Deux semaines après le début du conflit au Liban, Israël reste sur sa faim. Les objectifs militaires initialement tracés par son gouvernement, sur la base des renseignements livrés par son puissant service d'espionnage, sont revus à la baisse. «Le haut commandement a fait croire au gouvernement que la bataille ne prendrait que quelques jours, soit qu'il ait été mal informé par les renseignements militaires soit qu'il ait mal interprété les informations», a affirmé un spécialiste militaire, Reuven Pedatzur. Et de continuer son analyse: «Cette erreur de conception est le reflet du mépris de l'adversaire et elle a entraîné une impréparation flagrante des unités envoyées au combat». Il est inconcevable, dit-il, qu'il ait fallu cinq jours à deux régiments entiers appuyés par l'artillerie et l'aviation pour surmonter, au prix de lourdes pertes, la résistance d'une centaine de combattants du Hezbollah à Bint Jbeil. La real war commence mal. L'élite de l ‘armée israélienne a subi un cuisant et inattendu échec dans la bataille de Bint Jbeil, une petite localité frontalière libanaise qui se voulait être, aux yeux de Dan Haloutz, le chef d'état-major de l'armée israélienne, la rampe de lancement de l'offensive terrestre israélienne pour mettre sous sa botte le Sud Liban. Erreur de stratégie. Le Hezbollah gagne sa première bataille. Elle est plus morale et cadre bien avec les promesses faites par le chef du Hezbollah au lendemain de l'agression israélienne. Nasrallah avait promis de mener une «guérilla» en cas d'envahissement terrestre et de riposter aux bombardements aériens par des roquettes qui peuvent atteindre le sud comme le nord d'Israël. Le discours du Hezbollah est réaliste à plus d'un titre. Ce qui fait que ses menaces sont prises au sérieux par le gouvernement israélien. Si l'armée israélienne se targue d'avoir détruit l'infrastructure libanaise, faisant au passage plus de 430 victimes civiles et plusieurs milliards de dollars de dégâts, elle portera longtemps le déshonneur de s'être fait battre au corps-à-corps par de valeureux soldats armés de leur foi et courage. Après avoir déclaré son intention de resserrer «l'étau de l'armée israélienne sur Bint Jbeil», bastion du Hezbollah au Liban Sud, voilà que l'on assiste au piège qui se referme sur son corps d'élite. Cherchant à tirer les leçons de leurs échecs, les Israéliens ont décidé de changer de stratégie d'attaque en se contentant de bombarder tout ce qui bouge au Liban. Les camions qui acheminent l'aide humanitaire vers les zones sinistrées sont la nouvelle cible des missiles «intelligents» qui ont déjà visé un poste d'observation des forces onusiennes. Les objectifs de cette guerre sont, de fait, revus à la baisse. La feuille de route du chef des armées israéliennes ne comporte plus les termes «anéantissement», «démembrement» ou «destruction» du Hezbollah. Mais son éloignement des frontières pour se prémunir des tirs de roquettes qui hantent tout Israël. Par contre pour Hassan Nasrallah, le timing est respecté. Il s'agit de passer à la seconde étape de sa stratégie militaire avec des troupes au moral gonflé à bloc. Celle qui fait peur au peuple d'Israël qui soutient son armée à fond (71%): Cibler Tel Aviv et les autres grandes villes du Nord restées jusque-là à l'abri des missiles «aveugles» lancés par les combattants du Hezbollah, les Katiouchas. Elles répondront à l'intensification des bombardements aériens sur le Liban. Hier, avant l'aube, une soixantaine de raids ont visé l'est du Liban. La veille, l'armée avait revu à la hausse les effectifs engagés dans la bataille et s'apprête à mobiliser trois divisions (environ 30.000 hommes). Un signe annonciateur d'un possible élargissement du conflit à d'autres fronts même si Israël adopte, ces derniers jours, un profil rassurant envers Damas. Installée dans la durée, cette guerre fausse les calculs des concepteurs de sa stratégie, dont les Américains, qui ont tablé sur une offensive éclair qui briserait les os de la colonne vertébrale du Hezbollah. Sur le plan politique interne, l'union des rangs est de mise. Le projet de cessez-le-feu proposé par le gouvernement de Siniora, lors de la réunion de Rome a été le résultat d'un solide consensus entre toutes les forces politiques libanaises dont le Hezbollah qui a toujours subordonné la fin de la crise à des négociations qui déboucheraient sur l'arrêt de l'agression et l'échange de prisonniers. Si l'Etat hebreu a réussi à isoler le parti de Hassan Nasrallah de certains régimes arabes (Egypte, Arabie Saoudite, Jordanie), elle a vu sa stratégie de remonter l'opinion publique libanaise contre lui échouer. Les forces politiques nationalistes libanaises ne sont pas contre la résistance au Sud Liban même si le prix à payer a été très élevé. L'idée de résistance a fait du chemin et les Libanais sont déjà grisés par les performances de leurs frères combattants du Hezbollah.