Les opérations actuelles en Afghanistan et en Palestine interpellent la mémoire de la génération de la guerre et évoquent en elle des souvenirs douloureux des ratissages meurtriers de la Légion étrangère et des paras. C'est dans ce climat de terreur et de souffrance indicible de tout un peuple que le Croissant-Rouge algérien a dû oeu- vrer pour sauver des vies humaines, soigner et mettre à l'abri en Tunisie et au Maroc près de 8.000 réfugiés. L'accueil généreux et fraternel des frontaliers tunisiens et marocains et l'aide internationale en provenance des pays frères et des pays amis, venue ensuite, ont permis au Croissant-Rouge algérien de faire face à une situation dramatique et d'éviter un désastre. Les organisations humanitaires arabes, suédoise, yougoslave, soviétique et allemande tout particulièrement ont beaucoup fait pour soulager la misère et les souffrances de ces centaines de milliers de réfugiés. Quant aux autres organisations humanitaires européennes ou américaines, elles avaient un bandeau sur les yeux et ne voulaient rien voir. Les organisations internationales relevant du système des nations ont observé la même prudence «diplomatique». Elles ont attendu les accords d'Evian pour demander au Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) d'aider le Croissant-Rouge algérien à organiser le retour des réfugiés dans leurs foyers. Grandeur et servitudes des relations internationales! Entre hier et aujourd'hui: peu de choses ont changé. Pis encore, on se sert de l'action humanitaire maintenant pour bombarder des civils désarmés, innocents et déjà accablés par un destin cruel, depuis des décennies. En ce qui concerne le Croissant-Rouge algérien, il faut être fier de son dévouement et de son sens élevé du devoir humanitaire. A ce titre, deux ou trois souvenirs, entre bien d'autres, viennent en mémoire. Le premier concerne la libération, sous l'égide du CRA et de l'entraide nationale marocaine, de 12 prisonniers français de l'ALN. a cérémonie eut lieu à Rabat, dans les locaux du FLN. Ce fut la princesse Lalla Aïcha, l'aînée du regretté Mohamed V et soeur du feu Hassan II, qui présida la cérémonie du côté marocain, le Dr Djilali Bentami, représentant permanent du CRA auprès de la Croix-Rouge internationale à Genève, prononça l'allocution de circonstance. Ce fut une scène poignante lorsque le Dr Bentami, au nom de l'ALN, remit les prisonniers libérés à Lalla Aïcha qui les confia à son tour, sur le champ, au délégué de la Croix- Rouge internationale. C'était d'autant plus poignant que ce geste de générosité et de grandeur de l'Algérie combattante se voulait comme la réponse de l'intelligence et de la raison à l'exécution, deux semaines plus tôt, de deux patriotes algériens dans les prisons coloniales. Le second souvenir qui vient en mémoire au sujet du CRA pendant la Guerre de libération est ce bateau sanitaire soviétique sortant du port de Casablanca en direction d'Odessa en novembre 1960 avec à son bord, près de 300 grands blessés de guerre algériens que l'URSS voulait bien prendre en charge pour les soigner et les appareiller. Tous étaient amputés, grands invalides, victimes des mines de la Ligne Morice de triste mémoire. J'aimerais égrener d'autres souvenirs concernant le travail humanitaire du FLN et de son organisation sociale, le CRA, durant la guerre. Mais je me bornerai à en ajouter un, parce que, à lui seul, il témoigne suffisamment de l'humanisme de notre combat. Il concerne les Légionnaires de l'armée coloniale. On sait ce que l'état-major français a fait de ces jeunes égarés étrangers qui s'enrolaient dans ses unités de légionnaires-parachutistes, une armée de tueurs, sans foi ni loi, sans âme et sans merci, dressés pour tuer et obéir mécaniquement sans réfléchir. Et pourtant c'est à l'égard de ces hommes en perdition morale et humaine, que l'ALN et le FLN allaient réserver non seulement le pardon, dès qu'ils désertaient et rejoignaient nos lignes, mais aussi et surtout une prise en charge morale médicale et matérielle, d'une générosité sans pareille, jusqu'à leur retour, chez eux, dans leurs pays d'origine et dans leur famille. Grâce à l'un d'eux, décédé récemment à Tamanrasset où il s'était retiré pour diriger les réserves nationales du Tassili après celles du Djurdjura à l'indépendance - toute une organisation secrète et efficace en faveur des déserteurs de la Légion étrangère a été mise au point: de Sidi Bel Abbes à Francfort, en passant par Oujda, Nador et Casablanca. Mustapha Muller, puisque c'est de lui qu'il s'agit - a été, sans aucun doute, un des meilleurs djounoud de l'ALN. Lui-même ancien déserteur de la Légion, il a consacré des années de dévouement et d'intelligence, pour faire déserter des centaines de légionnaires allemands et autrichiens et leur rendre leur liberté et leur dignité d'hommes. Il ne l'a pas fait tout seul. Le Croissant-Rouge algérien était toujours là avec ses structures, ses hommes et ses cadres, pour prendre en charge les légionnaires déserteurs évacués par l'ALN et sous sa protection vigilante, jusqu'à la frontière marocaine. Certains anciens légionnaires ont choisi de rester parmi nous, pour toujours. Ils ont opté pour la nationalité algérienne et sont des citoyens honorables et respectés de leurs collègues, de leurs voisins et de leurs nombreux amis. Les autres sont rentrés chez eux en Allemagne ou en Autriche où ils ont milité activement en faveur de la cessation des hostilités en Algérie et notre indépendance nationale. Ils n'ont pas oublié. En Algérie, aussi, on n'a pas oublié.