Des militaires ont annoncé hier mettre «fin au régime en place» au Gabon, un coup d'Etat visant le président sortant Ali Bongo, au pouvoir depuis 14 ans et dont la réélection venait d'être annoncée dans la nuit. Ali Bongo a été placé en résidence surveillée «entouré de sa famille et de ses médecins», et l'un de ses fils, Noureddin Bongo Valentin, a été arrêté notamment pour «haute trahison», ont annoncé les militaires putschistes à la télévision d'Etat. Le quartier de sa résidence était très calme hier matin, selon des témoignages. Juste après l'annonce officielle dans la nuit de la victoire de M. Bongo avec 64,27% des voix, un groupe d'une douzaine de militaires est apparu sur les écrans de la chaîne de télévision Gabon 24, abritée au sein même de la présidence.»Nous, forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), au nom du peuple gabonais et garant de la protection des institutions, avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place», a annoncé un de ces militaires, un colonel de l'armée régulière, dans une déclaration également diffusée par la suite sur la chaîne d'Etat Gabon 1ère.»A cet effet, les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés», a-t-il ajouté. Parmi les militaires figuraient des membres de la garde républicaine (GR), unité d'élite et garde prétorienne de la présidence reconnaissable à ses bérets verts, ainsi que des soldats de l'armée régulière et des policiers. Ce coup d'Etat est intervenu en plein couvre-feu et alors que l'Internet était coupé dans tout le pays, deux mesures décrétées par le gouvernement samedi avant la fermeture des bureaux de vote afin de parer selon lui à d'éventuelles «violences». Internet a été rétabli peu après 07H00 GMT. Peu après la lecture de la déclaration des militaires, on a entendu des tirs d'armes automatiques dans plusieurs quartiers de Libreville. Ces tirs, sporadiques, ont rapidement cessé. Les militaires ont estimé que l'organisation des élections n'avait «pas rempli les conditions d'un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonaises et les Gabonais». Ils ont dénoncé «une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos».»Toutes les institutions de la République sont dissoutes, notamment le gouvernement, le Sénat, l'Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle, le Conseil économique, social et environnemental, le Centre gabonais des élections», et les frontières du Gabon resteront «fermées jusqu'à nouvel ordre», ont encore annoncé les auteurs du coup de force. Vers 06H00 GMT, les rues du centre-ville de Libreville étaient désertes. Selon des témoignages, sur le grand boulevard du bord de mer menant au centre-ville, quelques véhicules dont un blindé transportant des troupes ont été aperçus. Dans le quartier populaire Plein Ciel de Libreville, non loin du centre, un témoin a vu une centaine de personnes sur un pont, à pied ou en voiture, crier: «C'est la libération!» ou encore «Bongo dehors!». Au son des klaxons, ils ont salué et applaudi des policiers en tenue anti-émeutes. Selon cette source, des militaires à bord d'un véhicule de transport ont levé les bras en signe de victoire et ont été applaudis par la foule. A Port-Gentil, la capitale économique, sur la place du Château d'eau dans un quartier très populaire et bastion traditionnel de l'opposition, des centaines de personnes sont sorties en voiture en klaxonnant au cri de «Le Gabon est libéré». Certains dansent avec des policiers et des militaires en tenue, a rapporté Ousmane Manga, journaliste indépendant. M. Bongo, 64 ans, a été élu en 2009 après la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui avait dirigé le Gabon pendant plus de 41 ans. L'opposition a régulièrement dénoncé la perpétuation d'une «dynastie Bongo» de plus de 55 ans à ce jour. Ali Bongo briguait un troisième mandat, réduit de 7 à 5 ans, aux élections de samedi qui regroupaient trois scrutins, présidentiel, législatifs et municipaux. Quelques instants avant l'irruption des militaires sur les écrans, les résultats officiels des élections avaient été égrenés en plein milieu de la nuit, à 03H30 (02H30 GMT), sur la télévision d'Etat sans aucune annonce préalable. Selon ces résultats, le principal rival de M. Bongo, Albert Ondo Ossa, n'a recueilli que 30,77% des voix à la présidentielle, et les douze autres candidats n'ont décroché que des miettes. Albert Ondo Ossa avait dénoncé des «fraudes orchestrées par le camp Bongo» deux heures avant la clôture du scrutin, et revendiquait alors la victoire. Lundi, son camp avait exhorté M. Bongo à «organiser, sans effusion de sang, la passation du pouvoir». M. Ondo Ossa, 69 ans, avait été choisi seulement huit jours avant le scrutin par la principale plate-forme des partis de l'opposition, Alternance 2023, au terme d'une âpre lutte entre six prétendants. Les putschistes portent en triomphe le chef de la garde présidentielle Le général Brice Oligui Nguema, chef de la garde républicaine (GR), garde prétorienne du président déchu Ali Bongo Ondimba, a été porté en triomphe mercredi par des centaines de militaires quelques heures après un coup d'Etat, aux cris de «Oligui président», dans des images retransmises par la télévision d'Etat. Cette vidéo passait en boucle à la fin d'un communiqué lu par un colonel entouré d'officiers de la GR, la plus puissante unité de l'armée gabonaise. Ali Bongo appelle ses «amis» à «faire du bruit» Le président du Gabon Ali Bongo Ondimba, en résidence surveillée, appelle «tous» ses «amis» à «faire du bruit», dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. On l'y voit assis dans un fauteuil et manifestement inquiet. «Je suis Ali Bongo Ondimba, président du Gabon», «j'envoie un message à tous nos amis dans le monde entier pour leur dire de faire du bruit» à propos «des gens qui m'ont arrêté, moi et ma famille», dit en anglais Ali Bongo, 64 ans. Les réactions La France suit «avec la plus grande attention» la situation au Gabon où un coup d'Etat a visé hier le régime du président Ali Bongo, a déclaré la Première ministre Elisabeth Borne. Devant les ambassadrices et ambassadeurs de France réunis à Paris, la cheffe du gouvernement a énuméré plusieurs crises récentes à laquelle la diplomatie française a été confrontée, «et désormais la situation au Gabon que nous suivons avec la plus grande attention».»La France condamne le coup d'Etat militaire qui est en cours au Gabon», a annoncé le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran. La Russie «profondément préoccupée» par la situation Le Kremlin a indiqué suivre la situation au Gabon avec une «profonde préoccupation», alors qu'un coup d'Etat militaire y est en cours et que le président Ali Bongo Ondimba a été placé en résidence surveillée.»La situation au Gabon est un sujet de profonde préoccupation» et «nous surveillons de près ce qui s'y passe», a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. La Chine a appelé «les parties concernées» à «garantir la sécurité» du président Ali Bongo, après le coup d'Etat militaire survenu dans ce pays d'Afrique centrale riche en pétrole.»La Chine suit de près l'évolution de la situation au Gabon et appelle les parties concernées à agir dans l'intérêt du peuple gabonais ï...û, au retour immédiat à l'ordre normal, et à garantir la sécurité personnelle d'Ali Bongo», a indiqué devant la presse un porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin. Union africaine Le président de la Commission de l'UA «condamne fermement la tentative de coup d'Etat», dénonçant «une violation flagrante» des principes de l'organisation continentale. Il «appelle l'armée nationale et les forces de sécurité à s'en tenir strictement à leur vocation républicaine, à garantir l'intégrité physique du président de la République (Ali Bongo Ondimba), des membres de sa famille, ainsi que de ceux de son gouvernement». Commonwealth La situation au Gabon est «profondément préoccupante».