L'Expression:Vous venez d'éditer quatre livres sur l'Emir Abdelkader au moment où une stèle lui a été dédiée à Moscou et une géante statue sera érigée en son honneur à Oran. Une coïncidence selon vous ou s'agit-il de calculs? Mustapha Khiati: Bien sûr, une coïncidence car les livres ont demandé une dizaine d'années de travail, ils sont arrivés à maturité il y a quelques mois et avec les corrections et l'impression cela a demandé du temps donc pure coïncidence. De nombreuses questions sont soulevées dans le premier livre autour du personnage, notamment: l'Emir s'est-il rendu aux militaires français comme l'accréditent certains livres? Y a-t-il eu parjure de la part des dirigeants français? L'Emir a-t-il été otage, captif ou prisonnier de la France etc..? Est-ce à dire que l'Histoire de l'Emir reste encore à écrire? Oui, jusqu'à présent nous avons été abreuvés de lectures coloniales et beaucoup d'informations négatives qui circulent à propos de l'Emir Abdelkader ont été diffusées pour servir de bombes à retardement et créer la confusion. Il est établi que l'Emir ne s'est pas rendu, il a négocié l'arrêt des combats après avoir épuisé ses moyens avec le général Lamoricière et le gouverneur militaire qui n'était autre que le fils du roi de France. Un bateau a été mis à sa disposition, lui et sa famille et ses proches et le fils du roi lui a remis une lettre de recommandation pour le consul de France à Alexandrie.? À l'arrivée, il se retrouve prisonnier à Toulon, c'est un grave parjure et le début d'un cauchemar qui va durer cinq ans. Durant cette période, l'Emir a été d'abord otage de la France avant d'être considéré comme prisonnier. L'histoire de l'Emir Abdelkader est à écrire par des historiens honnêtes sur la base des archives aujourd'hui disponibles après vérification de leur authenticité car il existe beaucoup de documents apocryphes. Dans le deuxième livre vous traitez des relations de l'Emir avec le juifs et les chrétiens «L'Emir Abdelkader et les minorités». Bien avant les Conventions internationales qui protègent le droit des minorités... Formé à l'école traditionnelle algérienne et riche culturellement de traditions séculaires, l'Emir a eu un comportement chevaleresque avec les non-musulmans, notamment les juifs et les chrétiens. Il était particulièrement accueillant avec les hommes de science et les médecins. En pleine guerre, il a reçu de nombreuses personnalités étrangères en faisant preuve d'une grande générosité. Il s'est appuyé parfois sur les réseaux des commerçants juifs pour avoir des renseignements, acheter des armes et des munitions et faciliter ses relations avec Gibraltar et l'Europe. «L'Emir Abdelkader et ses prisonniers» est le troisième des livres parus tout récemment. Le nombre de prisonniers français tombés entre les mains de l'Emir pourrait dépasser les deux mille. C'est un autre épisode mal connu des Algériens. Oui tout à fait. L'Emir est considéré comme le précurseur du droit humanitaire international. Il a publié un édit dès 1834 qui protège les prisonniers militaires, interdisant à ses soldats et à ses sujets d'attenter à leur vie ou même de les malmener. La première convention internationale de Genève n'a été obtenue qu'une trentaine d'années plus tard. Dans ce domaine, l'Emir a écrit des pages d'or qui ne sont pas bien connues et qui font de l'Emir l'une des personnalités les plus éminentes du monde au cours du XIXe siècle. «L'Emir Abdelkader, ses origines, sa famille et ses descendants» est le titre de votre quatrième livre. L'Emir Abdelkader est-il à ce point peu connu? L'Emir reste un grand personnage, mais peu connu. Pourquoi ce livre, c'est surtout pour faire connaître sa descendance car beaucoup de personnes se réclament d'un lien direct avec l'Emir alors qu'il n'en est rien. Parmi ses fils, certains ont suivi les traces de leur père, deux sont venus combattre en Algérie, l'un avec le cheikh des Rahmania en 1871 et l'autre avec les Ouled Sidi cheikh en 1905 et un autre s'est opposé aux Italiens en Libye, il avait parmi ses adjoints un certain Mustapha Ataturk et avait connu Omar El Mokhtar encore jeune guerrier. Dans ses petits-fils et arrière- petits-fils il y a des bons et des mauvais. L'essentiel, est que l'Algérie d'aujourd'hui peut investir dans la diplomatie humanitaire à travers certains de ses descendants étant donné l'aura dont bénéficie l'Emir dans beaucoup de pays. Il n'existe aucune oeuvre cinématographique autour d'un personnage aussi immense. Question simple: pourquoi à votre avis? Le Président a confié un grand projet à Ahmed Rachedi, j'espère que cette oeuvre verra le jour dans les toutes prochaines années. Des tentatives ont été faites dans ce domaine au cours des années précédentes mais faute de motivation et de conviction, elles n'ont pas abouti. Pour mettre sur l'écran l'oeuvre d'un si grand homme, il faut de la compétence, la volonté et les moyens, éléments qui sont aujourd'hui réunis.