En effet, les Rencontres cinématographiques de Béjaïia ont repris de plus belle cette année, pour célébrer le cinéma mondial, le cinéma intimiste et intelligent à la fois. Une édition très particulière d'ailleurs, car coïncidant avec la célébration des 20 ans de l'association Project'heurts. Pour marquer le coup, l'association a fait décorer sa cinémathèque de la plus belle manière qu'il soit, d'abord en rendant hommage à ses invités, à travers des photos souvenirs et des coupures de presse qui sont exposées tout au long des escaliers et du balcon qui surplombe la cinémathèque. Placée aussi sous le thème «Le cinéma et la ville», les 18emes Rencontres cinématographiques de Béjaïa ont tenu aussi à faire partager leur amour du cinéma et leur anniversaire avec toute la population de Béjaïa en organisant en parallèle une projection dans l'espace public de la place du 1er Novembre 1954, disposant ainsi des chaises tout au long de cette place qui grouille toujours de monde. Une place animée qui n'a pas pris une ride et s'est vue à nouveau remplie par les têtes familières de l'association, véritable fourmilière de bénévoles qui travaillent par amour du cinéma depuis des années. «Afin de bien accueillir notre public, nous avons pensé avec tous les jeunes de l'association de dérouler le tapis rouge pour vous, vous notre cher public, la star des rencontres cinématographiques de Béjaïa» dira Hakim Abdelfettah, co-directeur artistique des RCB, membre du comité de sélection des films aux côtés de Nabil Djedouani et Malika Lafer. Le cinéma pour tous «Cette idée de créer cette association et les RCB est née en 2003. Ce rêve a pris 20 ans. Il est devenu un rendez-vous incontournable. Si cela s'est réalisé, c'est grâce à vous. Par vous, j'entends les bénévoles, qui travaillent gratuitement pour exécuter cet événement, le public, parce que, sans vous, on ne serait pas là et bien sûr, nos partenaires qui nous soutiennent et nous accompagnent chaque année..» dira Keraouche Ahcene, directeur des RCBéjaia. Et d'ajouter à propos des 20 ans de l'association: «On aurait pu dire 20 ans de cinéma ou bien 20 ans de culture, mais on a choisi 20 ans d'émotion parce que pour nous, on vous offre des émotions, pas que du cinéma et pas que de la culture, des émotions et des images, du son, des échanges, bien sûr parfois tendres et parfois durs». Evoquant le nombre de films reçus, Hakim Abdelfettah rappellera que les RCB ont reçu cette année plus de 387 films, à l'issue desquels 33 ont été sélectionnés, dont cinq longs métrages, 18 courts métrages, 15 documentaires. Cette année, nous avons reçu beaucoup de courts métrages nationaux, entre des réalisateurs qui vivent en Algérie et ceux qui vivent à l'étranger, de quoi organiser un festival du court métrage, y compris pour les documetaires. Il y a beaucoup d'avant-premières mondiales. On remercie les réalisateurs pour la confiance qu'ils nous ont accordés, en délaissant des festivals de classe A pour faire passer leur films à Béjaïa.» Il rendra hommage aussi à l'ancien directeur des RCB à savoir Abdenour Houchiche, tout en citant aussi les différents directeurs artistiques qui ont traversés ces dernières années les RCB, notamment Samir Ardjoum... «les temps changent mais un seul objectif reste, il s'agit de promouvoir le cinéma en Algérie et particulièrement dans notre ville Bougie pour faire éclairer l'Algérie inchallah.» Promouvoir le 7eme art dans la ville Expliquant le thème des RCB de cette année, à savoir le cinéma dans la ville, il citera les sujets qui de certains films qui sont en rapport avec ce thème en posant les questions suivantes: «Qu'est-ce que le cinéma apporte à la ville et qu'est-ce qu'une ville peut apporter pour le cinéma?» et de souligner: «Béjaïia est devenue une destination privilégiée pour les professionnels, pour preuve trois films ont été tournés à Béjaïa dont «Rentrons» qui va faire son avant- première mondiale ici à Béjaïa». Aussi, devant une salle archi- comble les projections ont eu lieu samedi dernier en présence des réalisateurs des films qui ont fait la cérémonie d'ouverture. Ces trois films ont,en effet, tous été tournés à Béjaïa et ont comme trame une jeunesse tourmentée dans une ville qui semble parfois être plus grande pour eux, déroutante ou trop petite pour leurs rêves....le premier à être projeté est «La maison brûle, autant se réchauffer»(42 mn) de Mouloud Aït Liotna. Un film qui, rappelons -le à été présenté cette année au festival de Cannes. D'emblée la ville est omniprésente, elle est là à travers ses montagnes, son vide sidéral qui fait écho aux illusions perdues mais aussi aux questionnements de certains jeunes et puis cette immensité des paysages qui surplombent ces âmes en peine. Le film se veut d'emblée contemplatif. Le directeur photo a dû bien s'eclater en filmant chaque séquence, prenant le temps de bien nous faire traduire ces plans larges, des petites choses qui entourent le chaos de cette ville faussement sereine où le déracinement et surtout l'errement intérieur dont souffrent certains de ce village kabyle... Un film qui par le biais d'un dialogue qui fait l'économie du «pathos» nous en dit long paradoxalement sur les questions existentialistes que se posent certaines personnes en Algérie, notamment sur la responsabilité de chacun de faire changer le cours de son histoire entre la foi en soi et celle de la force divine arguant qu'ici sur terre, ce sont les hommes qui jugent plutôt que le Bon Dieu. Des hommes parlent assis derrière une voiture, une famille discute autour d'une meïda..l'immobilisme semble être constant, jusqu'à la scène finale, où l'on discerne un homme seul marchant dans un sentier battu, on ne sait vers où. Un parcours long qui semble interminable, une sorte de métaphore de ce long parcours semé d'embuches auquel ont peut s'en extraire, si l'on voulait vraiment... Jeunesse et tiraillement Mais a-t-on toujours le choix? Le film s'ouvre aussi par l' image de cet homme qui s'électrocute sur un poteau et meurt, dans un village ou l'électricité et même l'eau viennent à manquer. Deux éléments essentiels de la vie ordinaire, une qui permet d'éclairer notre chemin et l'autre pour faire ses ablutions ou encore se purifier l'âme et le corps...Qu'en est -il alors des autres besoins? Le film permet avec subtilité de mettre en scène la mélancolie des vivants avec des tableaux saisissants presque comme dans une toile de peinture morte, témoignant de cette mort lente qui prévaut dans cet hameau perdu quelque part, entre ciel et terre, malgré l'envie de survivre malgré tout. Un film poignant, malgré la lenteur de ses plans, qui se situent entre le cinéma d'un Hassan Ferhani ou encore Tariq Teguia. Deux belles références cinématographiques algériennes non négligeables qui savent comment nous plonger dans la géographie intérieure de chaque personnage, avec patience et parcimonie. Bref, de l'émotion à l'état brut. Autre film où la langue amazighe est aussi présente et le film «Boussa» comédie légère qui met en dérision le thème de l'amour, de façon loufoque, en évoquant le rapport de ce couple qui n'arrive pas à trouver un endroit intime pour s'embrasser. Le film qui raconte les choses avec parodie avec comme arrière fond un décor bien réel celui de la frustration d'une jeunesse qui n'arrive pas à s'aimer en Algérie et qui étouffe sous le poids des traditions et les non- dits. Un film qui dénonce avec ironie un tabou social bien notable mais qui le fait de façon somme toute bien dérisoire où le grotesque prend parfois le dessus sur un scénario qui ne pèse pas lourd, si ce n'est le bon jeu des acteurs qui permet de rehausser le film grâce à leur talent et leur jeu quasi naïf et débonnaire à la fois. ce qui rend la comédie encore plus féroce au-delà du regard des personnages fort imprégné de dési... Audacieux malgré tout! Encore un sujet qui aborde le mal-être d'une jeunesse qui n'arrive pas à accéder au bonheur des petites choses simples de la vie. Liberté de partir ou de rester Dans le troisième film de la soirée, à savoir «Rentrons» (24mn) de Nasser Bessaleh, le film met en scène deux jeunes émigrés, un garçon et une fille qui vivotent en Algérie, dans la région de Kabylie. L'un veut rester et espère bâtir un projet, alors que la fille décide de rentrer en France. Un film qui aborde le sujet du tiraillement de cette jeunesse française d'origine algérienne qui ne sait pas tout à fait si elle doit rentrer «au bled» comme ils disent par amour du pays ou si elle veut continuer à suivre sa vie en France. Un film intéressant certes, si ce n'est le traitement qui parait un peu brouillon. Les personnages sont un peu flou, sans épaisseur. Nous ne savons rien sur eux, ni pourquoi sont-ils là. On assiste juste à leur débat contradictoire, comme si le réalisateur se parlait déjà à lui -même et nous renvoyait en plein figure ses propres doutes et questionnements. Ce dernier vit en France et avoue que cette notion de «tiraillement» est vécue par beaucoup de jeunes en France.Il est bon à signaler que lors du débat, Malika Lafer a eu l'intelligence d'esprit de rappeler que les RCB ont constitué et continuent à constituer une bonne école de formation au 7eme art, ayant permis ainsi à de nombreuses personnes de se former en fréquentant les RCB durant ces dernières années, que ce soit grâce aux ateliers de formation à l'écriture de scénario ou encore en se frottant aux débats année après année et en développant leur imaginaire et en acquérant plein d'outils autour de la création et la fabrication d'un film. Il est bon de noter enfin que la 18éme édition des RCB qui se sont ouvertes samedi dernier se poursuit jusqu'au 28 septembre. Une bonne programmation attend les cinéphiles. A ne pas rater donc!