La saison estivale permet à de nombreux Algériens, résidant à l'étranger, de retrouver le pays en venant passer leurs vacances. Les uns retrouvent leurs racines, voire des souvenirs évanescents, et les autres, ceux de la nouvelle génération, découvrent le pays de leurs ancêtres. Marseille : De notre envoyé spécial Nous avons effectué le voyage avec eux dans les deux sens : Alger-Marseille et Marseille-Alger. En ce vendredi 27 juillet, il fait très beau et la traversée sur le car-ferry, Tarik Ibn Ziyad, de l'entreprise nationale de transport maritime de voyageurs (ENTMV), promet d'être calme. A la gare maritime, il n'y a pas le grand rush habituel des années précédentes. Au guichet, on nous remet notre carte d'embarquement en nous souhaitant un excellent voyage. En remplissant notre fiche de police, un jeune nous apostrophe : « Est-ce que tu peux nous aider en faisant passer une cartouche de cigarettes ? ». Il a été un tantinet étonné de notre refus. Il faut dire que ce business est bien organisé. D'ailleurs, le douanier, sans avoir vérifié notre sac, nous pose la question suivante : « Avez-vous des cigarettes sur vous ? » L'embarquement est effectué sans bousculade alors que des voitures se dirigeaient vers le garage du bateau. Après une petite heure de retard, il lève l'ancre. La bénédiction de Notre Dame d'Afrique La majorité des passagers monte sur le pont. Elle apprécie la vue panoramique qui s'offre à ses yeux. Le bateau se détache progressivement de la baie d'Alger. Au loin, on distingue la place des Martyrs, Bab-El-Oued et une partie de la corniche de Bologhine. Notre Dame d'Afrique semble saluer, voire bénir les voyageurs du haut de sa colline. Pour les juilletistes, c'est la fin des vacances. Ils saisissent ainsi les derniers instants de bonheur en les immortalisant par des photos. Les flashes crépitent. Les cris stridents et les mouvements d'aile des mouettes accompagnent le bateau à sa sortie du port, en flottant comme des corolles blanches. L'installation dans les cabines a donné quelques surprises à certains. Un jeune a trouvé un père de famille avec ses trois enfants dans sa cabine. Ils avaient le même numéro et un code d'accès identique. Heureusement, le problème a été vite pris en charge et réglé assez rapidement. Pour passer à table, il faut réserver en montrant la carte d'accès à bord et le billet. Cependant, il faut reconnaître que le service a été à la hauteur et le menu acceptable. « Tarik est un bateau qui a une âme. A chaque fois que j'emprunte le transport maritime, je demande à mon agence de voyage s'il est programmé », avoue un passager. Malgré ses 12 ans d'âge, il continue à être le bateau préféré des Algériens. Après le déjeuner, beaucoup préfèrent faire un somme car le voyage est encore long. Au bar, un groupe de jeunes bavarde de choses et d'autre. Un homme, la quarantaine, vêtu d'un tee-shirt de l'équipe de Chelsea, a rencontré une vieille connaissance. Ils en profitent pour s'échanger des nouvelles. Il précise qu'il habite Genève où il dit avoir un bon poste. Escapade sur le pont supérieur Cependant, il vient régulièrement en Algérie où il a construit un logement à Palm-Beach. Il aime aussi La Madrague (El Djamila), trouvant l'endroit familial et sécurisé. Mais, il regrette que la majorité des plages soit squattée par des jeunes qui s'autoproclament maîtres des lieux et font payer les estivants presque de force une sorte de droit d'entrée. Et pourtant, la loi interdit ce genre de pratiques. Il critique aussi le manque d'hygiène dans les restaurants algériens. « D'ailleurs, si vous voulez avoir une idée, allez aux toilettes », ironise-t-il. Allez, dans ce cas, parler de tourisme en Algérie. Suite de la page 19 Mhamed, lui, habite Mulhouse. Il a la phobie de l'avion, alors il a décidé de prendre le bateau et d'envoyer sa famille par avion. Il nous parle d'un phénomène assez inquiétant : le mariage entre les Algériens du bled et les immigrés « juste pour avoir les papiers ». Il nous fait part aussi de la difficulté d'éduquer les enfants dans une société souvent très permissive. Ecartelés entre tradition et modernité, valeurs spirituelles et temporelles, il est parfois difficile de trouver « le juste équilibre ». Sur le pont supérieur (n°8), la piscine n'est pas remplie. Une jeune femme au teint basané est pensive. Le vent agite ses cheveux rebelles. Elle manipule nerveusement son téléphone portable comme si elle attendait un appel qui ne viendra jamais… Une déception ? Une appréhension ou juste un besoin de se retrouver seule ? Peut-être les trois à la fois. Le dîner est servi à 19h. Après, chacun fera de sa soirée ce qu'il voudra. La majorité choisit le cafétéria-bar et on compense l'absence d'animation par des discussions. D'autres regardent les chaînes de télévision française jusqu'à ce que les paupières deviennent lourdes et se livrent ainsi au sommeil, ce voyage aventureux de tous les soirs. Au petit matin, le bateau arrive à Marseille. L'Eglise Notre-Dame-de-la-Garde qui domine le Vieux-Port nous souhaite la bienvenue. Après les formalités de police, nous allons à la rencontre de la cité bleue phocéenne. Nous avons choisi de revenir le 30 juillet à bord d'El Djazaïr II. Dès notre arrivée au Port autonome de Marseille, notre attention a été attirée par un groupe assez important de voyageurs prenant à partie une représentante de la Compagnie Maghreb Lines (filiale CNAN Group), car le car-ferry le Lato qui devait effectuer la liaison entre Marseille et Béjaïa est en panne au port d'Alger. Les scènes de colère se succèdent. Un policier tente de calmer les esprits. « C'est les vacances ! Et puis une panne d'un bateau ça arrive », dit-il. « Nous voulons voir les responsables. Ils se rejettent la balle à chaque incident, mais ils ont empoché notre pognon », lance une passagère mécontente par le manque d'informations. 150 passagers et 29 voitures ont été ainsi pris en plus sur El Djazaïr II et le reste sur l'Ile de Beauté (SNCM). Par rapport à l'aller, il y a plus de monde. Les aoûtiens ont choisi en force la destination Algérie. Il y a beaucoup de familles, des groupes d'amis et quelques solitaires. Comme à l'aller, il y a eu quelques problèmes avec les cabines. Le repas est réparti sur trois services d'une qualité moyenne. Le personnel semble dépassé et désorganisé. Il ne sert pas, il expédie comme pressé d'en finir. Dans les cabines (couchettes), il n'y a pas de savonnette, ni de serviette. Mohand est un jeune immigré qui a réussi à percer dans la restauration à Paris. Il est venu, cette année, avec un costume dans ses bagages pour un ami qui va convoler en justes noces en Kabylie. Technicien de formation, il a opté pour la restauration parce que « çà rapporte plus sans compter les pourboires ». Sa vie en France est un combat permanent. A un ami qui lui fait remarquer que la discrimination est une réalité, il lui répond ironiquement : « Il y a autant de méconnaissance que de mauvaises intentions ! » Il le taquine : « Mais tu n'es pas chez toi. » Un autre jeune s'est lancé dans un débat philosophique sur le sens de la vie et des religions. Il est difficile de discerner entre les dérives et les vérités. Tous les trois sont contents de revoir le pays, car il est important, pour eux, de garder le cordon ombilical avec El Djazaïr. Chassé-croisé des juillettistes et des aoûtiens Le free-shop ouvre. Les produits les plus demandés sont les cigarettes (Marlboro en tête de liste) et, le vin et à un degré moindre, les parfums. Il faut penser à tous : à chacun son petit cadeau. Contrairement à Tarik, l'animation est proposée après le dîner. Vers les coups de 23h, musique à volonté ! Les enfants sont les premiers à envahir la scène. Une femme, passant outre sa timidité, se met à danser. Elle semble rechercher l'ivresse et le vertige. Une manière de vaincre les pesanteurs sociologiques. Les rythmes de la chanson kabyle et le raï libèrent les corps. Un avant-goût de l'ambiance qui les attend au pays. La scène se remplit progressivement. Jeunes, moins jeunes et personnes âgées ne se privent plus de se faire plaisir. Ils s'amusent tout simplement. Des idées d'évasion tourbillonnent dans leur tête avec un vague désordre de rêves. Après une bonne nuit, ils se réveillent alors que le bateau s'approche des quais du port d'Alger. Ils distinguent les immeubles, les arcades et La Casbah. A la gare maritime, s'ensuit un petit désordre qui énerve les passagers après le débarquement. Une chaîne s'est formée et elle était peu fluide. Deux scanners de la douane fonctionnaient. Il y a eu des sifflements et de la protestation contre la lenteur des opérations de contrôle. Les vacances commencent…Pour M. Halkoum, le P-DG de l'ENTMV, la saison 2007 a les mêmes caractéristiques que celle de l'année dernière. « Même si nous chargeons correctement les bateaux, nous n'avons pas le plein ou le débordement connu par le passé, notamment, entre le 14 et le 20 juillet. Un bateau de 1300 passagers a une moyenne de 1000 passagers, une marge qui dépasse les 10 à 15% de disponibilité par navire. Nous sommes à l'aise surtout sur la ligne Espagne, où on ne sent pas le rush habituel. » Quelles en sont les raisons ? Selon lui, elles sont multiples : « Il y a eu un bouleversement du marché et la suppression des véhicules de moins de trois ans. Ils compensaient un petit peu, c'était le surplus qui venait s'ajouter au remplissage de l'immigration qui rentrait en Algérie. Le deuxième point, c'est qu'en 2006, nous avons mis en place des tarifs promotionnels en hiver. Ils sont tellement bas que beaucoup de gens ont préféré voyager en hiver et non pas en été. La troisième explication : il ne faut pas perdre de vue que le Ramadhan cette année va avancer et on va commencer le 13 septembre. Des familles d'immigrés qui n'ont pas d'obligations d'enfants, d'écoles ou de scolarisation, vont préférer prendre leurs vacances de manière à passer le Ramadhan ou l'Aïd en Algérie. » Cette année, l'ENTMV a cinq car-ferries sur les deux réseaux (France et Espagne), deux navires en entière propriété (le Tarik Ibn Ziyad et El Djazaïr II). Le Tassilli II est en panne technique et n'a pu être exploité cet été. Trois navires ont été affrétés, deux faisant partie de l'affrètement traditionnel pour compléter et répondre aux besoins de la capacité et un troisième pour remplacer le Tassilli II. Les clients ne semblent pas avoir de problèmes particuliers à trouver des places aux dates de leur choix. Les transporteurs sont nombreux. Sur le réseau Espagne, il y a la Transmediterranéa avec un navire quotidien sur Oran et Alicante et Almeria-Ghazaouet et l'ENTMV a jusqu'à deux navires par jour sur Oran-Alicante et un navire une fois par semaine Alger-Alicante. Sur les lignes vers la France, il y a beaucoup de traversées : la SNCM avec des navires supergros porteurs et qui a augmenté sa cadence avec deux navires sur l'Algérie (l'Ile de Beauté et le Corse) ainsi que le Méditerranée quelquefois. La CML Ferries a investi le créneau depuis le 1er juillet et ouvert des lignes sur Marseille, Barcelone et Tunis au départ d'Alger. Le marché est essentiellement en France (avec l'immigration 80%) et 20% de nationaux. La cause réside dans les restrictions en matière d'octroi de visas Schengen. Les touristes algériens en majorité (50 %) vont en famille en Espagne. Le reste est constitué d'hommes d'affaires ou ceux qui font du commerce occasionnel. « Les porteurs de valises » ou trabendistes ont nettement diminué. Un service de facilitation se réunit régulièrement pour relever les insuffisances au niveau des ports et apporte les corrections nécessaires. En été, prendre le bateau est agréable. On est en vacances dès qu'on monte à bord et en embarquant sa voiture pour être plus autonome. Les immigrés reviennent ainsi chaque année, pour enlever le stress des grandes villes européennes et se retremper dans l'ambiance d'un pays, qu'ils ont quitté un peu malgré eux.