La ville pour la jeunesse «est un grand camp de concertation». Dire que les étés de Constantine sont monotones ne peut forcément être qu'un hypocrite euphémisme pour cacher une bien triste réalité que tout le monde décrie, mais qu'aucun n'a essayé de changer. Hormis la catégorie des privilégiés qui ont les moyens de s'offrir des vacances à l'étranger et, généralement, c'est la Tunisie, l'écrasante majorité des jeunes Constantinois subit , depuis toujours, le poids de la canicule et l'absence totale de moyens de distraction. Cela, tout le monde le sait. Les élus locaux en premier lieu. Et pourtant, au début de chaque été, on s'efforce tant bien que mal d'échafauder quelques programmes de manière superficielle sans aller au fond des choses. Pour cette année, le fameux «Plan Bleu» est encore programmé. Il accuse beaucoup d'insuffisances, puisque les virées hebdomadaires en mer n'arrivent plus à répondre aux besoins énormes d'une population privée presque de tout. Dans ce contexte caractérisé par la chaleur torride, un environnement urbain hostile, un taux de chômage élevé et une évolution inquiétante de l'insécurité, il paraît démesuré et complètement anarchique de parler de technologie. Les cybercafés offrent, certes, une petite ouverture aux nombreux initiés à l'informatique et à la manipulation des ordinateurs, mais cela reste limité quand même. Des milliers de jeunes n'ont pas encore atteint ce stade. Leurs rêves se limitent à une piscine, à une aire de jeu ou à un terrain de football. Quelques jours avant le début de la Coupe du monde, les amateurs de football ont pris d'assaut les cybercafés afin de tenter de trouver le code des chaînes TPS, en vain. Ingénieurs et superdoués en informatique ont tout essayé sans résultat. Le cryptage de TPS est, cette fois-ci, trop sérieux puisqu'il est question de centaines de millions d'euros. Les autres rapports plus ou moins sérieux qu'entretiennent les jeunes Constantinois avec la technologie se résument à l'Internet, au chat et aux tentatives désespérées de s'embarquer dans une aventure de l'autre côté de la Méditerranée ou l'océan Atlantique. A Constantine, le faible taux de fréquentation des cybercafés dénote le malaise profond que vit la jeunesse. Lorsqu'on habite dans un ghetto comme la nouvelle ville Ali Mendjli et Massinissa et qu'on est six ou sept adultes dans un F3, on n'a pas le temps de regarder plus loin que le bout de son nez. Pour des milliers de jeunes, Constantine n'offre aucune alternative. Elle ressemble plutôt à une prison à ciel ouvert. Nombreux sont les universitaires au chômage qui rêvent d'entrer de plain-pied dans l'ère de la technologie de pointe, mais qui n'ont pas les moyens nécessaires. Ils errent de café en café en tentant de supporter leur désarroi en fumant du haschisch. Pour eux, Constantine est un énorme «camp de concentration». Sydney ou Los Angeles, c'est sûrement une autre planète.