Les hommes réprimaient difficilement leur émotion, pourtant visible sur leur visage, tandis que les femmes, elles, laissaient couler des larmes. Le maître de la chanson chaâbie, El Hachemi Guerrouabi, s'est éteint lundi soir à 23h à Zéralda, à la suite des complications provoquées par la crise cardiaque qui l'a terrassé. Admis dimanche dernier à l'unité des soins intensifs, Guerrouabi n'a pu sortir de son coma. L'âme du maître, en toute sagesse, a préféré partir peu avant la naissance du jour. Elle n'a pas attendu les douze coups de minuit. L'heure a sonné, mais non le sinistre glas. Le maître s'en va dans «ce pays inconnu d'où nul voyageur ne revient..». Lugubre, triste et angoissante que l'idée de ce voyage sans retour, mais lorsque le destin frappe à la porte, on ne doit qu'abdiquer et se rendre. Car, au demeurant, la mort n'est qu'une grande porte ouverte sur l'inconnu. Et, qu'est-ce que l'âme d'un artiste si ce n'est cette course effrénée vers cet ailleurs qui est d'autant plus énigmatique que mystérieux? Et Guerrouabi était «un artiste complet», «un homme simple et modeste», «un grand humaniste», témoignent tous les artistes et autres personnalités que nous avons interrogés, hier, à l'occasion de la cérémonie organisée par le ministère de la Culture, au Palais de la culture. La perte d'El Hadj El Hachemi Guerrouabi a laissé tout le monde dans un désarroi total. La tristesse se lisait sur tous les visages, des présents venus rendre les derniers hommages à Guerrouabi. Les hommes réprimaient difficilement leur émotion, pourtant visible sur leur visage tandis que les femmes, elles, laissaient couler des larmes. Dans la grande salle du Palais de la culture où tous les présents attendent l'arrivée de la dépouille mortelle de l'artiste, des chaises sont disposées de sorte à former un carré. On attend tristement. La salle est plongée dans la récitation des versets coraniques diffusés par la sono. La famille du défunt, ses amis ou simplement ceux qui l'aiment, arrivent par petits groupes. Et quand la ministre de la Culture fait son apparition, portant un voile noir et une robe longue, elle se dirige droit vers Boudjemaâ El Ankis, qu'elle resserre à l'étreinte, en pleurant avant de se précipiter dans les bras de l'épouse du défunt. Les deux femmes s'enlacent en sanglotant et chuchotant des petites phrases entrecoupées par des hoquets. Dans le hall du Palais de la culture, toutes les discussions tournent autour du parcours de ce grand artiste dont la renommée a franchi les frontières algériennes. Soudain, on annonça l'arrivée de la dépouille mortelle de Guerrouabi. Les discussions s'arrêtent alors. La foule se précipite dehors. Chacun fait de son mieux pour se frayer un passage et atteindre le fourgon blanc de l'Etablissement des pompes funèbres et des cimetières dans lequel est transporté le corps du défunt. La foule s'entasse sous un soleil de plomb qui redouble de férocité. Le véhicule est pratiquement assailli de tous les côtés. Devant la foule qui continue à s'amasser, le fils de Guerrouabi, Mustapha, s'adresse à elle, presque en criant: «yarhem waldikoum, kheliwna etriq (cédez les passages s'il vous plaît)». Enfin, la foule se dégage, laissant sortir le brancard mortelle couvert de l'emblème national, avant de se ruer tout autour pour le transporter sous les «Allah wa'kbar (Dieu est grand)» lancé a capella par la foule. Tandis que les hommes continuent de scander ladite formule, les femmes poussent des youyous, seule façon d'évacuer et d'extérioriser la peine qui leur serre terriblement la gorge. On entre finalement dans la salle et on dépose le brancard. Là encore, on se rue pour voir, et pour la dernière fois, le vénéré maître du chaâbi. Cette fois-ci, même les hommes pleurent. Qu'est-ce qu'on ressent à cet instant même? Difficile de se maîtriser, devant un spectacle pareil. Un sentiment indescriptible traversa subitement les corps. On a la chair de poule. Certains, par pudeur, prennent leurs lunettes noires, se mettent à l'écart pour...pleurer. En ces moments de tristesse, les larmes d'un homme n'attestent pas d'un manque de virilité, mais cela renforce son humanisme. L'assistance ne cesse de se déplacer autour de la dépouille mortelle. malgré les demandes insistantes des enfants de Guerrouabi. Enfin, les présents, comme un enfant qu'on surprend en pleine bêtise, s'écartent et forment un carré. Au beau milieu, on découvre le brancard mortuaire. L'assistance s'organise alors en rangées, et les présents, un à un, font les ultimes adieux à l'artiste. Lorsque l'heure de la levée du corps du défunt arrive, l'émotion a atteint son comble. L'épouse de Guerrouabi n'a pas résisté. Le courage lui manque pour lancer les derniers adieux à son compagnon. Comment le faire? Quel est ce coeur qui résiste de voir partir à jamais l'être le plus cher? Comment rentrer le soir quand on sait que la maison nous réservera un accueil froid? Difficile de l'admettre. Il suffit de penser à toutes ces questions pour comprendre la détresse de l'épouse de Guerrouabi qui a versé toutes les larmes de ses yeux. Le cortège funèbre quitte le Palais de la culture, en route vers le cimetière d'El Madania, ex-Salembier. La police s'est mobilisée pour dégager la route. Les véhicules venant du sens opposé s'arrêtent, les conducteurs s'inclinent en signe de respect à ce grand artiste qui a bercé toutes les générations. Arrivé devant le cimetière d'El Madania, les éléments de la Protection civile se sont mis des deux cotés pour faciliter l'accès à ceux qui portent la dépouille morttelle. On dépose le brancard à même le sol. Les présents se mettent en quatre rangées pour prier sur l'âme du défunt. La prière est terminée, la foule s'engouffre dans le cimetière. L'artiste entre dans sa dernière demeure...sous les «Allah wa'kbar» scandés par la foule. L'artiste est inhumé. On quitte le cimetière, le coeur empli d'une insoutenable tristesse. Repose en paix, l'artiste.