Depuis une semaine, l'arrivée des vacanciers émigrés a redoublé d'intensité. Un important mouvement saisonnier d'émigrés s'effectue, chaque année, dans les villages de kabylie. A l'occasion des grandes vacances d'été, les villageois de la nouvelle et de l'ancienne génération, partis en Europe tenter leur chance, rentrent, le temps d'un mois, au pays, pour revoir leurs familles et leurs villages. Ils sont là, visibles par leur comportement, leurs tenues vestimentaires et surtout l'immatriculation de leurs véhicules. La joie des retrouvailles avec les enfants, parents et épouses, se prolonge jusque tard dans la nuit, faisant des nuits villageoises, les plus longues de l'année. Les premiers émigrés sont arrivés dès le premier juillet. On les appelle les juilletistes. Ils sont moins nombreux que ceux d'août qui ne sont autres que des salariés. Des voitures rutilantes, immatriculées en France, en Allemagne et en Belgique prennent le dessus sur le reste du parc routier des villages de Kabylie. Leur particularité se trouve parfois dans les remorques de voyage qu'ils traînent mais aussi dans leur propreté. Un véhicule d'un émigré reste toujours aussi propre qu'un véhicule neuf mais juste le temps d'une semaine, soit le temps de prendre la poussière locale. Depuis au moins une année, de nouveaux émigrés, les binationaux, reviennent au pays avec leurs épouses françaises, généralement d'origine algérienne. C'est souvent le voyage de récompense pour ces dames qui leur ont permis d'avoir des papiers et des permis de séjour. Depuis une semaine, l'arrivée des vacanciers émigrés a redoublé d'intensité, à la différence des années précédentes ; cette fois, la majorité d'entre eux ont ramené leurs familles, dont certains membres, nés outre-mer, découvrent pour la première fois leur pays d'origine. Ceux que nous avions abordés se disent émerveillés par tant de beauté naturelle qui s'offre à leur regard dès la frontière franchie ; d'au-tres évoquent la facilité et la rapidité d'intégration à la société autochtone grâce à une hospitalité exemplaire et un accueil exceptionnellement chaleureux et convivial pour ceux qui débarquent pour la première fois au bled. Karim qui a près de trente ans, une coupe comme on n'en voit pas encore ici, sort pour la première fois dans la Tadjmaat du village. Tous le scrutent des yeux. Il est beau, bien habillé et surtout visiblement étranger. Pourtant il n'a été absent au village que depuis quatre ans. Mais incontestablement d'autres habitudes se sont installées chez lui. Son épouse avait voulu l'accompagner ce matin-là pour sa première virée dans son village natal. «J'ai refusé car les femmes ne vont pas à Tadjmaat ici», explique-t-il, mais non sans préciser qu'il lui a fallu beaucoup de tact pour la convaincre. «Je lui ai promis de faire le tour du village dans l'après-midi». Karim raconte comment il avait connu sa femme pour en faire une épouse quelques mois après. Il dit avoir eu de la chance car la loi Sarkozy n'était pas encore en application lorsqu'il a contracté le mariage. Karim ajoutera qu'il regrette qu'il n'ait pas pu célébrer son mariage au village comme le veut la tradition. Sa mère lui a fait la remarque. Il pense déjà re-célébrer son mariage pour le plaisir des villageois et de ses parents. Farid, un autre villageois, de retour de France après une absence de 10 ans, est aujourd'hui aux anges. Accompagné de son épouse Karine, il s'apprête à se rendre à Béjaïa à bord d'un véhicule comme on en voit rarement ici. Farid a bien réussi son émigration en Belgique. Ayant un niveau universitaire, il n'avait pas tardé à s'intégrer, aidé en cela, par une charmante épouse pleine d'attentions. Sachant que nous étions en reportage, il nous invite à partager le trajet jusqu'à Béjaïa. Le véhicule a, à peine, démarré que nos amis du jour s'empressent de parler de leurs vacances et de leur pays. Oui, Karine dit que ce pays est le sien aussi. Tous deux ne manqueront pas de souligner que l'image qu'ils se sont faite, à propos de l'Algérie durant la dernière décennie, est tellement différente de la réalité tant sur le plan social que topographique. Fiers de ce qu'ils découvrent à présent, Farid et Karine projettent d'acquérir un appartement au bord de la mer. Depuis le début du mois d'août, chaque jour, les émigrés continuent à affluer vers leurs villes et villages, chargés de bagages, munis de caméscopes, ayant pour but de filmer les instants rares mais aussi la réalité du pays de ceux qui n'ont pas la chance d'y venir. A la différence des années précédentes, leurs propos ne sont plus dominés par les remarques à l'égard des douanes. L'amélioration des moyens d'accueil aux frontières où, semble-t-il, la priorité est accordée aux familles, a fait plaisir. Un autre ancien émigré dit avoir été agréablement surpris en découvrant «une autoroute». Pour beaucoup d'entre eux, chaque pas est une surprise. Ce qui est sûr pour tout le monde, comme dit Karine: «Nous reviendrons chaque été. C'est un merveilleux pays». Parlant de ce qui s'est passé ces dernières années dans leur pays et leur région de Kabylie, ils sont nombreux à dire qu'ils ont suivi cela de près. La vie s'anime dans les villages de Kabylie. Outre les mariages qui se suivent au rythme des jours, cette animation revient en grande partie aux émigrés, qui ont soif de l'air du bled, ne dorment presque plus. Ils disent vouloir profiter de chaque instant.