Dans un essai autobiographique en forme de road-movie le réalisateur brésilien part à la découverte du pays de son père kabyle. Poignant et poétique, d'une profonde tristesse et d'une beauté infinie «Le Marin des montagnes» dépasse la simple quête identitaire attendue. Ce précieux documentaire de Karim Aïnouz rappelle au passage qu'un bon cinéaste peut faire du très grand cinéma, rien qu'avec une petite caméra numérique. Pourquoi à chaque fois que l'Algérie est vue par d'autres cinéaste du monde, chez nous in et out, localement et dans les diasporas, l'émotion l'emporte toujours sur la raison. Pourquoi le coeur bat plus vite, pourquoi le ventre se noue jusqu'aux cris, pourquoi les yeux deviennent nuages et la gorge impasse ? Que le film soit bon, mauvais, ou entre les deux, peu importe, la passion l'emporte presque toujours sur l'analyse. La faute à peu de représentations de nous mêmes par nous mêmes expliquent les intellectuels qui se sont penchés sur la question. Peut-être. Plutôt que sans doute, car la question mérite d'être creusée comme on dit. Renversant de beauté et de générosité de bout en bout, tragique et douloureux en même temps, le film de Karim Aïnouz a ceci de particulièrement magnifique, il impose d'emblée sa subjectivité. Il s'agit moins d'un film sur l'Algérie que l'histoire d'un brésilien qui vient en Algérie, un journal intime plutôt qu'un documentaire. Tout le monde saisit la nuance, aussi bien ceux qui sont dans le film que ceux qui le regardent. «Le Marin de la Montagne» est une fiction qui se passe dans le réel. On ne le dit pas pour faire style, c'est juste exactement ça. Le titre suggère un mirage en pleine mer. L'expression «O marinheiro das montanhas» désigne le délire dont peuvent être victimes les matelots, qui voient subitement les vagues de l'océan transformées en prairies Karim Aïnouz est né en 1966 à Fortaleza, au Brésil, d'une mère brésilienne et d'un père algérien qu'il n'a jamais connu. A la mort de sa mère il décide d'aller faire le voyage qu'elle n'a pas oser faire, aller en Kabylie sur les traces de cet amoureux qui lui a fait un enfant et qui n'est jamais revenu. Ce voyage par procuration est accompagné d'une longue lettre adressée à la mère défunte et lue par l'auteur, son fils. D'une troublante transposition/ fiction à l'autre : une fois arrivé dans le village de son père- où miracle il rencontre d'autres Karim Aïnouz , Karim Aïnouz le brésilien, tout en s'adressant à sa mère, imagine ce qui aurait pu être sa vie s'il avait vécu avec son père en Kabylie. Quel Karim Aïnouz serait-il aujourd'hui ? DES RACINES En faisant l'inventaire affectif de sa vie, Karim Aïnouz fait aussi l'inventaire de l'Algérie qu'il découvre. Choses vues, montrées sans commentaire : les petits détails qui en disent long, les visages qui racontent des histoires, les objets qui résument l'époque, les archives qui rappellent le passé récent. Le film est une histoire familiale mais sans règlements de comptes fort heureusement. Avec des polaroids exceptionnels, Karim Aïnouz raconte l'histoire d'amour et la séparation de ses parents quelques mois avec sa naissance. Une love-story en Amérique, entre la Brésilienne Iracema et de l'Algérien Madjid avec ses jours heureux dont il reste une boîte de diapositives. Mais pour construire la jeune nation algérienne, Madjid décide de rentrer au pays et ne reviendra plus jamais. Karim Aïnouz a donc grandi sans son père - aujourd'hui âgé de 80 ans - qu'il ne rencontrera qu'à l'âge de 18 ans à Paris. Iracema, sa mère, ne s'est jamais remariée. En se rendant pour la première fois en Algérie en 2019, Karim Aïnouz savait qu'il allait tourner un film. Il pensait l'intituler Algerian by Accident. Le Marin de la Montagne, c'est mieux, ça fait saudade mode Maatoub Lounès. Lequel Maatoub figure entre Audrey Hepburn, Bronsky Beat, et d'autres splendides musiques brésiliennes, dans l'excellente B.O du non moins excellent film de Karim Aïnouz). Nous le tenons notre premier grand choc cannois, ça se fête. Demain relâche et playa.