Il avait promis à l'Arabie saoudite un statut de «paria», voilà qu'il s'apprête à rencontrer le prince héritier Mohammed ben Salmane: Joe Biden s'envole aujourd'hui pour un premier voyage particulièrement délicat au Moyen-Orient. Le président américain sera demain chez l'entité sioniste. Mais surtout, vendredi, il ira à Djeddah, en Arabie saoudite. Air Force One effectuera un vol direct inédit entre l'Etat hébreu et ce pays qui ne reconnaît pas son existence. Donald Trump avait fait un trajet historique, en 2017, dans l'autre sens. En campagne, Joe Biden voulait réduire la monarchie au rang de «paria» pour l'assassinat en 2018 du journaliste Jamal Khashoggi. Elu, il a déclassifié un rapport concluant que «MBS», homme fort du royaume, avait «validé» ce meurtre. Mais le voilà prêt à renouer avec un pays qui est depuis des décennies un allié stratégique incontournable des Etats-Unis, un gros pourvoyeur de pétrole et un acheteur avide d'armement. «Nous avons renversé la politique de chèque en blanc que nous avions héritée» du précédent président Donald Trump, très indulgent avec Riyadh, se défend Joe Biden dans une tribune au Washington Post, samedi.»Depuis le début, mon but a été de réorienter - mais pas de rompre - les relations», assure-t-il. «Je sais que beaucoup ne sont pas d'accord avec ma décision d'aller en Arabie saoudite», constate le démocrate de 79 ans, qui promet que «les libertés fondamentales» seront au programme de son déplacement. Joe Biden «a découvert ce que toutes les administrations américaines réalisent depuis des décennies: il y a bien des choses au Moyen-Orient et dans le monde qui sont beaucoup plus faciles à faire si les Saoudiens essaient de vous aider», résume Jon Alterman, expert du Center for strategic and international studies (CSIS). Dans sa tribune, Joe Biden assure que Riyadh «travaille avec (ses) experts pour aider à stabiliser le marché pétrolier». Washington voudrait que le premier exportateur de brut du monde ouvre les vannes pour faire baisser le prix élevé de l'essence, qui plombe les chances des démocrates aux élections législatives de novembre. «Les intérêts stratégiques et le contentement des conducteurs de Ford Expedition (l'un de ces lourds SUV dont raffolent les Américains, Ndlr) ont toujours primé sur les courageux activistes» au Moyen-Orient, assène Steven Cook, expert du Council for Foreign Relations. Washington a aussi besoin de l'Arabie saoudite pour faire face à l'Iran. Au-delà d'éventuelles annonces, la Maison-Blanche sait que l'enjeu de ce déplacement sera surtout une image: la rencontre avec Mohammed ben Salmane, que Joe Biden verra pendant une réunion élargie autour du roi Salmane. Sera-t-elle publique ou à l'écart des objectifs? Y aura-t-il une poignée de main? Un échange d'amabilités? Nul doute que l'équipe Biden «a passé beaucoup de temps à réfléchir (à cette rencontre) et à la gérer. L'inconnue, évidemment, c'est que l'autre partie peut perturber ces plans», explique Marti Flacks, spécialiste des droits humains au CSIS. Joe Biden ne veut pas apparaître comme un cynique qui se renie pour quelques barils. Mais «MBS» peut être tenté de braquer les projecteurs sur son interaction avec le «leader du monde libre». Pour contrer les reproches de marchandage, le président américain essaie de se donner dans sa tribune un rôle en surplomb, lui qui jusqu'ici s'est beaucoup moins occupé du Moyen-Orient que de la Russie ou de la Chine. Il se voit en facilitateur des «tendances prometteuses» dans la région et en stratège face aux dangers pour les intérêts américains et sionistes: programme nucléaire iranien, guerre au Yémen, soubresauts en Syrie, en Libye, en Irak et au Liban. Joe Biden promet en particulier d'«approfondir et étendre» le processus de normalisation des relations entre Israël et certains pays arabes, lancé sous la tutelle de Donald Trump. Autour du trait d'union symbolique que tracera Air Force One, les analystes anticipent quelques annonces sur la relation entre l'Arabie saoudite et Israël. L'entité sioniste tient beaucoup à recevoir Joe Biden en grande pompe, même en plein tumulte politique: l'Etat hébreu organise en novembre ses cinquièmes élections en moins de quatre ans. Le président américain doit rencontrer le Premier ministre intérimaire Yaïr Lapid, mais ses conseillers insistent sur le fait qu'il verra aussi le président palestinien Mahmoud Abbas, alors que Donald Trump avait clairement écarté les Palestiniens pendant son mandat. Une ombre planera sur la visite: celle de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh, tuée en mai par un sniper de l'armée sioniste. Sa famille a demandé à rencontrer Joe Biden. La Maison-Blanche décline jusqu'ici tout commentaire sur cette requête.