Le film a été présenté en séance spéciale au festival de Cannes en 2021 et a été très bien accueilli par la critique, remportant de nombreux prix. Ce dernier est «Le marin des montagnes». Film documentaire du cinéaste algéro-brésilien Karim Aïinouz. Il a déjà 53 ans lorsqu'il se décide à se lancer dans un voyage initiatique en Algérie pour reconstituer le puzzle de ses racines, lui né d'un père algérien et d'une mère brésilienne, conçu au Etats-Unis où ses parents se sont rencontrés pour faire leurs études et puis grandi au Brésil, lorsque son père ingénieur décide de rentrer en Algérie, au lendemains de l'indépendance. Un drôle de destin qui mènera cet enfant, Karim à grandir au Brésil, au côté de sa mère biochimiste, amoureuse des algues...À sa mort, le cinéaste décide ainsi d'aller lui rendre hommage paradoxalement sur la terre de son père, à la recherche hypothétique de sa famille. Karim Ainouze décide de prendre le bateau à partir de Marseille direction l'Algérie. C'est son tout premier voyage en Algérie, l'excitation est à son comble. Ainsi, comme un journal de bord qu'il destine à sa mère, Karim en voix off se raconte et nous prend avec lui dans ses valises. Il a cette générosité, comme l'indique la traduction en arabe de son prénom, de nous prendre avec lui. Nous voila à bord de ce bateau, accompagnant cet homme vers la terre natale de son père. Nous sommes en janvier 2019, soit à peine un mois avant l'avenèment du Hirak qui viendra bouleverser le cours du temps et de la situation politique en Algérie...Karim Aïnouz, parle à sa mère Iracema... De la folie du montage à la lettre à la mère Fébrile, il nous fait part de ce mot: «calenture». Il s'agit d'un délire fiévreux qui pousse souvent les marins des zones tropicales à se jeter à la mer. Karim Aïnouz est pressé d'aller en Algérie, il a cette boule au ventre qui accompagne sa voix off lorsqu'il s'adresse à sa mère dans une lettre au relent mélancolique. Karim Aïinouz filme l'intérieur rudimentaire du bateau, juxtapose souvent des photos en souvenir des archives photographiques de ses parents, jeunes mais aussi celles de son enfance et de sa mère au Brésil.... Des vieilles photos qui vont agrémenter le récit entre passé et présent tout en le saupoudrant d'autres images figées du temps actuel... La photo a, en effet, un rôle capital dans la construction narratif du film qui se veut plutôt une expérience visuelle hautement plastique! À mi-chemin entre un Terrence Malik pour le côté mystique et originel et un Jean-Luc Godard pour le travail appuyé sur le langage cinématographique, Karim Aïinouche signe en effet une oeuvre majeure dans la nébuleuse du 7ème art universel qui se veut profondément humain, introspectif des plus émouvanst! Débarquant à Alger, le voila qu'il fixe des badaux, discutant parfois avec certains d'entre eux. Puis, vient le voyage en Kabylie. Notons qu'il est aidé tout au long de ses péripéties par le réalisateur algérien Mourad Hamla qui lui sert, notamment comme guide et puis comme traducteur en Kabylie. Arrivé ainsi dans les montagnes de ses ancêtres, Karim Aïnouz fait la connaissance incongru d'un homme qui porte le même nom et prénom que lui et est né la même année que lui aussi. Il arrive enfin dans la maison de son grand oncle, fait la connaissance de ses cousins, développe une histoire autour du mythe avec une jeune fille de sa famille tout en filmant avec tendresse les femmes et hommes de ce village, perché entre ciel et terre. Le film de Karim Aïnouz est traversé d'une somme d'images de souvenirs. Sa colorimétrie est subdivisée souvent entre le rouge et le vert....Serait -ce les pendants symboliques du drapeau algérien? A ses racines viennent s y coller en tout cas, au niveau de ce montage millimétré au scalpel l'héritage de la lutte pour l'indépendance contre la domination coloniale française, à travers des images d'archives en noir et blanc. Un aspect visuel transcendantal Un son en particulier viendra se fondre dans les images de liesse du jour de l'indépendance, les cris des manifestants durant le Hirak. Lors du débat, Karim Ainouz dira avoir été soulagé de savoir que son grand-père ait été du «bon côté de l'histoire et non pas un harki». La guerre d'Algérie fait partie de son héritage mémoriel, et ainsi le discours anticolonialiste de Frantz Fanon, tel cité dans le film...Tout se recoupe au final. L'on comprend ou du moins, on croit deviner d'où vient l'amitié qui unit Karim Aïnouz à Elaine Mokhtefi, cette grande militante et autrice algérienne née à New York en 1928. Militante antiraciste et anticoloniale de la première heure, en 1969, elle est chargée de l'organisation du premier Festival panafricain d'Alger. Elle s'occupe de l'accueil de membres de mouvements de Libération nationale africains (Mozambique, Angola, Afrique du Sud) et de la section internationale des Blacks Panthers. Elle organisera notamment? l'exil clandestin d'Edridge Cleaver en Algérie après qu'il a fui les Etats-Unis, par Cuba. Elle rencontre de nombreuses figures révolutionnaires, anticoloniales et antiracistes, telle qu'Eldrige Cleaver, Fidel Castro, Houari Boumédiene, Ahmed Ben Bella, Ho Chi Minh ou encore... Frantz Fanon. Elaine Mokhtefi a fait le voyage depuis lesEEtats- Unis pour venir assister à la projection du film documentaire «Le marin des montagnes» de Karim Aïinouz. Elle a même proposé aux gens des RCB (Les Rencontres cinématographiques de Bejaia où le film a été projeté avant-hier, à la cinémathèque de Béjaïa) de se prendre en charge elle-même. Chose que ces derniers ont refusé bien sûr, cette dernière étant une invitée de marque, l'on ne peut ainsi que lui dérouler le tapis rouge! Aussi Karim Aïinouz réussira t-il à faire sa c,atharsis grâce à son film et se réconcilier ainsi avec son passé? En retournant en Kabylie, il reconnaîtra toutefois qu'il a bien fait de grandir au Brésil, tout en se demandant dans quelles conditions sa mère aurait vécu si elle était venue vivre en Algérie. Très beau film, «Le marin des montagnes» nous a bien galvanisés qu'émus à travers cette histoire si touchante et personnelle. L'on ne peut que remercier le réalisateur de nous avoir fait confiance en nous révélant cette bonne partie de lui-même, comptant les spectateurs algériens comme membre de sa famille tout comme ces gens croisés en Kabylie.... Notons d'ailleurs cette façon qu'il avait à filmer ces personnes en surlignant sur le cadrage comme s'il voulait ne faire qu'un au final avec ces hommes de Kabylie. Ou comment la petite histoire vient se nourrir de la grande histoire. Un film bouleversant et intime qui a réussi à nous transporter très loin, jusqu'au fin fond du Brésil, au coeur de notre humanité, au-delà des monts de Kabylie. Et c'est cela la véritable magie du cinéma!