La fracture entre chiites et sunnites n'empêche pas la cohabitation entre les deux tendances, même si les premiers se distinguent à chaque fois des seconds, aussi bien à l'occasion des fêtes nationales que des rites religieux. L'agression israélienne contre le Liban occupe le devant de la scène et anime les débats publics de part et d'autre des frontières syro-libanaises. L'«exploit» du Hezbollah s'est imposé de fait comme premier sujet d'actualité. Tous deux sur la ligne de mire de la machine de guerre israélienne, le Liban et la Syrie sont «unis» à jamais. Les milliers de déplacés libanais reçus lors des bombardements par les familles syriennes, confirment les liens solides de fraternité entre les deux peuples, même si entre les deux gouvernements, la situation est tout autre. Depuis l'assassinat du Premier ministre libanais, Rafic Hariri, les relations entre Beyrouth et Damas se sont dégradées. La campagne menée par les Etats-Unis impliquant la Syrie dans cet assassinat, suivie du retrait de l'armée syrienne du territoire libanais, annonçaient, en fait, le premier acte du scénario tendant à mettre à exécution le projet du Grand Moyen-Orient dans la région. Située en Asie occidentale, la Syrie est présentée par les archéologues comme l'une des premières civilisations de l'Antiquité. Elle n´existe sous le nom actuel que depuis quelques années. Auparavant, elle se nommait «Bilad Al-Cham», chez les habitants de la région. Un nom qui, d'ailleurs, continue à être usité par les Syriens. Pour l'histoire, Balad Al Oussoud, pluriel de Assad (pays des Lions) a été occupé successivement par les Cananéens, les Hébreux , les Araméens, les Assyriens, les Babyloniens, les Persans, les Grecs, les Arméniens, les Romains, les Nabatéens, les Byzantins, les Arabes, et, en partie, par les Croisés et enfin par les Turcs de l´Empire ottoman. Elle n´existe sous le nom actuel que depuis quelques années seulement. La capitale, appelée, elle aussi, «Al Cham», n'est qu'à une soixantaine de kilomètres de la frontière libanaise. Une zone sensible, devenue, depuis quelque temps, l'une des zones les plus surveillées de la région. Ici, on se méfie même des journalistes et des touristes Le groupe de journalistes algériens accompagnant la délégation de l'Ugta, a été passée au peigne fin par la police des frontières syriennes, aussi bien à l'aller qu'au retour du Liban. «On ne sait jamais, un espion du Mossad pourrait s'infiltrer à tout moment» lance notre chauffeur. Ce qui expliquerait peut-être, la vigilance de la police des frontières, qui ne laisse rien au hasard. Nous prenons congé de nos hôtes en direction de Damas. Tout au long du chemin, des discussions les plus chaudes sont engagées entre les syndicalistes arabes, à propos de la position du gouvernement syrien par rapport à l'agression israélienne contre le Liban. «Comment reproche-t-on à la Syrie et à l'Iran de soutenir la résistance libanaise, alors qu'on feint d'ignorer l'appui officiel des Etats-Unis et des pays de l'Union européenne à l'Etat hébreu?» s'interroge Hacène Djemam, président de la Confédération internationale des syndicats arabes. A quelques encablures de Damas apparaissent des portraits du président vénézuélien Hugo Chavez, celui qui a fait «ce que certains pays arabes n'ont pas osé faire», à savoir, le rappel de son ambassadeur à Tel-Aviv. Avec ses senteurs orientales, la ville des Omeyyades a gardé son cachet d'antan. Le visiteur est vite envoûté par l'architecture, les couleurs et les odeurs émanant des halouadjis (fabricants de confiseries orientales). La nuit, les habitants de Damas ne dorment pas. La résistance farouche opposée par les combattants du Hezbollah à l'armée israélienne, a laissé libre court aux commentaires les plus élogieux. Une occasion pour les chiites, aussi bien libanais que syriens, d'exhumer une polémique vieille de plusieurs siècles. C'est la problématique de la succession au Prophète(Qsssl). Cette tendance dure de l'Islam considère, en effet, depuis des lustres, qu'une injustice a été commise à l'encontre de Ali Ibn Abi Taleb, qui, selon eux, devait être le successeur (Khalifa) du prophète. Certains sont même allés plus loin à travers des fetwas frisant le blasphème. «L'ange Gabriel s'est trompé de destinataire, en se chargeant de transmettre le Coran», affirme un chiite iranien rencontré au mausolée de Saïda Zineb. Pour d'autres, la victoire du Hezbollah était prévue dans le Coran, au même titre que le nom de son secrétaire général, Nasrallah (Sourat Ennasr). Par ailleurs, certains étaient allés jusqu´à comparer Nasrallah à Salaheddine Al Ayoubi et à Gamal Abdel Nasser. Plus grave, alors que nous étions en conversation avec un groupe de militants du Hezbollah, l'un d'eux a lâché une phrase pour le moins surprenante en évoquant le nom du chef du Hezbollah. Il dira: Nasrallah «Seïd Al Alamaïn» le maître des deux mondes. «Mais Dieu est le maître du monde» rétorquons-nous. Notre interlocuteur se sentant acculé, a préféré mettre un terme à la discussion.