Toutes les donnes sécuritaires tendent à faire du Maroc le «ventre mou» du Maghreb. Après l'arrestation de 26 personnes de nationalité marocaine, interpellées dans le cadre d'une opération antidjihadistes au Maroc, les premiers éléments de l'enquête ont révélé l'existence de liens de soutien financier et logistique avec le Gspc algérien, le groupe islamique combattant marocain, ainsi qu'avec d'autres personnes connues pour leur lien avec des milieux jihadistes comme Mohamed Guarbouzi. Selon le porte-parole du gouvernement, Nabil Benabdallah, les personnes interpellées seront présentées à la justice conformément aux dispositions de la loi antiterroriste. Depuis le début de l'année 2007, la presse marocaine parle d'enlèvements d'islamistes à Tétouan, mais le ministre a démenti tout ce qui avait été dit en annonçant ces arrestations. Cette affaire intervient après l'arrestation, le mois de décembre dernier à Sebta, d'une dizaine de Marocains de nationalité espagnole en liaison avec le Groupe islamique combattant marocain (Gicm), dont un ex-détenu de Guantanamo. La découverte d'un kamikaze marocain qui s'est fait exploser en Irak et l'arrestation d'une dizaine de Marocains en Egypte et en Syrie ont permis de remonter la filière de recrutement jihadiste. Les spécialistes du dossier sécuritaire marocains estiment que cette opération a été menée de concert entre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien, qui a désormais le leadership sur toutes les organisations djihadistes du Maghreb, grâce notamment à sa collusion avec Al Qaîda, et le Groupe islamique combattant marocain. Ils précisent aussi pour réconforter leurs concitoyens que le risque d'une contamination est de l'ordre de 10% dans l'état actuel du maillage sécuritaire et que le risque d'un retour au cycle des attentats est dérisoire, arguant du fait que les Moussaoui, Moutassadeq, Bahaji, El Guerbouzi, Houssaïni, El Azizi, les Benyaïch, les Mansour, les Berraj, et tous les Marocains de la filière milanaise, belge ou hollandaise, sont tous issus de l'émigration. En deux mots, les leaders du djihad sont dans leur quasi-majorité hors du Maroc. Les jeunes Marocains qui ont réellement rejoint la «résistance» irakienne pour servir de bombes humaines à Baghdad, Baqouba ou Faloudja, n'étaient pas pour la plupart encadrés, ni intégrés dans des structures islamistes. De plus, les experts sécuritaires marocains affirment que leur chiffre est insignifiant comparé aux Marocains djihadistes qui opèrent hors du Royaume. «Ils ne sont probablement pas plus d'une vingtaine», précise une source sécuritaire marocaine. Une estimation que soutient Mohammed Darif, professeur de sciences politiques à l'université de Mohammedia et connaisseur des réseaux islamistes radicaux au Maroc. «La grande majorité de la centaine de Marocains arrêtés par l'armée américaine en Irak a été recrutée en Europe, en Turquie, en Syrie ou même en Iran, mais ils sont finalement très peu à venir directement du Maroc», affirme-t-il. Cependant, des rapports confidentiels de la DST font état d'un risque réel et craignent une déflagration islamiste dans le Royaume chérifien, ou un «retour de flammes», notamment après les arrestations opérées chez les candidats au djihad irakien. Les menaces proférées par Ayman al-Zawahiri contre le Royaume tiennent toujours le pays sous la menace d'attentats islamistes, et les nouvelles connexions opérées entre le Gspc et le Gicm ou la Salafiyya djihadiyya se sont bel et bien faites sur la base d'actions à mener. Le départ de jeunes Marocains en Irak n'était qu'un palliatif, un entraînement à des attaques intérieures à venir, assurent les officiers de la DST, qui, de ce fait, ont redoublé la cote d'alerte. Les services du renseignement américains considèrent la ville de Tétouan comme l'une des bases du recrutement de kamikazes marocains pour l'Irak. Notamment le quartier de «Jamae Mezouak», à la périphérie de la ville, dont étaient originaires les cinq Marocains soupçonnés d'avoir participé aux attentats du 11 mars 2004 à Madrid, et qui se sont suicidés trois semaines plus tard dans leur appartement de Leganes cerné par la police espagnole. «L'ancien bidonville de ´´Jamaâ Mezouak´´ s'étend sur un peu plus d'un kilomètre à flanc de colline et s'achève au bord d'un oued en contrebas. Des immeubles en dur bordent la rue principale composée de petites échoppes. Les rues adjacentes ressemblent à un terrain vague sur lequel auraient poussé des habitations au gré de l'exode rural, et dans lesquelles vit une population extrêmement modeste» décrivait récemment un journaliste du Figaro. C'est dans pareils cadres, de Tétouan comme d'autres villes du Royaume, que se développe le djihad au Maroc, comme dans les autres pays maghrébins, qui, aujourd'hui, tous, sans exception, sont à la merci de menaces terroristes au nom de l'Islam. Cette opération contre le groupe marocain est à replacer dans un contexte marqué par l'expansion du jihad dans toute la région. Il y a un peu plus d'un mois, l'arrestation, à Meftah, près d'Alger, de deux terroristes tunisiens appartenant à un groupe djihadiste, et qui s'apprêtaient à rejoindre les maquis du Gspc, avait donné matière à réflexion. Les deux terroristes venaient de Libye où ils étaient en contact avec d'autres organisations terroristes comme le Groupe islamique combattant libyen. Sur le moment, et après l'énorme émotion générée par l'exécution de Saddam Hussein à Baghdad, on estimait que ces réseaux activaient uniquement pour recruter des candidats au djihad en Irak. Par la suite, on a dû reconnaître que la toile d'araignée opérait de nouvelles expansions et que cette connexion entre les groupes armés marocains, comme la Salafiyya djihadiyya ou le Gicm, et le Gspc algérien, qui se pose comme la branche armée d'Al Qaîda dans la région, renseignait sur les nouvelles mutations du terrorisme dans le Maghreb. Deux semaines seulement après l'arrestation des deux terroristes tunisiens, des accrochages ont opposé, aux environs de Tunis, les forces de sécurité à un groupe armé qualifié de «salafiste terroriste», dont six membres se sont infiltrés à travers les frontières terrestres algériennes, selon le ministre tunisien de l'Intérieur, Rafik Haj Kacem. Les accrochages qui avaient débuté le 23 décembre et qui ont pris fin le 3 janvier, se sont soldés par 12 morts et 15 arrestations du côté des «salafistes», tandis que les forces de sécurité ont compté deux morts et trois blessés. Par le biais de cette double fusillade, connue depuis lors sous le nom de l'«affaire de Grombalia», la Tunisie venait d'adhérer au Club très ouvert des pays de la région maghrébo-sahélienne touchés par la «fièvre du djihad». Alors que les Etats-Unis avaient misé sur un maillage sécuritaire puissant dans la région du Sahel pour endiguer toutes les sources du terrorisme qui déborderaient sur le Maghreb, voilà que la violence couve déjà dans le Nord, en plein dans les centres névralgiques des villes. Avec le Gspc en Algérie, le Gsc en Libye, le Gicm au Maroc et cette nébuleuse aux contours encore très peu connus en Tunisie, la carte du terrorisme dans le Maghreb se déroule chaque jour un peu plus. Le djihad fait florès, certes, dans le Maghreb, mais avec une orientation plus appuyée maintenant pour l'activité commune et transnationale.