«Fallait-il partir à Sétif ou non?». La trame du roman est en effet construite sur la base de cette question. Encore un mot sur la Révolution. Encore un livre sur la révolte. Encore un roman sur le peuple. Une méditation de plus? Non, mais c'est l'une des pièces manquantes au puzzle. Un puzzle qui ne sera peut-être jamais complété. Ces phrases expliquent un tant soit peu le fond du roman Le fugitif de Omar Mokhtar Chaalal. Dans ce livre, paru dernièrement aux Editions Casbah, l'auteur semble descendre les escaliers du Temps à reculant. Il revoit son passé de militant. Le passé d'un fervent défenseur du peuple, de la plèbe. Car, il faut le dire tout de suite, au risque de s'égarer, Omar Mokhtar Chaalal est l'un des farouches opposants du système en place. Un système qui s'est profondément enraciné après le coup d'Etat du 19 juin 1965. Il a, en effet, appartenu à l'organisation clandestine du Parti de l'avant garde socialiste (Pags). Il a été arrêté et incarcéré à la Maison d'arrêt d'El Harrach puis à celle de Sétif avant d'être mis en résidence surveillée à Annaba. Le fugitif, un roman de 126 pages, aurait, en outre, pu être intitulé Revoir Sétif et...car toute sa trame est construite sur le voyage du narrateur dans sa ville natale, Sétif. La maladie de son frère aîné le met dans un véritable dilemme. «Fallait-il partir à Sétif ou non?». Partir ou ne pas partir, c'est la question qui taraude l'esprit du narrateur. «J'avais le sentiment et la sensation de dériver entre plusieurs eaux, j'étais complètement partagé entre deux moi-même, quand je voulais aller vers une rive, l'autre moi m'attirait vers la rive opposée». Mais tout de même, fallait-il partir à Sétif ou non? Pourtant, il faut bien prendre une décision. «Il n'y a pas à réfléchir, tu dois partir à Sétif, ton frère t'attend...» Le narrateur est plongé dans un tourbillon inextricable de questions. «Le visage souriant de mon aîné défila devant mes yeux embués par la fièvre. Des paysages de l'enfance envahissent mon cerveau, je me revis enfant quand, pour la première fois, Ahmed m'emmena dans une salle de cinéma.» Fallait-il partir à Sétif ou non? «Non ! Je ne peux pas mettre en danger mes camarades. Le voyage à Sétif est périlleux, une arrestation est possible, et si c'est le cas, pourrais-je résister aux tortures? Une dénonciation signifierait l'anéantissement de l'organisation du Parti. Non ! Je ne saurais être l'auteur d'un tel acte». Dans Le fugitif, l'auteur replonge son lecteur dans le coeur de la guerre de Libération nationale. C'est ainsi qu'il revoit les actes héroïques de ses compagnons de lutte qui ont réussi, entre autre, à dérober son arme à un soldat français. Néanmoins, l'auteur refuse de mythifier cette Révolution qui, à l'instar de toutes les révolutions, est faite de blessures, de cendres et de larmes. Aussi, ce roman est un clin d'oeil à Kateb Yacine. En effet, celui qui lira ce roman découvrira non seulement la rue des Vandales katebienne, mais encore les personnages qui la peuplent. Il y a tout d'abord Si Mokhtar, à la fois amant et père de Nedjma ; ensuite Lakhdar, Rachid et Kamel. Omar Mokhtar Chaalal les ressuscite et leur redonne vie pour refaire une autre vie, même si leur destinée est pratiquement inchangée sous la plume de l'auteur. Le fugitif , «au départ, ce devait être seulement l'histoire d'un poème dans lequel deux larmes inondent et le coeur d'un proscrit et le monde de l'oppression...» Si c'est pour un poème, ce roman en un. Et si c'est pour un roman, ce poème en est un autre.