Le regretté pape émérite Benoît XVI a été rappelé à Dieu, la veille de l'année 2023. Le 11 novembre 2006, j'ai eu l'honneur d'être le premier intellectuel musulman à être reçu par lui, au Saint-Siège de la Cité du Vatican à Rome. Il a été sensible au fait que ce soit un Algérien attaché au dialogue, qu'il reçoit en audience, compatriote de deux grandes figures de l'histoire, saint Augustin le grand théologien chrétien et l'éminent émir Abdelkader qui a sauvé des milliers de chrétiens à Damas en 1860. La conjoncture était difficile. Le 12 septembre 2006 dans son discours à l'université de Ratisbonne, le Pape au sujet de l'islam a suscité une controverse en citant un empereur byzantin: «Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines.» Je tenais à lui répondre franchement et contribuer à l'apaisement. Avant cela, j'étais déjà préoccupé par une des décisions du nouveau pape. Il avait, le 11 mars 2006, rattaché le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux à celui du Conseil pour le dialogue des cultures. Le premier avait été institué par le pape Paul VI en 1974 et concernait principalement les relations avec l'islam. Je souhaitais lui demander de les dissocier. C'est ce qu'il fera, avec un haut sens de l'ouverture d'esprit. Le Pape, le visage empreint de bonté, commence par me dire: «Sachez que notre rencontre se veut un signe de mon attachement au dialogue interreligieux et à l'amitié islamo-chrétienne.» C'est ce que j'espérais entendre. C'est un point essentiel qui bat en brèche les propos selon lesquels Benoît XVI accordait plus d'importance à la lutte contre l'athéisme et à la place du christianisme qu'à la coexistence entre les religions du monde. De par cette mémorable rencontre, entre un souverain pontife et un penseur algérien, je lui dis que j'appréciais son attachement au dialogue interreligieux.«J'estime, m'assura-t-il, les croyants musulmans et je ne voulais pas les blesser. Je ne voulais en aucune manière faire miennes les paroles négatives prononcées par l'empereur médiéval et leur contenu polémique n'exprime pas ma conviction.» Il ajouta «Nous avons besoin d'un dialogue authentique entre chrétiens et musulmans afin de surmonter ensemble les tensions et de relever les défis communs dans un esprit d'amitié.» Je répondis: «L'Algérie, et nombre de musulmans du monde entier, la majorité d'entre eux à mon avis, se sont opposés, après vos regrets, à la confrontation. Ils privilégient le débat et recherchent la coexistence amicale. Malgré les apparences, ils adhèrent, comme moi-même, au dialogue de raison qui fonde le respect mutuel. Puissiez-vous rappeler que l'islam représente une haute tradition.» Le Pape m'a prêté son attention. Je lui ai expliqué que mes préoccupations en tant qu'intellectuel musulman attaché comme mon pays au vivre-ensemble et conscient qu'il n'y a pas de paix sans justice, aboutissaient au même constat: il faut discerner, l'islam est mal représenté, à cause de groupuscules de déviants. J'ai précisé que l'Algérie a combattu seule et vaincu l'extrémisme violent. J'avais précisé que ces «musulmans» trahissaient l'islam et donnaient de lui une image négative, ce qui alimentait les préjugés. Ils sont en partie responsables de la confusion au sujet de l'islam. Par les non-musulmans, il est méconnu. Dans un contexte de crise, l'injustifiable sentiment antimusulman s'amplifie, comme si s'était mise en place une stratégie de diversion et de combat contre le troisième rameau monothéiste. C'est funeste pour tous. Ma préoccupation est comment assumer nos responsabilités afin de corriger les préjugés qui nous entourent? Autrement dit, comment faire entendre la voix d'un islam digne de ses plus hautes traditions, d'un islam du juste milieu, ouvert et vigilant, de la hauteur de pensée, comme l'attestent l'histoire et le patrimoine de l'Algérie. L'islam, incompris, est attaqué. Le pape fut touché par le fait que je lui dise: «C'est notre devoir de faire connaître son vrai visage. Le monde désinformé est injuste. Il est vital d'oeuvrer pour rétablir la justice. Dialoguer, c'est refuser la violence. J'ai expliqué que les textes et l'histoire l'attestent, l'islam s'est répandu plus par la bonne parole et la bonne conduite que par la violence. J'ai ajouté, aujourd'hui le monde musulman est pris entre deux dérives internes: celle des faussaires en tradition et celle du mimétisme du matérialisme déshumanisant. Je l'ai rassuré en affirmant que nous acceptons le débat et les critiques, mais pas l'anathème. Il était d'accord que le dialogue islamo-chrétien contribue à la diffusion de la culture de la paix. Les problèmes de notre temps, au vu des ignorances et des manipulations, exigent que l'on se connaisse, sans nier les différences.» Ma rencontre avec l'évêque de Rome et pasteur de l'Eglise catholique, par-delà le fait d'apaiser les esprits et de présenter le vrai visage de l'islam, avait pour but de démontrer d'une part pourquoi tous ceux qui accusent la voie mohamedienne d'être fermée et violente se fourvoient et, d'autre part, de faire acte d'amitié et d'écoute pour le vivre -ensemble digne. Dans ce face-à-face historique, j'ai découvert un savant ouvert, qui a relancé après coup le dialogue interreligieux. Nous sommes loin des préjugés sur le Coran et le Prophète, auxquels nous a habitués, depuis des siècles, l'imaginaire de certains Occidentaux. Le pape Benoît XVI était une personnalité attentive et respectueuse, dont se dégageait une grande dimension intellectuelle. Sa conférence de Ratisbonne n'était pas significative de son orientation. J'avais raison de faire confiance au débat, pour tenter de changer une vision ancienne et déformée à l'égard de l'islam. À la fin de l'entrevue, symboliquement, je lui ai offert une copie de la Lettre de l'émir Abdelkader à l'évêque d'Alger, où il explique que c'est au nom des valeurs de l'islam et des droits humains qu'il a fait son devoir pour sauver les chrétiens menacés. Le souverain pontife ému a répondu que c'est à l'honneur de l'Algérie et de l'humanité.