«Ce que veulent les Palestiniens, c'est d'abord vivre simplement et avoir le droit à l'autodétermination». Née à Alger en 1966, Adila Laïdi a soutenu une maîtrise en études arabes contemporaines de l'université de Georgetown (Washington). De 1996 à 2005, elle a dirigé le Centre culturel Khalil-Sakakini à Ramallah. Elle enseigne actuellement à l'université de Bir Zeït, dans le département philosophie et études culturelles. Invitée à des tables rondes, initiées dans le cadre des Rencontres d'Ibn Rochd, par les éditions Barzakh et l'association Chrysalide, qui se sont tenues à Alger du 13 au 17 juin, et placées sous le signe du «vivre ensemble», Adila nous parlera de sa vision du monde, de la Palestine bien sûr et nous révèlera sa façon de concevoir ce respect mutuel afin de prétendre à une vie meilleure d'abord entre nous et puis avec les autres, enfin ; elle nous donnera un aperçu de sa pertinente intervention, à la Bibliothèque nationale... L'Expression: Vous avez été invitée dans le cadre des Rencontres d'Ibn Rochd qui se sont tenues du 13 au 17 juin à Alger. Des rencontres placées sous le signe du «vivre ensemble». En tant qu'Algérienne vivant en Palestine, quel regard portez-vous justement sur ce sujet? Adila Laïdi-Hanieh: Comme je l'ai dit dans mon intervention, premièrement la question en Palestine n'est pas de l'ordre du vivre ensemble parce que ce que veulent les Palestiniens, c'est d'abord vivre simplement et avoir le droit à l'autodétermination. Ce n'est pas une question de droits civiques ou de discrimination. Pour les Palestiniens, c'est une question beaucoup plus basique. C'est le fait que les Palestiniens soient le dernier peuple sur terre qui soit encore colonisé. Cela n'a rien à voir avec le vivre ensemble, mais c'est une question qui est nourrie par les problèmes intercommunautaires dans d'autres pays, dans d'autres cultures. Mais il y a des murs qui s'érigent qui interdisent aux gens de vivre ensemble justement... Oui mais ce ne sont pas les murs qui séparent les Israéliens des Palestiniens. Ce sont des murs qui séparent les Palestiniens des Palestiniens. Ils servent à isoler les communautés palestiniennes pour que l'Etat israélien puisse mieux s'approprier leurs terres. La séparation entre Palestiniens et Israéliens faite depuis longtemps. Les Palestiniens ne cherchent pas à s'intégrer avec les Israéliens et les Israéliens, réciproquement. Encore une fois, ce n'est pas une problématique du vivre ensemble, mais plutôt d'autodétermination pour les Palestiniens. La solution est claire, c'est l'indépendance de la Palestine, la création d'un Etat palestinien. On peut très bien vivre sur la même terre sans vivre ensemble. C'est le cas maintenant. Les Israéliens vivent dans leurs colonies, sur des terres qu'ils ont volées aux Palestiniens et les Palestiniens vivent dans leurs villages. En tant qu'Algérienne vivant en Palestine, on peut dire que c'est un vécu à double tranchant que vous avez enduré ces dernières années... Oui, mais comme je l'ai dit dans mon intervention, tout cela est dû à un manque de respect mutuel. Il y a un déficit en matière de respect de la différence de l'autre. J'espère que cela ne se reproduise plus. Mais la culture sociale en Palestine est différente. Il y a moins de présence d'armes et de violence extrême sur le modèle algérien tel qu'il a été vécu. Pour moi, l'essentiel est de se voir se respecter les uns les autres, entre Arabes et musulmans d'abord, avant de penser à l'étranger... Alors, pourriez-vous, pour finir, nous résumer votre vision des choses telle que développée dans votre communication? J'ai dit qu'il faut se respecter avant tout, car dans le monde arabe il y a deux conceptions du monde qui se côtoient et qui s'affrontent. Une vision moderne et une autre pré-moderne. La vision moderne de la société est faite d'humanisme, d'égalité des droits et l'autre vision est faite de primauté du religieux sur le public, dans une vision patriarcale de la société qui ne prend de la modernité que ses acquis technologiques et structurels et qui se réfugie dans une vision épurée et imaginaire du patrimoine culturel et religieux et qui reconstruit des essentialismes orientalistes presque. Je ne suis pas en train de condamner ou de jeter la pierre, ceci je l'ai expliqué par le fait que le contact avec la modernité s'est fait dans les cultures arabo-musulmanes de façon violente à travers le colonialisme qui a imposé ses valeurs de modernité sur les pays arabes et musulmans, c'est ce qui fait que la modernité dans ces pays est associée au fait du colonisateur et pas à une modernité volontaire et naturelle. Ce qui fait qu'il y a un clivage qui a été créé dans la mentalité arabe quant à la réception de la modernité. Dans la société arabe, il y a un nombre de penseurs qui ont exprimé cette dualité, qui existe jusqu'à présent. La question qu'on doit se poser est : prenons-nous de la modernité son esprit ou bien ses structures et ses fruits et comment ; d'un autre côté, appréhender cette modernité à l'occidentale qui est contradictoire car d'un côté elle est vecteur d'idéaux universalistes et humains etc., et de l'autre, elle véhicule une pratique impérialiste et colonisatrice qui est complètement en contradiction avec ces idéaux-là.