Sortir un recueil de poésie en Algérie est une vraie gageure, voire un exploit, alors lorsqu'il s'agit d'éditer une anthologie, c'est carrément un miracle! Et pourtant, c'est le cas de la poétesse Samira Negrouche dont l'éditeur Barzakh vient de publier un ensemble de textes choisis de sa carrière, allant de 2001 à 2021. Baptisée «J'Habite en mouvement», cette anthologie est préfacée par le poète, romancier et essayiste tchadien Nimrod. Ce dernier souligne d'emblée que «Samira Negrouche est une poétesse qui regarde résolument au Sud. Elle regarde son coeur battant et sa chair universelle. Avant même qu'on s'avise de son phrasé, le jazzy nous emporte. Ou sont-ce des partitions gnawies? Jazz, arythmie du monde. Ainsi nait l'analogie des parallèles. Alger est l'Abyssinie de Samira Negrouche. Et Tizi-Ouzou, Dakar, Marseille...Elle a beau citer René Char et Pier Paolo Pasolini, Rimbaud reste sa référence essentielle. Un parcours en escales Le poète de Charlevile-Mézières et Samira ont écrit aux mêmes âges, ils partagent aussi l'art d'insuffler le rythme au poème. C'est qu'ils anticipent et leur vie et leur partition par un talent sans frasques ni cabrioles pour offrir des nappes sonores à nos oreilles et des spectres à nos yeux.» Et d'ajouter: «Avec J'habite en mouvement, Samira embrasse son parcours d'escale en escale comme s'il avait été prémédité. C'est bien le cas. Son bel intitulé nous en convainc. De Faiblesse n'est pas de dire (2001), oeuvre de ses dix- neuf ans, à Traces (2021) en passant par Quand l'amandier refleurira (anthologie de poètes algériens contemporains), en dix cercueils de poèmes, Negrouche grave la perfection sur l'iris de nos yeux. Lequel a son propre ouvrage: iridienne (2005).» Nimrod décortique chaque poème, analyse le «personnage» Negrouche évoque sa vie, ses écorchures de vie, des voyages en ritournelles. «L'amour est le miracle qui fait tenir Samira. A contrario Rimbaud s'en était affranchi par l'exil, se payant en sus le luxe d'en écrire le manifeste, lequel fut un échec retentissant» écrit encore Nimrod. C'est à Dakar que commence cette aventure poétique en hommage à Léopold Sédar Senghor à l'occasion de son centenaire par un poème écrit en 2005, publié dans l'ouvrage collectif Département et territoires d'outre-cièl, Editions La Passe du vent, (2006) et repris dans le recueil Le Jazz des oliviers (Editions du Tell, 2010). Samira Negrouche n'omet pas de rendre hommage aussi à Djamel Amrani et Jean Sénac qu'elles qualifient de «pères». Rimbaud est au centre de ses interrogations intimes dans un soliloque existentiel où l'on sent moult interrogations traverser la poétesse citoyenne et femme du monde qu'est Samira Negrouche. L'amour au corps des mots De «Tunis», Tripoli», Le Caire», «Sanaa», «Damas» ou «Rabat», mais aussi «Prague», «Zanzibar» et tant d'autres pays du globe, Alger pourtant n'est pas loin pour Samira Negrouche, pour laquelle elle voue une infinie tendresse. Samira écrit souvent à la première personne, mais ose aussi le «tu» comme dans un échange épistolaire amoureux. Il y a de la grâce qui ruisselle de ses mots, de la mélancolie, mais de la résignation/résilience parfois car pour elle: «Partir c'est escalader son désarroi sur la corde de l'oubli. Partir c'est encore la vie derrière soi». Poésie solaire, mais pas tout à fait, il y a la mer et ses agitations, ses troubles profonds, ces vagues à l'âme, cette marche vers l'inconnu, mais aussi ces pas sûrs et assurés, ses rires joyeux et cet air solitaire....Il y a ce corps qui parle, ce souffle sensuel sur la nuque et enfin ce perpétuel mouvement que connait le poète, oeuvre d'un désordre ordonné ou pas, mais qui finit toujours par accoucher de mots et des textes bien attachants car enveloppés à la fois dans un tissu de passion et de pudeur qui nous relient à chaque fois à l'Autre, à la terre, à la langue et ses douces et folles pérégrinations imaginaires... Médecin de formation, il est bon de rappeler que Samira Negrouche est poétesse, auteure et traductrice. Voix majeure de la poésie algérienne, elle est traduite dans une trentaine de langues. Elle a collaboré avec nombres d'artistes, tels entres autres, le peintre algérien Lamine Sakri et la chanteuse et musicienne grecque Angélique Ionatos. Parmi ses publications: Le jazz des oliviers, Editions du Tell (2010), Six arbres de fortune autour de ma baignoire, Editions Mazette (2017), Traces, Fidel Anthelme X (2021) et Stations, Editions Chèvre-feuille étoilée (2023).