On ne peut pas lire ce livre sans être profondément marqué par les épisodes de vie que l'auteur nous restitue fidèlement avec une plume simple, sincère et très profonde. La vie est cruelle, peut se dire le lecteur en lisant les deux premiers tiers de ce livre. Mais par la suite, le lecteur se ressaisira en découvrant qu'en dépit de la brutalité de la vie de Mohammed Saïd Idiri, ce dernier a réussi à surmonter toutes les épreuves et tous les obstacles qu'il a rencontrés, surtout durant son enfance, son adolescence et la première tranche de sa jeunesse. De Tikobain à Ouaguenoun (wilaya de Tizi Ouzou), à Azra dans la commune d'Iflissen, puis à Tazmalt dans la commune de Tizi Ouzou, le destin de Idiri le conduit jusqu'à Alger, où, sans père ni mère, et encore enfant, il devra affronter la vie tout seul. L'une des scènes les plus douloureuses et les plus bouleversantes de ce livre, parmi tant d'autres bien sûr, est celle où l'auteur décrit le moment où il frappe à la porte de la maison de l'une de ses tantes à Alger. Cette dernière refuse de lui ouvrir la porte arguant que c'est son mari qui le lui avait ordonné. Mohammed Saïd Idiri, encore mineur, se retrouve dans la rue à Alger, en pleine nuit, ne sachant que faire ni où partir. D'épreuves en mésaventures Il finit par passer la nuit dans la cage d'escalier de l'un des immeubles algérois. Les mésaventures de Mohamed Saïd Idiri à Alger ou dans les différents villages où il a été recueilli respectivement par certains proches, sont interminables. On se demande comment un enfant en bas âge peut supporter autant d'épreuves sans capituler ni désespérer. Car à chaque fois que l'auteur raconte un épisode très difficile de sa vie, on se dit que cette fois-ci, il va craquer. Mais Mohammed Saïd Idiri trouve toujours la force et la volonté nécessaire pour se relever et rebondir. Orphelin de père alors qu'il avait à peine ouvert les yeux sur la vie, Idiri vit d'abord avec sa mère dans le village paternel avant que sa mère ne les prenne lui et sa soeur à Azra, le village maternel où il vécut quelque temps. Mais un jour, alors que rien ne présageait qu'un tel événement pouvait se produire, on le sépara de sa mère, lui et sa soeur. Un mystère qui le hantera pendant des années. Alors qu'il est encore enfant, Idiri et sa soeur sont conduits loin d'Azra et de sa mère, vers le village Tazmalt où un oncle les prendra en charge pendant un certain temps, dans des conditions d'indigence absolue. Le petit Mohammed Saïd ne comprend rien à ce qui lui arrive. Il ne fait que se poser des questions sans jamais trouver de réponses. Pourquoi nous ont-ils séparés de notre mère? Pourquoi nous ont-ils envoyés ici? ne cesse de ressasser Mohammed Saïd qui continue de faire face au désert affectif ainsi qu'à la pauvreté et à la misère. Tout est décrit avec le moindre détail et l'auteur, bien que ces événements se soient produits il y a plus de soixante ans, se souvient des plus petits détails. Ce qui rend le récit encore plus attachant. Au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture, on peut deviner que Mohammed Saïd, avec une telle enfance et une adolescence aussi tourmentée ne peut que finir dans la délinquance totale ou bien sombrer dans une dépression inéluctable. Mais, et c'est là tout le message de ce livre poignant et prégnant, Mohammed Saïd ne cède jamais à la fatalité. Quels que soient les supplices qui parsèment son parcours, Idiri fait preuve d'un courage presque surhumain pour les dépasser. L'auteur, tout en se battant pour se nourrir, comprend vite l'importance des études et il ne cesse de déployer des efforts immenses afin de se former dans le domaine des finances. Stage sur stage, formation sur formation, Idiri finit par accéder à une carrière professionnelle des plus brillantes et il parvient même à effectuer des missions et des formations dans les pays occidentaux. Comme quoi, l'environnement hostile, l'entourage malsain, la faim, le vide affectif, tous réunis, ne peuvent ne pas freiner un homme dans la force de caractère se décline au fil des pages de ce livre magnifique. Ce qui retient aussi l'attention dans ce récit, c'est le fait qu'en dépit de tout le mal qu'on lui a fait subir, l'auteur ne semble aucunement tenir rancune, ni être animé par un quelconque désir de vengeance envers aucun de ses persécuteurs aussi bien quand il était enfant, adolescent ou adulte. D'où Mohamed Saïd Idiri tire-t-il toute cette grandeur d'âme? Une générosité et une capacité de pardonner qui nous rappelle systématiquement, celle d'un certain Nelson Mandela. Bien qu'Idiri soit loin d'être aussi célèbre que ce dernier, mais il y a du Mandela et du Gandhi dans sa personnalité. En lisant ce livre, on est étonné de ne pas trouver des expressions empreintes de haine quand il évoque des personnes lui ayant fait du tort alors qu'il était encore mineur! Même quand il raconte l'épisode extrêmement émouvant des retrouvailles avec sa mère après plus de 25 ans sans aucun contact, Idiri se montre d'une générosité phénoménale envers celle qui a été volontairement ou involontairement injuste envers lui. Dans ce livre, Idiri ne fait que raconter. Juste raconter. À aucun moment, il ne se donne pour objectif de régler des comptes. Son plus grand souci, son seul souci en écrivant ce livre, réside dans le fait qu'il veuille transmettre un message: les épreuves de la vie, quelles que soient leur ampleur, ne peuvent pas nous empêcher d'avancer vers des objectifs nobles comme l'instruction, la réussite professionnelle et même familiale. Puisqu'après tout ce qu'il a enduré, Mohammed Saïd Idiri a réussi à fonder une famille harmonieuse où règnent le bonheur, l'affection, l'harmonie et la complicité. Lui qui n'a jamais connu le sens du mot famille durant toute son enfance, lui qui n'a eu ni père ni mère, ni tendresse, ni oreille attentive. Qui a dit qu'on ne peut offrir que ce que l'on a reçu? Dans ce livre à lire et à relire, mais surtout à méditer, Mohammed Saïd Idiri nous prouve le contraire car tout au long de sa vie, il s'est servi des atrocités qu'il a connues afin de purifier son âme et de transformer tout le mal qu'on lui a fait en bonté, en générosité, en humilité et en autant de qualités dont il est pétri. Avancer coûte que coûte «Destin d'un orphelin» doit être lu par toute personne qui vit ou qui a eu une enfance et une vie très difficiles. Il devrait même être conseillé par les enseignants dans les écoles. Car il pourra aider beaucoup de gens à constater que bien qu'il puisse nous échapper par moments, voire durant toute une partie de notre vie, notre destin peut également être façonné par nous-même, à travers nos choix et notre pugnacité. Dans son livre, Mohammed Saïd Idiri nous dit que la vie est une école pour ceux qui veulent apprendre. Pour ces derniers, on peut toujours s'en sortir et rien n'est fatal.