Pour Denis Bauchard, spécialiste du Moyen-Orient et du Maghreb, la situation au Liban «est une crise majeure». En votre qualité d'observateur de la région, comment ressentez-vous les événements au Liban? C'est une crise majeure au Moyen-Orient, une crise dans une région déjà soumise à une forte turbulence. C'est aussi une crise à dimension internationale qui va affecter tout particulièrement Israël et toute la zone. Je dirais qu'elle tombe au mauvais moment pour le Liban qui menait sa reconstruction à plusieurs niveaux. Au plan politique cette reconstruction intégrait le Hezbollah et le Premier ministre libanais avait d'ailleurs l'appui de toute la communauté internationale dans sa démarche. Pourquoi dites-vous qu'Israël sera aussi affecté? Israël connaîtra des conséquences assez graves. Il a tenté d'éradiquer militairement le Hezbollah, mais celui-ci semble avoir des capacités de riposte que l'on n'attendait pas. Ses attaques sur des villes ont touché à la sécurité d'Israël et à son image. Psychologiquement, c'est très négatif pour les Israéliens. N'est-on pas en train de tenir le même discours sur la force de frappe du Hezbollah que sur les fameuses armes de destruction massive de l'Irak? Il semble que le Hezbollah ait réellement un arsenal plus important que l'on croyait. On savait déjà qu'il possède des Katiouchka, mais également des missiles plus ou moins de longue portée. Depuis quelques années, il s'est organisé et mis en place une logistique de terrain. Mais il demeure un mouvement de guérilla et c'est pour cela que l'on se demande si Israël a la bonne méthode d'autant que les dommages collatéraux sont considérables. Il y a eu disproportion entre le fait marquant le début, l'enlèvement de deux militaires israéliens, et la riposte. Malgré cela, le Hezbollah a réussi à instaurer un climat d'insécurité même si les pertes israéliennes ne sont pas importantes comparées à celles subies par les Libanais bien entendu. Les gouvernements arabes semblent absents encore une fois de ce conflit dans le Moyen-Orient Au niveau des opinions, il y a une indignation certaine. On peut cependant comprendre que les Etats réagissent mollement. Ils sont abattus par les problèmes auxquels ils sont confrontés et ils sont, en quelque sorte, résignés devant cette montée de la violence et du chaos. Par ailleurs, le Hezbollah n'inspire aucune confiance dans les Etats arabes, notamment l'Arabie Saoudite car ils craignent que ce mouvement ne soit de plus en plus perçu comme le fer de lance de la résistance chiite. D'autant que l'information circule librement grâce aux chaînes satellitaires et à Internet. Plus Israël tape, si je peux dire, sur le Hezbollah, plus les opinions arabes le soutiennent. Un peu comme cela s'était passé pour Saddam Hussein au moment de l'invasion américaine. Cette crise aura-t-elle, à votre avis, un impact sur la situation en Irak? A mon sens non, aucun. La situation est très confuse et les Américains n'ont aucune autorité sur les protagonistes en Irak. Pour la Palestine, en revanche, les conséquences seront négatives car le centre d'intérêt de la communauté internationale s'est déplacé vers le Liban et les choses auront du mal à évoluer pour les Palestiniens. Il est vrai qu'une menace réelle plane sur le Liban et sur sa souveraineté nationale surtout si les chrétiens se désolidarisaient du Hezbollah. Tout le monde, y compris les USA, parlent de l'urgence d'un cessez-le-feu, mais Israël poursuit ses opérations au Sud-Liban. Est-ce une nouvelle faillite de la diplomatie internationale? Un certain nombre de pays tentent de convaincre les Etats-Unis de changer de politique dans la région. Le cessez-le-feu sera possible quand les Américains comprendront qu'ils ne peuvent plus soutenir Israël dans ses attaques contre les populations. La situation actuelle est grave car l'Administration Bush est beaucoup plus complaisante que celle de Clinton envers Israël. Quand j'évoquais la nécessité pour les USA de changer de politique, je pensais à la nécessité d'un dialogue entre toutes les parties impliquées. Les Américains refusent d'associer Damas et Téhéran dans la recherche d'une solution... Comme vous le savez, ce n'est pas la position de la France. Le ministre français des Affaires étrangères, M.Douste-Blazy, a déclaré à Beyrouth que l'Iran a «un rôle important à jouer dans la stabilisation dans la région». La Syrie et l'Iran doivent être associés au dialogue comme il est nécessaire pour Israël de comprendre qu'il ne peut se débarrasser militairement du Hezbollah. Le problème, si l'on peut dire, doit être réglé politiquement. Justement, il est reproché à Téhéran d'être derrière le Hezbollah considéré par les Américains comme organisation terroriste. C'est une erreur de vouloir disqualifier l'Iran et de vouloir changer le régime de Téhéran. C'est plus facile à dire qu'à faire. C'est tout de même un grand pays, avec un gouvernement, quoi qu'on pense, qui a de profondes assises. Et c'est un pays qui entend être une puissance régionale. Il est vrai que le Hezbollah a certainement sollicité l'accord de Téhéran pour lancer ses missiles sur le nord d'Israël, mais il reste un mouvement national qui se fournit certes, en armes en Iran mais qui n'est pas Al Qaïda. Les déclarations de soutien de Zawahiri l'embarrasse plus qu'autre chose d'ailleurs. Il n'a aucune ambition djaïniste. Il reste que la situation est porteuse de grands dangers pour la région et seul le dialogue peut y remédier. Malheureusement, pour l'instant, les conditions de la stabilité ne sont pas réunies et le Moyen-Orient s'enferme dans la violence et le chaos. Denis Bauchard: chercheur à l'Institut français des (IFRI) relations internationales.