Il y a eu une première bombe puis une bombe à implosion qui a détruit l'immeuble. Appréhendé par l'ensemble de la communauté internationale, le massacre de trop a eu lieu hier dans le village de Cana. Cette petite localité, dont le seul tort est d'être située au Sud-Liban, est sortie hier de l´anonymat, de la manière la plus horrible. 57 civils dont 37 enfants ont été tués dans le pilonnage israélien, hier avant l'aube, selon un bilan rendu public par le ministre libanais de la Santé. Les familles qui s'étaient réfugiées dans le sous-sol d'un immeuble pour échapper aux bombes israéliennes ont été massacrées par celles-ci. Arrivés sur les lieux, les secouristes ont découvert les cadavres de femmes enlaçant leurs enfants pour les protéger de la mort. Mais ce rempart ultime et dérisoire n'a pas suffi dans l'abri de Cana. Un village déjà martyrisé en 1996, lors d'un bombardement israélien, avait tué une centaine de civils. Les événements, au Proche-Orient, aidant, le nom de ce village n'est pas resté dans les esprits du reste du monde. Même les habitants de Cana ont quelque peu cicatrisé leurs blessures. Mais voilà qu'un autre acte lâche de Tsahal «rafraîchit» les mémoires et prouve, si besoin est, l'acharnement aveugle d'un Etat terroriste qui, sous couvert de chercher des bases de lancement de missiles du Hezbollah, s'autorise toutes les «bavures». Ainsi l'horreur vécue il y a dix ans, n'aura été d'aucun secours pour des dizaines de civils désarmés, dont les cadavres ont été des éléments majeurs pour un décor d'apocalypse. Dans les ruines calcinées du village-martyr, des mères, dans leurs pantalons fleuris, gisaient sur le sol, les yeux épouvantés, serrant jusqu'à les étouffer leurs enfants pour les protéger. De l'immeuble à flanc de colline qui venait d'être achevé, il ne reste qu'un troisième étage qui tient dans un équilibre précaire. Le propriétaire, un planteur de tabac, Abbas Hachem, avait construit une cave sous l'immeuble. Là, s'étaient réfugiés des voisins et une dizaine de handicapés, mentaux et physiques. 63 personnes, dont 34 enfants au total, a affirmé Farhs Attiyah, chargé de l'approvisionnement de l'abri. Morts en sursis «J'ai vu des femmes, en position foetale, collées contre le mur, pensant que la cloison les protègerait, mais c'est le contraire qui s'est produit. Leur choix leur a été fatal, les cloisons se sont effondrées sur elles», raconte, entre deux sanglots, Naïm Rakka, responsable de l'équipe de la Défense civile dépêchée sur les lieux. Témoin direct du bombardement, Naïm affirme que l'immeuble a été ciblé par deux bombes. La seconde était un engin à implosion. «C'est ce qui a provoqué l'effondrement total de la bâtisse», informe-t-il, tout en déblayant les décombres à la recherche de victimes. Naïm aidait des secouristes qui travaillaient à mains nues pour dégager des gravats les corps, recouverts de poussière. Ils sortaient des enfants en pyjamas et les recouvraient d'une couverture avant de les transporter dans une maison. Des scènes insoutenables qui rappellent les pires moments de l'histoire de l'humanité. Sabra et Chatila, le génocide au Congo et même l'Holocauste. Les hommes et les femmes de Cana qui, en pleurs, qui participant au déblaiement des décombres vivent dans leur chair l'un des plus douloureux épisodes de la guerre imposée au Liban. Sous les bruits assourdissants des F16 israéliens, les rescapés du massacre marchent hagards, jetant hier des regards de «morts» sur les petits corps d'enfants qu'on transportait jusqu'aux ambulances. Les sauveteurs soulevaient des matelas pour dégager les victimes. «Il y a eu un premier bombardement à 01h00 du matin (samedi 22h00 GMT). Quelques personnes sont sorties de l'abri et une dizaine de minutes plus tard, un deuxième bombardement l'a réduit en ruines. Il y avait 63 personnes à l'intérieur, des familles Chalhoub et Hachem», raconte Ghazi Aaïdibi, encore sous le choc d'une vision cauchemardesque. «Après le bombardement, il y avait de la poussière partout. Nous ne voyions plus rien. J'ai réussi à sortir avec deux filles de 13 et 9 ans et tout s'est effondré. Plusieurs membres de ma famille sont à l'intérieur, je pense qu'il n'y a plus aucun survivant», dit totalement abattu, Ibrahim Chalhoub, 26 ans qui témoigne de l'atrocité du bombardement: «Le pilonnage était tellement intense que personne ne pouvait bouger. Les secours n'ont commencé que ce matin», ajoute cet homme, l'un des cinq survivants de l'abri. Une horrible attente que celle d'attendre la fin d'un pilonnage. L'on ne sait pas quand ça va finir et si l'on peut survivre à la pluie de bombes. Des moments que les rescapés n'arrivaient pas à décrire. «Nous étions des morts en sursis». Vivre un bombardement est une expérience des plus douloureuses, surtout lorsqu'on sait que les bombes larguées peuvent détruire tout sur leur passage. «Bush compte les morts» Aucune cave, aucun abri ne peut résister à des bombes à implosion. Elles ont été inventées pour tuer. Et la population de Cana en a été victime. La sauvagerie de l'attaque a été telle que l'on avait la nette impression qu'elle a été décidée pour faire un maximum de morts. Le témoignage d'une mère en atteste: «J'ai sorti mon fils et mon mari, cheikh Mohammad Chalhoub, un paraplégique de 35 ans, je l'ai déposé dans un immeuble car je ne pouvais plus le porter. Mais, quand je suis venue pour sortir ma fille restée dans l'abri, il était trop tard, l'immeuble s'était effondré», raconte éplorée Rabab qui n'oubliera jamais cette nuit d'horreur. Elle affirme encore voir le visage de sa fille lorsqu'elle avait porté le corps de son mari sur son dos. Une image qui, dit-elle, la poursuivra toute sa vie. Elle n'aurait jamais pensé, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, qu'elle n'aurait pas le temps de sauver sa petite fille...Et son mari, le père de la martyr était dans un grand état d'abattement. Tsahal n'a pas tué que la fille dans cette famille, elle a fait pire, estime un secouriste qui n'a pu retenir ses larmes à la vue de cette famille, quasiment «décimée». Autour de ce couple, déconnecté de la réalité, des habitants laissaient aller leur colère contre les Américains. «Bush boit son whisky et compte les morts», criait, hystérique, un habitant qui a perdu plusieurs membres de sa famille. D'autres traitaient les Israéliens «d'assassins». Alors que les secours se poursuivaient dans le village, où plusieurs dizaines de maisons étaient détruites, l'aviation israélienne a continué ses bombardements aux abords de Cana. «Je ne veux plus que vous me demandiez des chiffres. C'est bien connu, nous servons de cobayes pour leurs armes, les bombes à implosion, on ne voit plus que ça», dit, excédé, Naïm Rakka. Cana a déjà été le théâtre d'un bombardement israélien sanglant, le 18 avril 1996, lors de l'opération «les Raisins de la colère». 105 civils qui avaient trouvé refuge dans un poste de l'ONU au Liban-Sud avaient été tués et plus de 300 blessés.