L'Expression:Comment appréciez-vous l'évolution du dossier nigérien au regard des développements politiques et les menaces d'intervention militaire dans ce pays? Arslan Chikhaoui:Le dernier acte d'importance qui a concerné ce dossier est manifestement la réunion des chefs d'état-major des Etats de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à Accra. Ils ont établi les détails opérationnels de l'action militaire potentielle visant le rétablissement de l'ordre constitutionnel au Niger. Selon les propos du général Christopher Gwabin Musa, CEM de la défense du Nigeria: «l'armée n'est qu'un outil pour le gouvernement, pour la CEDEAO,.... et que rien ne sera acté avant que la Commission de la CEDEAO ne prenne une décision finale.» Cette déclaration responsabilise exclusivement l'instance dirigeante de l'organisation de l'Afrique de l'Ouest, dont les politiques prennent tout de même le soin de préciser que si le déploiement de la «force en attente» de la CEDEAO a été décidé, elle n'interviendra sur le territoire du Niger qu'en cas d'échec des multiples actions de dialogue, de médiation politique de pacification en cours. Il est clair, à travers cette attitude qui renvoie à une duplicité difficilement assumée que la CEDEAO peine à trouver la bonne formule politico-diplomatique de compromis. Maintenant dans les faits et sur le terrain, il est plus que certain qu'en cas d'action militaire la zone dite des trois frontières implosera avec un effet dévastateur dans la région du Sahel et de l'Afrique du Nord. À travers l'histoire contemporaine, les interventions militaires n'ont fait qu'embourber les pays réceptacles de l'intervention militaire et les pays intervenants. Nous pouvons citer les cas du Cambodge, du Laos, le Vietnam, l'Afghanistan, l'Irak, le Yémen, la Libye et d'autres. Le risque d'un conflit armé n'étant pas évacué, quelles en seraient les incidences sur l'Algérie et au-delà sur toute la région subsaharienne? Il ne faut pas être devin pour affirmer qu'une guerre à nos frontières sud impliquerait une situation pour le moins délicate à gérer. À cela, il suffit de signaler que l'Algérie partage une longue zone frontalière avec le Niger. Cet état de fait l'expose aux impacts d'une crise et conflit de moyenne intensité. Cela dit, l'onde de choc d'une situation de conflit armé au Niger peut impacter, par effet de contagion, l'économie mondiale. À ce propos, il faut savoir que de nombreux observateurs mettent en exergue que la décision de la CEDEAO d'intervenir militairement ne va que compliquer la situation de la vaste région du Sahel qui s'étend de l'Atlantique à la mer Rouge intégrant la bande sahélo-saharienne. Toute cette région est minée par les fléaux multifacettes et interconnectés que sont le terrorisme extrémiste, le narco-trafic, la traite humaine, la migration clandestine et le trafic d'armes. De plus, les approvisionnements en ressources naturelles destinées à l'industrie alternative décarbonée et «mineralivore» risquent d'être compromis et accentuent la crise économique mondiale. L'option diplomatique est défendue par de nombreuses nations. Où en est-on? De notre point de vue, à ce stade il n'y a pas eu de médiation concrète et sérieuse sachant qu'une médiation inclusive de pacification s'inscrit indéniablement dans le temps et l'espace. En terme d'analyse, nous considérons qu'il y a une précipitation de certains pays membres de la CEDEAO qui agit sous pression d'acteurs de puissance non régionaux afin de déployer sa force militaire et créer un nouveau théâtre de guerre en parallèle de celui qui est sur le continent européen. Le jeu d'influence et de concurrence entre les acteurs extra-régionaux de puissance (France, Etats-Unis, Chine et Russie) en raison des richesses en minerais stratégiques du Niger s'affirme clairement au travers de la déclaration finale du Sommet de la CEDEAO et sa mise en oeuvre. Pour l'Algérie qui met tout son poids diplomatique et géostratégique pour favoriser une démarche exclusivement politique, l'intervention militaire étrangère au Niger lui pose un défi majeur, en ce sens qu'Alger craint que l'entrée d'armées étrangères sur le sol nigérien, ouvre le champ à davantage d'instabilité dans la région avec un impact direct sur la sécurité et la stabilité économique de l'Algérie. En effet, l'intervention militaire peut entraîner l'expansion des groupes terroristes dans la région face aux armées étrangères et augmentera le déplacement des populations et par conséquent le flux migratoire clandestin et son corollaire le narcotrafic. Maintenant, le risque d'embrasement au Niger n'empêche pas la voie du dialogue politique inclusif soutenue, présentement, par les Etats-Unis d'Amérique selon la dernière déclaration de son chef de la diplomatie Blinken. Pour Washington le dialogue demeure la solution la plus appropriée car l'option militaire pour rétablir l'ordre constitutionnel au Niger risque l'implosion de toute la région subsaharienne sans perspective à court terme de retour à la stabilité et ralentir tout élan de développement économique régional. Cette question est d'ores et déjà inscrite au sommet des BRICS.