La France est appelée à composer avec une force politique qu'elle voulait voir sortir affaiblie du conflit avec Israël. La guerre du Liban qui a consacré la victoire morale, politique et militaire du Hezbollah, est mal vue par certains régimes arabes qui ont cautionné l'agression israélienne et joué un rôle actif dans la neutralisation de la Ligue arabe durant le conflit. Mais ils ne sont pas les seuls à se sentir mal à l'aise au vu de la nouvelle configuration politique induite par ce conflit inédit. En pensant assister à la réédition du scénario irakien qui a vu la chute brutale de Saddam Hussein et de son régime, les acteurs passifs ou actifs du projet d'agression contre le Sud-Liban devront revoir leurs calculs. De l'intérieur même du Liban, les forces politiques qui ont parié sur une éventuelle désintégration du Hezbollah, ne savent plus comment il va falloir s'adapter à la nouvelle donne politique qui fait de Nasrallah et de son mouvement, l'icône par excellence de la carte politique qui se dessine dans tout le Moyen-Orient. Le mouvement du 14 Mars, plus particulièrement, dirigé par Saad Hariri, le chef de la majorité libanaise issue de la «révolution du Cèdre» ayant fait suite à l'assassinat du leader politique Rafik Hariri, se voit piégé et pris de court par un adversaire politique et idéologique qu'il voulait dompter en l'intégrant dans le jeu politique interne pour en faire un parti «normal» au lendemain du retrait syrien du Liban en application de la résolution 1559 du 24 septembre 2004. Le Hezbollah est représenté par une douzaine de députés au sein du Parlement libanais et dispose de deux portefeuilles ministériels et représente une force politique majeure en s'alliant au mouvement Amel de Nabih Berri. Mais sa force réside dans la structure organisationnelle originelle qui s'appuie sur une aile politique efficace et un bras armé de résistance dépassant en puissance l'armée régulière libanaise. Cette dernière particularité pose aujourd'hui problème à une kyrielle de partenaires politiques à l'intérieur et à l'extérieur du Liban. Elle est même l'une des raisons de cette agression brutale et réplique disproportionnée d'Israël à la capture des deux soldats du Tsahal. Israël ne pouvait s'acclimater au voisinage dérangeant d'une force politico-militaire l'ayant chassé en 2000 de ce Sud-Liban qu'elle voulait contenir pour maîtriser les destinées du Liban. Aussi, le Hezbollah représentait un obstacle majeur, aux yeux des Américains, pour la concrétisation du projet du Grand Moyen-Orient. Le désarmement du Hezbollah était la première étape du complot ourdi dans les officines des stratèges du Pentagone. La participation de certains régimes arabes à la manoeuvre dont le quarteron constitué par l'Egypte, l'Arabie Saoudite, la Jordanie et le Qatar, est aujourd'hui admise. Le silence de la Ligue arabe qui n'a même pas dénoncé l'agression sonne comme la sirène d'alarme d'une maison violée. La victoire du Hezbollah a brouillé toutes les cartes et déjoué tous les complots. Elle est d'abord, comme l'a annoncé, Hassan Nasrallah, stratégique dans la mesure où elle replace son mouvement dans l'échiquier interne comme une force politique sans qui rien ne peut se faire, après avoir montré aux ennemis déclarés, que sont les Américains et Israël, que la résistance ne peut être vaincue militairement. Mieux encore, le Hezbollah est sorti de l'isolement pour asseoir sa vision politique dans le pays et dans la région. La résolution 1701 du Conseil de sécurité consacre le maintien du Hezbollah comme partenaire politique et militaire incontournable. Même si certains acteurs politiques nourrissent encore l'espoir de voir cette résolution épouser les thèses de la fameuse résolution 1559 proclamée par le Conseil de sécurité. Cette résolution, faut-il le rappeler, a été rendue possible suite à la pression exercée conjointement par les forces politiques du 14 Mars et le duo France-USA. L'appel solennel du chef du Hezbollah, à reléguer la question, du désarmement en temps opportun, a fait tomber les masques de certaines figures qui voyaient d'un mauvais oeil le triomphe de la résistance. On ne désarme pas les vainqueurs, pardi! Pour Hassan Nasrallah, personne ne peut contraindre son mouvement à se désarmer. La ministre des Affaires étrangères de l'Etat hébreu, Tzipi Livni, l'a récemment déclaré: «Aucune armée au monde ne peut désarmer le Hezbollah.» La France n'a jamais caché son désir de neutraliser le Hezbollah. L'habileté de sa diplomatie à se mouvoir sur différents axes, au risque de froisser les Américains, n'a, cette fois-ci, pas donné ses fruits. L'objectif de désarmer le mouvement de Hassan Nasrallah n'a pas été réalisé. Ce qui constitue un autre échec après celui des Américains et des Israéliens dans leur tentative de détruire totalement cette résistance. Le forcing opéré par la France pour réaliser le voeu de ses alliés politiques au Liban n'a pas porté. Sa politique trompeuse construite sur le concept de «la France amie des Arabes» a été trahie par ses manoeuvres à disqualifier une force politique dérangeante à l'égard d'Israël et de ses intérêts dans la région. Son revirement, confirmé aujourd'hui par la bouche de son ministre des Affaires étrangères qui a déclaré, hier, que le sort des armes du Hezbollah était du «ressort de l'Etat libanais» est un cadrage logique en rapport avec l'évolution politique dans la région. Il survient comme un prolongement logique à la fracassante déclaration appelant à confirmer le rôle politique important qui doit échoir à l'Iran dans la stabilisation de la région. Une sortie politique qui a désarçonné Israël et les USA. Cette déclaration avait été jugée «ahurissante» par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). La France donne l'impression de perdre le fil conducteur de sa politique favorisant une frange de la société libanaise et de son élite politique. Elle devra, désormais, composer avec un farouche adversaire politique, Hassan Nasrallah. Sera-t-elle suivie sur ce terrain par les USA?