La particularité des rencontres cinématographiques de Béjaïa ces dernières années réside dans la pertinence du choix des thèmes traités autour des films, en ce sens où ces derniers qui se suivent ont toujours un sujet ou un dénominateur commun. C'est le cas avec le court métrage ««Tassaloul» (Hors jeu) de Imene Salah (26 mn) et le documentaire «Au cimetière de la pellicule» (93 mn) de Soulyemane Diallo. Tout deux abordent le sujet de la sauvegarde des salles de cinéma et de la nécessite de projeter des images et protéger ainsi la mémoire d'un pays. Aussi, de regarder un film dans un espace de partage «collectif» et non pas sur une tablette surtout lorsqu'il s'agit d'histoire ou de cinéma. Si dans le premier film Imene Salah nous plonge dans l'obscurité houleuse d'un public suivant un match de foot dans une salle de cinéma centenaire, bien qu'elle diffuse aussi des films, l'auteur guinéen nous permet de comprendre l'intérêt de l'éducation à l'image pour saisir enfin le cheminement d'un pays et comment réagit-il, en fonction de ses systèmes politiques qui le gouvernent à chaque fois. Ce film pertinent, à plus d'un titre, l'est aussi de par sa forme qui utilise la mise en abime ou comment le réalisateur se filme en train d'enquêter pour retrouver un film perdu et dont l'ancien responsable de commission de censure lui propose carrément d'aller en France dans l'espoir de le retrouver, affirmant que «nous n'avons pas la culture des archives». Aussi, dans les deux films il est question aussi de retaper une salle de cinéma après avoir été brûlée et de tenter de sauver les pellicules qui restent. Au-delà de la question viscérale de l'importance du cinéma dans la ville, le film d'Imene Salah est plein de fraîcheur car nous renvoyant vers l'image authentique du jeune Algérien. De l'importance de préserver nos archives filmiques «Tassaloul» nous permet ainsi de faire connaissance avec une certaine frange de la société souvent marginalisée, celle que l'on retrouve souvent dans les stades, mais qui, pourtant, a bien accepté et toléré la présence de cette jeune femme parmi eux dans cette salle de cinéma bien animée qui respire la joie de vivre, le cinéma n'est -il pas aussi cet élan rassembleur qui permet d'adoucir les moeurs et nous faire tout oublier l'espace d'une projection d'une oeuvre? Dans un autre registre sociopolitique, deux films partageant un peu le même versant thématique ont été projetés en soirée à la cinémathèque de Béjaïa. Il s'agit de «Déboussolé» ou «mbaher» de Youcef Mansour et Ashkal du tunisien Youssef Chebbi. Apres «Babylon» co-réalisé avec Alaeddine Slim et projeté déjà aux RCB, Youssef Chebbi signe seul cette fois un très beau film long métrage de fiction projeté dimanche soir à Béjaïa. Si le premier film aborde le Hirak algérien sous l'angle du débat contradictoire entre deux protagonistes, campés par Slimane Bounouari et Ali Namous, le second film s'inspire carrément de la révolution du Jasmin pour réaliser un film où se mêle le fantastique au réalisme social tel que vécu par la société tunisienne actuelle qui continue à ployer sous le poids de la corruption et de la force obscure de la police souvent omniprésente. Un spectre pas tout à fait fantomatique, mais qui forme le décor de la Tunisie. Ce dernier est représenté par un paysage urbain chaotique ou en cours de construction dans le f Un environnement particulier, étrange constitue, en effet, un personnage à part entière dans le film. Achkal (le multiple de chakl ou forme) nous dévoile, en effet, une intrigue policière sur une série de corps immolés de façon inexpliquée. De la forme poétique au politique Un homme qui prend feu tout seul semble être l'élément déclancheur de cette suite d'hécatombe bizarroïde. Il est désigné comme le coupable manipulateur qui pousse plusieurs personnes à se donner la mort par le feu et ce, au milieu du dernier étage d'un immeuble inachevé qui prend l'allure d'un temple sacré dans lequel l'architecture avoisinante crie famine au sein de ce vide sidéral. Un film «atmosphérique» qui suit deux personnages flics, un homme et une femme qui essayent de résoudre cette énigme... Pourquoi tout le monde est poussé comme un aimant vers cette lueur rouge qu'est le feu pour se jeter enfin dans la braise et finir par se consumer? Quelque chose d'obsessionnel sur lequel le réalisateur met l'accent d'autant que la séquence se répète à plusieurs reprises. Si l'on n'arrive pas vraiment à déceler le message métaphorique ou subliminal qui se dégage de ce film, l'on ne peut que souligner le trait esthétiquement beau de sa forme qui vient illuminer ce point noir de l'inconnu...Ou comment le politique se range derrière la force cinématographique quand le récit narratif se fait déroutant, sans pour autant gâcher la beauté intradiégétique du film et ses relents vaporeux qui viennent se détacher du réel abstrait pour faire naître une oeuvre majestueuse qui parle aux yeux et à l'intelligence du spectateur. Mention spéciale d'ailleurs pour la bande son du film et le compositeur de la musique qui a réussi à juxtaposer ces images fictionnelles avec la qualité de la technicité sonore. Un film éblouissant en somme! Outre ces projections, il y a lieu de souligner la tenue d'un forum à Bordj Moussa qui s'est tenu en matinée et qui a regroupé les trois réalisateurs des courts métrages projetés courant la soirée d'ouverture de la 18ème édition des RCB en plus de la production avec Amina Castaing. De cette table ronde, plusieurs sujets ont été abordés qui ont fini par aboutir à un état des lieux de la situation cinématographique en Algérie et des conditions de fabrication d'un film. D'aucuns souligneront la notion importante de «territorialité» de son film, dont le choix subjectif de son idée vient d'abord d'une envie égoïste de parler d'un sujet qui le touche d'abord avant d'aller vers l'universel. De la sensibilité, mais aussi de la sincérité ont émaillé le discours de chacun des réalisateurs qui ont tenu à défendre leurs films et leur point de vue surtout sur le cinéma qu'ils aiment faire.