Beni-Yenni est un fruit que la nature donne à contempler au visiteur après un certain effort. Beni-Yenni centre et coeur du pays kabyle est sis à environ quarante-cinq kilomètres au sud-est du chef-lieu de wilaya dans un paradis écologique s'étalant sur une superficie de 35km². Constitué d'une succession de collines entrecoupées de sites naturels qui lui donnent un caractère exceptionnel. Beni-Yenni est un fruit que la nature donne à contempler au visiteur après un certain effort! Ici, la phrase descriptive de Feraoun dans Les chemins qui montent prend tout son sens. En effet, les chemins qui y mènent grimpent tous à travers un paysage des plus captivants! Le bijou revisité Les villages, au nombre de sept: Aït-Kahcène, Aït-Larbaâ, Taourit-Mimoun, Taourirt-El-Hadj, Tigzirt, Agouni-Ahmed, Taourirt-Khelf, Taourirt-Issoulas et Tansaout, sont localisés au sommet des collines. Le climat est rigoureux avec des étés secs et chauds et des hivers souvent enneigés. Aït-Lahcène, le village du chanteur Idir, est le village le plus peuplé et où les maisons traditionnelles se déclinent en alternant avec des constructions modernes. Taourirt-Mimoun est le village du grand Mouloud Mammeri, victime du Foen et qui repose du sommeil du juste dans un coin de la colline oubliée après avoir fait la traversée. Taourirt-Mimoun compte l'une des premières écoles de Kabylie ouverte en 1883 et la petite mosquée est remarquable avec ses colonnes de marbre et ses faïences peintes, envoyées d'Alger par le bey Yahia soucieux de se concilier les bonnes grâces des bijoutiers dont certains sont maîtres en fausse monnaie. Il faut dire que les faux sequins ont fait vaciller le Beit el Mel d'Alger! Les Beni-Yenni blottis dans les remparts montagneux du Djurdjura, hérissés de traditions continuent de signer les oeuvres d' art dont l'origine remonte à la nuit des temps. A Aït Larbaâ, le village des bijoutiers par excellence est aussi le lieu le plus élevé avec 900m d'altitude. Ses villages, ses beaux sites et son artisanat ont fait sa renommée légendaire. En évoquant Beni-Yenni, c'est le bijou en argent sa réputation de terre d'asile et d'hospitalité qui vient à l'esprit. A Beni-Yenni on trouve surtout les bijoutiers qui savent manier en experts le corail et les émaux dont ils sertissent les bijoux qui deviennent de véritables oeuvres d'art. Penché sur son établi souvent fait à la manière ancienne et l'on y travaille accroupi ou encore assis, le bijoutier compose, au moyen de fils d'argent entrelacés les motifs les plus variés et les agence sur une plaque d'argent. L'artisan vise, ce faisant, à obtenir les assemblages les plus esthétiques en passant de la forme la plus simple au dessin de la plus sophistiquée des fantaisies. Les nombreuses opérations que nécessite le passage de l'argent brut à l'oeuvre achevée demandent des nerfs d'acier, une acuité visuelle et surtout un certain amour car le travail y est éreintant voire même repoussant. Il s'agit pour le maître d'art de maîtriser la flamme, l'air et l'eau. Le geste bien précis et mille fois répété du sertissage, de l'émaillage et du brassage créé en fin d'opération une unité bien stylistique mais jamais ne reproduisant des oeuvres stéréotypées. La note personnelle de l'artisan, lui-même soumis à un faisceau de traditions émane de chaque bijou et les connaisseurs savent distinguer rien qu'à observer le bijou et déchiffrer la main qui l'a façonné. Les bijoux kabyles sont toujours en argent et sont ornés de filigrane encadrant des émaux de couleurs verte, bleue et jaune au centre desquels sont souvent sertis des cabochons de corail. Le bijou c'est aussi toute une culture du symbole, du mythe et de légende. Les artisans, dans l'époque ancienne, y étaient d'ailleurs considérés tantôt comme des alchimistes tantôt comme de véritables magiciens, craints peut-être et respectés de tous sûrement. La Kabylie est sans doute la région du Maghreb la plus féconde en bijoux. La réputation incontestée des bijoux kabyles est certainement due à la production des orfèvres installés dans les villages de Beni Yenni. L'originalité et le renom des bijoux kabyles viennent avant tout de la présence d'émaux dont la douceur des tons rehausse des sertissures de corail. La beauté, la finesse du travail et aussi l'application à faire toujours mieux ont fait du bijou de Beni-Yenni l'ambassadeur de la beauté, du bon goût et de la culture kabyle. Etalés sur des tissus chatoyants en des étals somptueux, les fibules, les bracelets, les colliers et autres bagues sont une invite à la contemplation. On n'ose guère y toucher car ce serait sans doute amoindrir leur éclat et l'on y passerait des heures à se remplir les yeux de pareil spectacle. Cet artisanat que les dieux ont donné à la Kabylie est potentiellement pourvoyeur d'emplois tant en amont qu'en aval. Cependant, pour parvenir à cet objectif, il faut que les uns et les autres déploient des efforts en ce sens. Lors des ouvertures officielles et en 2004, et récemment encore pour cette septième édition, des promesses ont été faites par le ministre de la PME et de l'Artisanat. Mais les artisans attendent toujours. Un peu d'histoire Les Beni-Yenni, on dit plutôt en kabyle, At-Yanni, figurent dans la liste des tribus des Zouaouas les plus notables décrites par Ibn Khaldoun. C'est l'une des huit tribus formant les deux fédérations d'At-Betroun et d'At-Mengullet. At-Yanni seraient disent certains auteurs, les descendants de Yanni dont l'origine est entourée de mystères. Ancienne tribu parmi les plus anciennes, la souche originelle d'At-Yanni a grossi au fil des temps par l'apport d'éléments allogènes que la région a captivés et dans laquelle ils ont fini par se dissoudre. Il a fallu attendre le marabout Sidi Ali Ouyahia, pour voir les At-Yanni se réunir et former une seule et même tribu. Sidi Ali Ouyahia dit-on est un saint homme descendant de la puissante dynastie des almoravides défaite par les armées d'Ibn Toumert. Il était venu chercher refuge dans ces contrées imprenables du Djurdjura qui lui avaient paru un havre de paix et un ermitage. Vers la fin du 19e siècle, le seul village d'Aït Lahcene comptait, à lui seul, une soixantaine d'ateliers où l'on ne travaille que des armes et des bijoux. Aït Larbaâ renferme, sur une population de 1500 habitants, une trentaine d'ateliers d'armurerie et d'orfèvrerie et Taourirt Mimoun douze à seize ateliers alors que Taourirt El Hadjadj comporte une vingtaine d'échoppes. La population subvenait alors largement à ses besoins et l'artisanat suppléait largement à l'avarice de la terre qui est d'une pauvreté légendaire avec ses coteaux en schiste soumis à l'érosion. A Beni-Yenni, on fabriquait dans les temps anciens aussi bien des bijoux que des armes et de la fausse monnaie. Le commerce de la poudre se portait bien et même d'au-delà les frontières du pays kabyle, on connaissait la région. Lors de la bataille d'Icherriden en 1857, Beni-Yenni avait fourni les chassepots, la poudre et les yatagans qui furent les seules armes des combattants. D'ailleurs, l'armée d'occupation a bien senti que le centre nerveux de la révolte était en fait à At-Yanni et les villages furent incendiés et rasés alors que les hommes de la région ont payé un lourd tribut. Beni-Yenni est aussi un centre choisi par les missionnaires catholiques pour l'implantation d'une école, et la population a alors pris sa revanche en y envoyant très tôt les enfants. Depuis, la région a donné au pays plusieurs instituteurs, des cadres de renom et des écrivains dont l'Algérie s'enorgueillit aujourd'hui à l'image de Mammeri. Beni-Yenni n'est pas seulement une terre maigre et schisteuse car elle a produit des hommes de valeur. Certes, et dans la Kabylie d'aujourd'hui, les choses sont loin d'être simples. Les villages de la région rencontrent des tas de problèmes, notamment avec le chômage et Beni-Yenni n'échappe hélas pas à la règle. L'artisanat est vu ainsi comme le moyen immédiat de sortir de cet engrenage mais encore faut-il mettre beaucoup du sien. L'Etat est ainsi interpellé afin qu'il puisse donner ce coup de pouce nécessaire afin que Beni-Yenni et les autres terres d'artisanat se réveillent ! Aujourd'hui, l'artisanat se meurt! La cherté de l'argent, principale matière première dans l'orfèvrerie émaillée, la rareté du corail et de l'émail, le démantèlement des circuits réguliers d'approvisionnement, font que ces activités valorisantes et civilisationnelles connaissent un inexorable déclin. Mais l'originalité de cette industrieuse commune du Djurdjura, une commune pleine de charme, aux habitants si attachants et si pleins de prévenances pour le visiteur et pétrie de culture et de couleurs, avec des paradoxes au premier tournant et des beautés naturelles, tout cela incite à y faire un tour!