Il y a une volonté évidente d'instaurer un climat de sérénité entre le pouvoir et les médias. On s'y attendait depuis quelques jours, et la nouvelle a été confirmée. Le chef de l'Etat a pris la mesure qu'il fallait pour décrisper le climat tendu qui caractérisait ses relations avec la presse. Les mesures de grâce présidentielle au profit des journalistes, décidées à l´occasion de la célébration du 40e anniversaire de la Fête nationale de l´indépendance et de la jeunesse, «comportent une remise totale des peines d´emprisonnement et/ou d´amende auxquelles ils ont été condamnés pour outrage à fonctionnaire, outrage à institutions et corps constitués, diffamation et injure». Quelque part, M.Bouteflika adapte ses actes à la parole, lui qui n'avait cessé tout au long du premier mandat présidentiel de proclamer son attachement à la liberté d'expression, tout en décochant des flèches parfois acérées à l'endroit des journalistes. Le geste du chef de l'Etat fait faire à l'Algérie un bond de plusieurs décennies en avant, puisque la société de l'information, qui conditionne toute entrée dans la modernité, a été bridée par les visions diamétralement opposées des deux côtés de la barrière pouvoir-presse. Cela a aussi pour conséquence de donner du crédit à la rencontre organisée par El Hachemi Djiar avec les représentants de la presse, rencontre au cours de laquelle il avait exprimé des changements importants et l'avènement d'une nouvelle ère. On oubliera donc que le président Abdelaziz Bouteflika a eu des rapports exécrables avec une bonne partie des journalistes de la presse privée, depuis son arrivée à la magistrature suprême en 1999 jusqu'à il y a environ deux mois. On se rappelle, en effet, que le 3 mai dernier, le chef de l'Etat voulait fumer le calumet de la paix en rétablissant de bons contacts avec les journalistes. Que pouvait-il faire d'autre que de décréter une grâce touchant les délits de presse? Mais voilà, les responsables chargés de ce dossier au niveau du ministère de la Justice ne furent pas à la hauteur de cet heureux événement, puisque cette mesure de grâce qui se voulait spectaculaire et à même d'ouvrir une nouvelle page dans les relations pouvoir-presse ne touchait que moins de 3% des affaires. Parce que, figurez-vous, près de 97% des procès étaient toujours en instance, soit parce qu'il n'y avait pas eu un jugement définitif, soit qu'il y avait un appel ou un renvoi. Il est difficile, direz-vous, d'enterrer la hache de guerre dans ces conditions. Cela veut dire quoi, sinon que les personnes chargées de traiter et d'instruire ce dossier l'avaient fait un peu à la légère, en enlevant toute sa portée à un geste que le président voulait à la fois symbolique et décisif. On rapporte même que le président de la République avait piqué une colère noire le 3 mai dernier, lorsque sa grâce fut de nulle effet, au motif que la grande masse des affaires judiciaires portant sur les délits de presse n'étaient pas jugées définitivement. Il s'agissait donc de rattraper le coup à l'occasion du 5 Juillet, une date si importante dans l'imaginaire collectif, puisqu'elle marque la date de l'indépendance du pays, en revenant sur ces délits qui n'ont pas connu «un jugement définitif». Il eut été possible par exemple de décréter que toutes les affaires liées aux délits de presse, abouties ou non, seraient amnistiées ; mais on a opté pour une autre solution: en convoquant à la hâte tous les journalistes devant le juge pour hier, soit au total quelque 67 affaires. Un record assurément. Cela met à nu les dysfonctionnements du système judiciaire en Algérie, marqué par une bureaucratie trop pesante. Sachant que le chef de l'Etat voulait décidément tourner la page pour inaugurer une ère de rapports apaisés et un climat de sérénité avec le monde de la presse, il fut surpris de voir lui-même que les deux appareils (administratif et judiciaire) ont été non seulement longs à la gâchette, mais aussi inefficaces, l'incompétence et la mauvaise volonté se conjuguant pour produire le même effet. La force d'inertie que représente l'ensemble des appareils bureaucratiques de l'Etat a trouvé son illustration la plus parfaite. Conséquence, le ministre de la Justice et garde des Sceaux, a dû donner un coup de balai en remaniant pratiquement les titulaires des postes principaux de son département ministériel. Cela dit, quand on fait les choses à la hâte, il y a toujours un cafouillage qui se produit: certains journalistes ont reçu leurs convocations, d'autres pas. Les convocations furent envoyées de nuit. Dans l'agenda officiel concernant cette affaire, il se dit qu'après l'annonce de la mesure de grâce dans son discours du 5 juillet, une ordonnance présidentielle sera promulguée le 9 juillet après son adoption, par les deux chambres du Parlement. On voit qu'il s'agit d'aller vite, comme si le président voulait rattraper le temps perdu. On sentait, du reste, le vent du changement dans la rencontre qui a regroupé le ministre de la Communication, El Hachemi Djiar, proche collaborateur de M.Bouteflika, avec les responsables des organes publics et privés au Cercle de l'armée à Beni Messous il y a quelques jours, une rencontre au cours de laquelle ont été annoncés des changements importants touchant le statut du journaliste, les rapports pouvoirs-presse, la publicité, la diffusion, l'ouverture audiovisuelle, voire l'élaboration d'une nouvelle loi sur l'information. Cela est le signe d'une volonté de décrispation, et en même temps de donner toute sa chance à l'avènement d'une société de l'information en Algérie, en ouvrant le secteur tous azimuts, pour rattraper les retards accumulés, du fait des incompréhensions et des échanges acrimonieux entre les différents protagonistes.