeurs pour investir leurs maigres économies dans cette nouvelle activité, qui s'est avérée finalement, lucrative pour la plupart d'entre eux, selon des recoupements d'informations. «Je regrette les années perdues dans l'entreprise où j'exerçais en qualité d'aide comptable», a expliqué Kader, actuellement gérant d'un établissement commercial versé dans la vente d'effets vestimentaires, installé dans le faubourg de Médina Djedida. Kader, à l'instar de nombreux autres Oranais, a débuté dans le métier avec ce qu'on appelle dans le jargon des trabendistes «les sacs bleu blanc rouge». Il s'agit de grands sacs en toile dans lesquels les trabendistes fourrent toutes sortes de produits ramenés généralement par bateau d'outre-mer. La marchandise est, par 1a suite, exposée sur des tréteaux de fortune ou carrément étalée sur des cartons à même le sol à Médina Djedida ou le long de la rue de La Bastille, une ruelle commerçante située au coeur de la ville. Les trabendistes oranais avaient, à l'occasion de leurs multiples voyages, allers-retours, découvert avec émerveillement les splendeurs et l'ensoleillement presque continuel des immenses plages qui s'étendent à perte de vue le long de la Costa Del Sol et de la Costa Brava de l'Espagne de Juan Carlos, fraîchement intronisé. Dès son intronisation à la tête du royaume, le roi Juan Carlos, avait donné des instructions strictes pour la promotion du secteur du tourisme. Les trabendistes oranais, qui se prétendaient des «touristo» aux postes frontaliers, avaient été touchés par l'accueil chaleureux réservé par une population espagnole qui venait de se réveiller d'une guerre civile. A cette époque, nombre de ces trabendistes ont même réussi à s'installer en Espagne en fondant un foyer. Nos jeunes businessmen ont exploité cet amalgame et n'ont pas hésité à joindre l'utile à l'agréable, grâce surtout à une certaine complaisance manifestée à leur égard par les douaniers espagnols. D'autres trabendistes, plus aguerris, ont étendu leur champ d'action en allant s'approvisionner sur le Cours Belsunce à Marseille ou chez les établissements du non moins réputé «Tati» dans le 18e arrondissement de Paris ou encore à Naples, en Italie. Une aventure turbulente, mais lucrative D'un commun accord, pour diverses raisons, ils débarquaient presque tous au port d'Oran avec d'impressionnantes quantités de marchandises variées et entassées dans les fameux grands sacs. Dans le but d'éviter les éventuelles saisies ou des excédents de bagages, synonymes d'une ponction sur le bénéfice, ils usaient d'un éventail d'astuces aussi fines les unes que les autres, en sollicitant, pour le besoin, l'aide de jeunes porteurs appelés «Djounoud» dans le jargon des trabendistes. «Il faut l'avouer, on a presque tous débuté comme ´´Djoundi´´, le temps de s'initier de l'expérience des anciens avant d'amasser le maximum d'argent provenant des ristournes pour pouvoir, par la suite, s'autofinancer en volant de nos propres ailes», a expliqué Jamel, propriétaire, d'un prêt-à-porter pour homme, dans le quartier de Médiouni, qui débute dans le métier, nous a-t-il confié, «en étalant sa marchandise sur des toiles étendues à même le sol au niveau de la rue de La Bastille». La restriction sur la délivrance des visas imposée par les pays du vieux continent vers la fin des années 80, n'a pas pour autant calmé les ardeurs de ces trabendistes, qui ont pris goût à cette aventure, certes, turbulente, mais lucrative surtout. Une partie d'entre eux s'est rabattue sur le royaume chérifien tandis que l'autre a jeté son dévolu sur la Turquie, un pays plus au moins méconnu pour nombre des trabendistes oranais à l'époque. La ville d'Istanbul, qui n'était cependant visitée qu'à l'occasion de brèves escales par les Algériens, est devenue subitement au cours de cette époque, la pierre angulaire dans le domaine des activités des trabendistes oranais. Elle était devenue le lieu d'approvisionnement d'effets vestimentaires de coupe occidentale pour hommes, femmes et enfants. Pour ce qui est de l'habillement oriental pour femme uniquement, les trabendistes se rendaient par route jusqu'à la capitale syrienne. Le trajet dure 36 heures par autobus. Pour l'achat dicté par les clientes concernant l'habillement oriental (djellabas, foulards, robes de soirée et autres souliers) les trabendistes ont concocté un véritable plan de parcours qui cible les établissements de commerce dans la ville de Damas où les prix sont très compétitifs. La marchandise rapportée de la capitale syrienne emprunte un autre circuit que celle achetée à Istanbul. Les trabendistes préfèrent l'introduire sur le territoire national via la Tunisie où le visa n'est pas exigé aux Algériens. Ce détour fait partie de l'éventail d'astuces utilisées par les trabendistes pour amortir les pertes contractées lors des saisies de marchandises aux frontières. Une autre catégorie de trabendistes oranais spécialisés dans l'électroménager a choisi comme lieu de prédilection, la ville de Mohammedia (ex-Perrégaux) communément appelée la ville des oranges, distante d'une centaine de kilomètres dOran, sur le territoire de la wilaya de Mascara. Cette appellation a, depuis, cédé sa place à «l'eldorado de l'électroménager» en raison du nouveau paysage qu'offre cette ville, qui était à vocation agropastorale dans un passé récent. L'électroménager s'est subitement installé dans les moeurs de la population de Mohammadia vers le milieu des années 80. Des tarifs pour toutes les bourses Cet état de fait a malheureusement été â l'origine de la déperdition de superficies impressionnantes d'orangers et la dilapidation du foncier agricole. En effet, selon les informations recueillies auprès de la population autochtone, un grand nombre d'agriculteurs s'est reconverti en commerçants en invoquant faussement la sécheresse. «Avides d'argent rapidement gagné, ils ont préféré vendre des terres fertiles à des promoteurs immobiliers qui les ont inondés de béton, ils ont eux aussi, bâti des maisons R+1. Les magasins au rez-de-chaussée d'articles électroménagers ont proliféré comme des champignons», a expliqué, dépité, un vieil homme natif de la région. Chez les commerçants de la ville de Mohammedia où s'approvisionnent les trabendistes, les prix des produits proposés à la vente généralement sans facture, sont très abordables par rapport à ceux des magasins à Oran où dans les autres métropoles du pays. Une baisse de prix qui atteint facilement 50% est constatée au niveau de ces établissements de commerce. Des rabais sont même accordés aux trabendistes clients par des commerçants qui activent dans la clandestinité. Il y a de tout, de la petite cafetière au grand poste de télévision grand écran en passant par les VCD, DVD et les chaînes hifi dernière gamme dans ces magasins qui jalonnent la principale artère l'ex-ville des Oranges. «J'ai un local commercial dans le quartier de Médiouni. Je viens ici pour acheter différents produits. Les commerçants de Mohammadia me connaissent et savent que je suis un bon client, il m'arrive souvent de ne pas régler immédiatement la marchandise enlevée. Avec l'avènement du numérique, j'avoue que je suis parvenu en un laps de temps à redresser ma situation financière», a souligné en substance Houari qui active dans ce domaine depuis plusieurs années sans aucune pièce justifiant son activité. A l'instar de Houari et Kader, suite à différents concours de circonstances, ils sont des centaines d'Oranais à s'être également reconvertis en trabendistes depuis l'ouverture du marché en janvier 1995 en imitant leurs aînés des années 80. Cette autre catégorie, qui dispose de beaucoup plus d'importants moyens financiers, a notamment inondé le marché oranais avec de la friperie importée par conteneurs des pays d'Europe et d'Asie- Ce créneau s'est avéré également très lucratif eu égard à la prolifération dans la capitale de l'Ouest des magasins spécialisés dans la friperie et la multitude de revendeurs à la sauvette, d'effets vestimentaires usagés qui fréquentent les rues commerçantes des faubourgs. A Médina Djedida, il existe des venelles entièrement vouées à ce genre de commerce. Les étalages de fortune sur lesquels est exposée la friperie jalonnent d'un bout à l'autre plusieurs venelles dudit faubourg. Des rabais sont automatiquement accordés à la clientèle issue généralement de couches défavorisées. «Je préfère acheter ici un ensemble pour ma petite fille à 200 dinars au lieu d'aller dans les autres magasins où la même robe est proposée à 2 000 dinars sinon plus», a confié un père de famille. Le revendeur nous explique «Beaucoup de familles achètent des habits pour leurs enfants chez nous, nous pour la rentrée des classes. Preuve, la situation peu reluisante dans laquelle se débat un certain nombre de pères et de mères de famille à Oran». Au vu du constat établi lors de notre enquête, le trabendiste semble être cette perche miraculeuse tendue en direction des gens aux petites bourses. Leurs clients donnent effectivement l'impression d'être toujours satisfaits de leur présence. En d'autres termes, la grande majorité des familles oranaises estime que le trabendo ne nuit pas. «C'est tout simplement des commerçants qui achètent et revendent en tirant un certain bénéfice, c'est préférable pour eux et pour nous autres citoyens, sinon ces jeunes risquent de balancer dans la délinquance en étant oisifs», a commenté un cadre dans une entreprise de bâtiment. Toujours est-il que le trabendo semble avoir de beaux jours à Otan avec la bénédiction de tout un chacun. Le paysage qu'offre au visiteur la multitude des marchés aux puces installés dans la capitale de l'Ouest et la foule bariolée qui les fréquente est un état de fait flagrant.