Chaque nouveau projet de texte exprime le rapport de forces du moment. L'Algérie aura donc, à l'issue du référendum de cette année, à adopter sa quatrième Constitution depuis 1962. Soit pratiquement une Constitution par décennie. On n'aura donc pas failli à la règle. Un petit retour en arrière nous montre que la première Constitution de 1963, qui fut rédigée dans un cinéma de Belcourt, avait court-circuité l'Assemblée constituante qui avait été élue, pour rédiger un projet de texte avant qu'il ne soit soumis au peuple pour son adoption par référendum. Quant aux tendances lourdes de cette loi fondamentale de 1963, on peut considérer qu'elles s'articulent autour de quelques points principaux. D'abord l'édifice du pouvoir est construit autour du président de la République, chef suprême des armées qui concentre entre ses mains d'énormes pouvoirs. Cependant, on peut lire dans l'article 56 que le vote d'une motion de censure à la majorité absolue des députés de l'Assemblée nationale peut entraîner la démission du président de la République et la dissolution automatique de l'Assemblée nationale. On peut également remarquer que le poste du chef de gouvernement (ou de Premier ministre) n'est pas prévu par la Constitution. Sur le plan économique, le préambule stipule la mise en oeuvre de la réforme agraire et la création d'une économie nationale dont la gestion sera assurée par les travailleurs. Globalement, on peut donc conclure que l'option socialiste est consacrée. Concernant le pluralisme, les libertés et le droit de presse, il y a cet article 19 qui dispose que la République garantit la liberté de presse et des autres moyens d'information, la liberté d'association, la liberté de parole et d'intervention publique ainsi que la liberté de réunion. Cet article 19 ne fait que consacrer une situation de fait, puisqu'au lendemain de l'indépendance, des journaux de droit privé, certains hérités de la période coloniale, étaient déjà sur la place, alors que les journaux d'Etat n'existaient pas encore. Mais une résolution du comité central du FLN allait revenir sur cet acquis, en décrétant soit la nationalisation des titres, soit la création de nouveaux titres sous l'égide de l'Etat ou du parti du FLN. Quant à l'article 20, il consacre le droit syndical, le droit de grève et la participation des travailleurs à la gestion des entreprises, dans le cadre de la loi. On comprendra à travers ce jargon que le pluralisme syndical lui, n'est pas reconnu, et cela constitue une limite très importante aux libertés publiques. Du reste le pluralisme tout court est banni du paysage politique algérien, puisque le préambule insiste sur la nécessité d'un parti d'avant-garde et son rôle prédominant dans l'élaboration et le contrôle de la politique de la nation, un parti dont l'organisation et les structures sont calquées sur le modèle du centralisme démocratique à l'instar des pays de l'Est. La chose sera clarifiée dans l'article 23 qui précise que le FLN est le parti unique d'avant-garde en Algérie. Il définit (article 24) la politique de la nation et inspire l'action de l'Etat. Il contrôle l‘action de l'Assemblée nationale et du gouvernement. Cette Constitution de 1963 sera néanmoins gelée à la suite du coup d'Etat de 1965 et le président du Conseil de la révolution concentrera entre ses mains tous les pouvoirs, promulguant des lois par ordonnance. Il est le chef des armées, il dirige la diplomatie et le gouvernement. La presse est plus que jamais sous le contrôle exclusif de l'Etat, le parti du FLN étant désormais réduit à un appareil. Quant à la loi fondamentale de 1976, elle se veut un peu le retour à la normalité constitutionnelle. Dans la réalité, elle va donner des pouvoirs énormes au président de la République, qui n'est autre que Houari Boumediene, qui exerce une dictature militaire et jouit des pleins pouvoirs. Le principe du parti unique est consacré dans les textes. L'orientation socialiste est réaffirmée, ainsi que le monopole de l'Etat sur le commerce et les principaux leviers de l'économie. Par conséquent, la seule Constitution qui va marquer une rupture avec le passé sera la Constitution de 1989 , qui instaure le multipartisme et le pluralisme, autorise la liberté de presse et la création de journaux échappant au contrôle de l'Etat, met fin à l'option socialiste, crée un poste de chef de gouvernement responsable devant l'Assemblée nationale...On entrerait de plain-pied dans la deuxième République. Cependant, les soubresauts de la vie politique algérienne amèneront une fois de plus les autorités algériennes à geler dans les faits l'application de cette Constitution de 1989, qui avait permis l'élection d'une Assemblée nationale à majorité islamiste (ex-FIS). C'est sans doute la raison pour laquelle une nouvelle Constitution verra le jour en 1996: le président de la République jouira de pouvoirs encore plus exorbitants, alors qu'une chambre haute (Sénat) appelée Conseil de la nation, dont un tiers des membres sont nommés par le président de la République, est censée limiter les pouvoirs de l'Assemblée nationale dont les membres sont élus au suffrage universel. D'autres institutions, comme le Conseil d'Etat, sont également prévues. Mais l'une des dispositions les plus importantes porte sur la limitation des mandats du président de la République. Aujourd'hui, l'ensemble des dispositions de cette Constitution de 1996 semble ne pas avoir l'heur de plaire au président Abdelaziz Bouteflika. Une projet de texte a été élaboré par le parti du FLN, parti de la majorité dont M.Bouteflika est président d'honneur. Va-t-on entrer dans une troisième République?