Scénariste et réalisatrice algérienne, elle est primée en 2012 pour son court métrage «Mollement, samedi matin» qui la fera connaître du grand public. Elle enchaîne juste après avec un premier long métrage fiction, «Les Bienheureux», en compétition officielle à la Mostra de Venise en 2017, qui récompensera son actrice principale, Lyna Khoudri, du Prix d'interprétation féminine dans la section Orrizonti. Un film qui remportera un franc succès dans différents festivals. Ayant acquis une belle maturité dans le milieu du 7eme art, Sofia Djama comptait, en septembre dernier, parmi les membres des jurys de la 79e édition du Festival international du cinéma de Venise, et avant cela, au festival du film du Caire. Profondément attachée et engagée quant à l'avenir du cinéma dz, la réalisatrice évoque, ici avec nous, son prochain film, non, sans faire l'état des lieux du 7eme art en Algérie, tout en proposant des solutions pour le faire sortir de son marasme actuel et le faire rayonner davantage sur le plan international... L'Expression: Vous êtes actuellement en pleins préparatifs de votre second film long métrage qui semble être teinté d'un nouveau genre cinématographique si l'on peut dire. Pourriez-vous nous en parler brièvement et évoquer la thématique qu'il abordera cette fois? Sofia Djama: Oui, cette fois j'ai choisi d'aller vers l'écriture que j'aime le plus, l'absurde, c'est ainsi que j'ai commencé à écrire il y a vingt ans de cela. J'aime le surréalisme, le burlesque, et la comédie. C'est donc une fable étrange avec des gens étranges que vous allez rencontrer où l'humour se mêle aisément à la gravité et la folie douce. C'est une satire dans laquelle on rencontre trois Pieds Nickelés qui passent leur temps à se chamailler, un chien mort qu'on trimballe dans une valise et qui passe de frigo en frigo au grè des déplacements, une tenancière d'un cabaret de spectacle vintage, un journaliste fan de l'Equipe nationale de gymnastes soviétiques des années 60, une jeune femme enceinte, un vieux gynécologue russe dépressif néanmoins drôle, et un élégant colonel mécène et qui aurait aimé être metteur en scène. Après les Bienheureux j'avais besoin de revenir vers une écriture à la tonalité plus drôle, ubuesque même, à travers les aventures que vivent mes personnages, tout en continuant à traiter des sujets qui me sont chers mais cette fois par le biais de l'humour et de la tendresse. Moi même en tant qu'auteure j'avais besoin de légèreté. Voilà pourquoi j'ai écrit Jeudi Moins le Quart qui sera coproduit par ma boite de production algérienne Zoudj Doro Production et qui sera distribué et coproduit par Bac Films qui avait été le distributeur de mon précédent film, donc ce sont des retrouvailles. Vous avez déjà été invitée par deux fois au festival du cinéma en Arabie saoudite. Quelle appréciation donnez-vous sur ce genre d'événement si on peut le comparer à notre environnement cinématographique? Le Red Sea Film Festival est désormais une plateforme incontournable tant sur le financement des films de la région Mena, mais aussi un marché sérieux pour les films déjà produits et/ou en cours de production,c'est également un espace de networking inespéré, en plus d'être un très bel écrin pour l'exposition des films pendant le festival. Le Red Sea c'est une vision à 360° d'abord le développement avec le Red Lodge, un atelier avec accompagnement, ou des aides au développement, à la production et à la post-production. Le Red Sea c'est une rampe de lancement et d'exploitation avec le Souk.... Enfin c'est l'espace que nous attendions, nous réalisateurs nord- africains et du Monde arabe, qui nous offre également une très belle exposition de nos films pendant le festival, en la présence de jurys internationaux et prestigieux, cette année la compétition officielle des longs métrages sera présidée par Oliver Stones. Notre cinéma, d'ailleurs, peine à décoller vraiment. Pourquoi à votre avis? Pour des tas de raisons, dont la première, et c'est la plus importante: l'absence de vision, de là tout découle. Comment construire si on ne se projette pas? On se contente donc de bricoler, de calfeutrer. Le cinéma est une industrie complexe où se mêlent des enjeux sérieux de coproduction internationale, de marché...l'Algérie ne peut pas faire sans cette donne, autrement c'est le repli et l'isolement, la nature profonde de la fabrication de film c'est la coproduction internationale, il y a des accords de coproductions possibles et pour certains qui ont été signés,mais ne sont pas respectés. Nous ne sommes pas que des saltimbanques sympathiques, il y a effectivement dans un premier temps la naissance d'un projet qui émane d'un désir artistique que nous défendons jusqu'au final cut, en revanche la fabrication d'un film et de son exposition sur le marché dans l'industrie sont des enjeux économiques qui obligent à de la stratégie et qui convoquent des métiers comme le marketing, le film devient un produit, même si je rechigne, l'auteure et réalisatrice que je suis et le percevoir ainsi. En tant qu'actrice bien avisée quant à l'évolution de la situation du 7eme art en Algérie, quel regard portez-vous justement, sur la place qu'il y occupe actuellement? Nous cinéastes algériens et spectateurs méritons mieux que ce bricolage qui dure depuis trop longtemps. De plus, on ne peut pas construire si on ne dialogue pas avec ceux qui font le cinéma et qui le font rayonner à l'international. On ne nous fait pas confiance car on considère que nos films peuvent déranger, qu'on est trop libres ou trop insolents, qu'on est critique de la société ou de nos institutions. On dit que cette liberté de ton menace l'idée qu'il se font de l'unité nationale, pourtant, c'est bien cette liberté de ton qui, justement, crée de la cohésion, précisément grâce à des débats que cela provoque, cela montre une société en mouvement et qui réfléchit à un projet, le cinéma et la culture en général a pour mission d'être à l'avant-garde, d'être visionnaire, c'est parfois, je vous l'accorde, dérangeant, mais tellement excitant en même temps. Cette liberté de ton, quand celle-ci est soutenue par notre gouvernement, peut donner un visage positif à l'Algérie sur la scène internationale, car on constatera que notre gouvernement aura soutenu des cinéastes libres de toute censure. En soi c'est grand et c'est beau. Pourquoi ont-ils peur de nous? Je ne sais pas, j'ai l'impression que ce sont des vieux réflexes dont ils ont du mal à se défaire, ils ont sans doute le sentiment qu'ils protègent la société, le pays, ses institutions, mais en fait non, ils la fragilisent par leur paranoïa chronique, et ils s'isolent de plus au lieu de se renforcer et d'être visibles grâce à nos créations et de notre douce insolence. Au lieu de profiter de notre énergie, ils se retrouvent isolés et repliés sur eux-mêmes, ainsi on accuse retard et même malheureusement, de la régression ce qui donne la place à des discours obscurantistes et populistes. On mérite mieux que ça quand même. La vision de certains administrateurs est vraiment obsolète. Je vous assure que s'ils nous écoutaient et qu'ils acceptaient de nous faire confiance on les aiderait à dépoussiérer et à rendre l'Algérie plus visible, une Algérie brillante car il y a des talents dans ce pays et au sein de la diaspora qui ne rêvent que d'une seule chose: porter l'Algérie sur les scènes internationales les plus prestigieuses, être dans l'excellence et l'ouverture sur le monde. Il n'est plus question que je me sente gênée ou envieuse quand je vais dans un festival de cinéma de la région Mena (Le Caire ou Arabie saoudite, Liban, Tunisie ou Maroc...) Je veux être capable de dire que l'Algérie peut autant participer, sinon plus, à l'émergence de la région Mena à l'instar des Saoudiens ou des Cairotes et que les festivals de la région Ména et qui sont dans les mêmes exigences que Cannes, Venise, et créer un marché dynamique qui traite d'égal à égal, aujourd'hui l'Algérie doit en être, c'est urgent et nécessaire... Le Fdatic n'existe plus aujourd'hui, sans aucun alternatif annoncé... Plus nous aurons de guichets, mieux on se portera. Le Fdatic a permis l'émergence d'un certain cinéma, un cinéma d'auteur destiné à un public précis, c'est grâce à des films financés en partie par le Fdatic que nous avons appelé à l'international «la nouvelle vague du cinéma algérien» représentée par toute une nouvelle génération: Hassan Ferhani, Amine Sidi Boumediene, Damien Ounouri, Adila Bendimerad, Yasmine Chouikh, Kamir Aïnouz, et tant d'autres, qui me pardonneront d'avance de ne pas les avoir cités. Ces films ont brillé en festival et sont sortis en salles, ils ont fait la fierté de l'Algérie sur la scène internationale et la presse spécialisée nous a consacrés. Nous avons donc participé à enrichir le patrimoine cinématographique d'auteur algérien. C'est une question de souveraineté car c'est grâce au Fdatic que nous pouvons faire les rééquilibrages en termes de financement avec la France, la Belgique, le Qatar et désormais les Saoudiens, autrement nos films ne pourront pas prétendre à la nationalité algérienne et ils feront par conséquent le patrimoine des Saoudiens, des Qataris, des Français ou des Belges, mais pas des Algériens, c'est aberrant. C'est aussi, une question de lobbying et de notre présence sur le marché international et de faire de l'Algérie un pays qui donne envie, qui compte, qu'on s'y intéresse et chez qui on a envie investir du temps, et surtout de l'argent. Et je vous assure, ce ne sont pas les films à la façon National Geographic qui rassurent et qui donnent envie, au contraire ça dit qu'on a plein de choses à cacher, c'est même très suspect de vouloir montrer que du beau, que du positif. Ce sont de ces enjeux dont nous avons parlés avec M. Missoum en juin dernier afin de préparer l'ordre du jour en vue d'une réunion avec la ministre de la Culture, notre collectif attend toujours la tenue de cette réunion. Il est nécessaire aussi que le ministère des Finances nous écoute et écoute notre inquiétude et mette une enveloppe cohérente qui permette à des films de réalisateurs confirmés comme nous de se faire, mais aussi l'émergence de nouveaux talents, il faut soutenir une politique de développement de projet court et long métrage, des premiers films, des aides à l'écriture, des résidences soutenues par le ministère, des aides à la pos- production, à la distribution, des enveloppes pour accompagner des partenariats entre deux pays, dans cette enveloppe il ne s'agit pas que de la fiction, mais aussi nos camarades réalisateurs de documentaires car le documentaire souffre beaucoup de nos projets de fiction budgétivores. Ma vision est simple, plus j'ai la menace de jeunes talents qui pèse au-dessus de ma tête, plus je dois me battre et être exigeante avec mon travail, pour ce faire il faut absolument soutenir les plus jeunes. Enfin, quelles solutions préconisez-vous pour une meilleure cinématographie algérienne? D'abord une vision. Cette vision doit être soutenue par le gouvernement. Développer une véritable stratégie, ne pas s'exclure du monde, et des collaborations internationales et des experts qui ont fait leurs preuves dans l'industrie internationale (festival, exploitation, production, distributions, presse, publiciste, formation...) Le gouvernement doit défendre la liberté de création, la bienveillance, l'exigence, une vision, la confiance en la diaspora et aux talents nationaux. Ouvrir différents guichets et fonds publics, y compris des ressources au sein des wilayas qui seraient dédiées au cinéma, en plus de ceux existants. Réhabiliter les missions culturelles des mairies, mais de façon exigeante et avec des experts et des professionnels à ces postes. Que les télés jouent leurs rôles en soutenant financièrement le cinéma, c'est à dire avoir des commissions de financement cinéma en interne et avoir l'obligation de financer un certain nombre de films par an, mais aussi les diffuser pour que les droits d'auteurs soient redistribués, les crédits bancaires, et facilitations auprès des impôts...il y a tellement de choses possibles et qui ont fait leur preuve ailleurs qui peuvent être mis en place, il suffit qu'on se mette en travail et qu'on nous écoute. Il faut également penser l'avenir, je parle également des plates-formes, mais nous devons protéger les salles de cinéma et pas que les multiplexes censés porter à l'écran les mainstream, il faut défendre le cinéma d'auteur et sa diffusion dans des salles art et essai qui seraient nos belles vieilles salles qui ne demandent qu'à être restaurées et réhabilitées. Il faut former des acteurs, techniciens, cinéastes, programmateurs, des projectionnistes, des critiques de cinéma, exploitants, distributeurs, opérateurs culturels...il faut aider les cinéclubs, il faut soutenir les médiateurs culturels dans les quartiers. Il y a tellement de choses à faire!