C'est kaki le Gouwâl qui l'a dit dans El Guerrâb oua eç-Çâlihîne, bien avant Le petit bonhomme à lunettes. Le premier titre est une pièce de théâtre; le second, une nouvelle du même auteur. Dans l'une comme dans l'autre, le Kaki, qui a osé défier à la fois les difficultés inhérentes au théâtre tout court des lendemains d'indépendance et les obstacles semés insidieusement par les nouveaux potentats du théâtre, ou trop libertaires ou trop laudateurs, tout comme son «petit bonhomme à lunettes» de sa nouvelle, n'a pu «s'empêcher de partir en voyage en empruntant le moyen le plus sûr, où il ne risque pas d'accident. Le voyage rêvé pour lui se passe dans le monde de ses rêves.» L'essai, intitulé Kaki, le dramaturge de l'essentiel que viennent de publier, ensemble, Abderrahmane Mostefa (cinéaste, photographe et journaliste) et Mansour Benchehida (professeur, chercheur et journaliste de radio), raconte un authentique personnage de théâtre que Abdelkader Ould Abderrahmane a été parmi ses personnages. Il s'en est choisi un nom «Kaki», diminutif tiré de son prénom Abdelkader, ainsi qu'il se fait de coutume à "Mosta" (Mostaganem!) et dans nos régions. Gardant de son nom patronymique le seul «Abderrahmane», il est, désormais, pour le théâtre et pour son public Abderrahmane Kaki. Mostefa et Benchehida se proposent de retracer avec soin, non pas une biographie générale de Kaki, chose pourtant habituelle pour un intérêt porté à un auteur, mais une vie d'artiste dans l'action, c'est-à-dire «décrire ses errements, ses incartades plutôt que de cerner un itinéraire dans le moule d'une vision philosophique ou d'une école». Les coauteurs essaient d'exposer comment cette figure du théâtre algérien, l'une des plus grandes, à nos jours, a pu assumer des responsabilités immenses à une époque où le théâtre national n'avait pas encore définitivement précisé ses ambitions, ses objectifs, ses programmes. Auteur, metteur en scène, administrateur de théâtre et directeur de troupe, Kaki s'est obligé à être tout cela à la fois pour mener à bien, contre vents et marées provoqués par la bureaucratie et les forces rétrogrades, ses grands projets de théâtre populaire au sens noble du terme. C'est pourquoi, fort de ses nombreuses expériences dans le milieu familial et scolaire, auprès de grands chanteurs locaux, dans le scoutisme, dans l'activité théâtrale précoce, dans les rencontres avec des hommes de culture et de théâtre, il n'a cessé de s'éduquer, de s'instruire et de se former tout en suivant des stages et d'apprendre toujours davantage au contact d'oeuvres universelles, celles de Plaute, de Carlo Gozzi, d'Eugène Ionesco, de Samuel Beckett. Il s'est enrichi des travaux de Stanislavski, Greg, Meyerhold, Grotowski, Piscator, Brecht. Il va puiser dans les ressources de la forme traditionnelle - l'oralité, le(s) jeu(x) de scène, la halqa, le meddah, le décor, la lumière, la musique, le rythme,...-pour fonder un théâtre total qui dise les siens dans toute leur vérité ancestrale, présente et à venir. Ses oeuvres (théâtre, poésie, nouvelle, conférences, déclarations) témoignent de sa passion pour l'instauration de la chanson de geste et de sa vitalité à s'y conformer. L'ouvrage que lui consacrent Mostefa et Benchehida comprend une préface de son frère Ould Abderrahmane Mazouz, une introduction, une présentation de Kaki, un exposé sur six pièces de son théâtre, quatre nouvelles, un poème (La Révolution), une liste des oeuvres de Kaki et une postface de Jean-Pierre Vincent, metteur en scène, en guise d'hommage à Kaki. Mais Kaki, mal remis d'un accident encouru en 1969, s'est éteint le 14 février 1995 à Oran. Restent, au profit du théâtre algérien, ses oeuvres et les distinctions qu'il a reçues à Sfax (1966), à Tunis (1987), au Caire (1989)