L'attaque frontale du président américain contre des Etats souverains, accusés de terrorisme ou de soutien au terrorisme, remet en question la notion de lutte antiterroriste et de sécurité. Il est à tout le moins puérile en ce début du troisième millénaire, à l'ère de la technologie spatiale, que de faire appel à des notions aussi éculées qu'arbitraires du «bien» et du «mal». En effet, la croisade que le président Bush prétend mener contre les Etats «voyous» pose maintes interrogations dont la moindre est de savoir sur quels critères se base le chef de l'Etat américain pour porter un jugement de valeur sur tel ou tel pays. N'est-ce pas pour le moins exorbitant que de s'octroyer le droit de catégoriser de la sorte des pays dont le tort essentiel semble bien de ne point partager les normes et valeurs américaines, comme de n'être pas au mieux avec la superpuissance mondiale. En vérité, le terrorisme, et sa conséquence première, la sécurité internationale, constituent un problème universel qui interpelle l'ensemble de la communauté internationale et ne saurait se limiter aux seules prérogatives de tel ou tel pays, super Etat soit-il. C'est également un problème trop grave pour être réduit à des sautes d'humeurs, fussent-elles le fait de la superpuissance actuelle. Il eut été mieux venu, de la part des Etats-Unis, de faire leur mea culpa et de dire leur responsabilité, quelque part, dans l'avènement du terrorisme international, qui met aujourd'hui en danger la sécurité du monde dans son ensemble. Ne sont-ils pas à l'origine de l'émergence de l'extrémisme islamiste qu'ils ont formé, armé et guidé tout au long de ces années de guerre civile en Afghanistan? Tant qu'ils n'ont pas été directement inquiétés, les Etats-Unis n'ont pas voulu prendre au sérieux ceux qui mettaient en garde contre la nuisance des groupes terroristes. Il fallut donc les attaques antiaméricaines contre New York et Washington pour que les Etats-Unis admettent, enfin, comme fait patent, la nocivité de groupes dont, longtemps, ils furent de ceux qui feignaient de croire qu'ils défendaient une juste cause. Cependant, autant, hier, les USA avaient minimisé la dangerosité du terrorisme, autant, aujourd'hui, prenant à contre-pied la communauté internationale, ils sur-dimensionnent ce risque en lui donnant une portée planétaire inusitée, plaçant la puissance du terrorisme en équivalence avec celle des Etats. Alors même que le problème est ailleurs et découle précisément de l'absence de coordination entre les Etats dans la lutte contre le terrorisme. Il ne saurait y avoir un terrorisme «soft» et un terrorisme virulent. Le terrorisme est un tout et menace de la même manière personnes et Etats. Son éradication ne peut être que le fait d'une coordination et d'une coopération internationales. Or, les Etats-Unis font peu cas de cette indispensable concertation. Ce que, de fait, l'Europe reproche aux Etats-Unis qui prennent, selon l'UE, des décisions inappropriées, sans consultation avec ses partenaires internationaux, marginalisant en outre des organisations comme l'ONU ou l'OTAN dans la lutte contre le terrorisme. Ce qui fait que l'Europe diverge totalement sur l'appréciation des «Etats voyous» telle que mise en avant par le président Bush. En tout état de cause, avertit l'Union européenne, une attaque contre l'Irak, qui semble aujourd'hui dans le collimateur américain, ne saurait se faire sans mandat de l'ONU. Ce qui n'est pas l'avis du secrétaire adjoint américain à la Défense Paul Wolfowitz qui affirme: «Nous avons été attaqués, nous n'avons besoin d'aucune résolution des Nations unies pour cette affaire d'autodéfense», et soulignant: «C'est certainement l'une des principales différences entre Américains et Européens.» Les ministres russe et allemand de la Défense, Sergueï Ivanov et Rudolf Scharping avaient écarté tout soutien européen à «une extension à l'Irak, sous mandat de l'ONU» de ce que Washington présente «comme une guerre antiterroriste» depuis les attentats du 11 septembre. Le terrorisme est donc aujourd'hui un fait de société, suffisamment grave pour que la communauté internationale le prenne en charge et cherche les voies et moyens à même de l'éliminer. Mais cela suppose une véritable concertation internationale, qu'aucun Etat ne saurait faire cavalier seul ou privilégier ses intérêts au détriment des droits des autres pays et peuples. Cela d'autant que le terrorisme n'est pas le fait de tel ou tel pays ou groupes de pays, mais de collectifs, extrémistes, dont les menées extrémistes ont longtemps servi les intérêts, notamment, américains. Aussi bien, ce ne sont ni l'Irak ni l'Iran et encore moins la Corée du Nord qui peuvent être accusés d'être les foyers du terrorisme international, tel qu'il se manifeste aujourd'hui, quand la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Etats-Unis, eux-mêmes, hébergent, ou ont hébergé, des terroristes notoires recherchés par leurs pays respectifs.. Aussi bien, la sécurité communautaire et la lutte contre le fléau du terrorisme ne sauraient se mesurer à la sécurité, ou être l'apanage d'un seul Etat, et la guerre en Afghanistan l'a assez bien montré. Ainsi les Etats-Unis qui n'ont eu recours à l'ONU que pour la forme dans les affaires du Golfe et du Kosovo, estiment n'avoir nul besoin de résolution et de mandat de l'ONU pour attaquer des Etats souverains au risque d'ouvrir un engrenage mortel pour la sécurité du monde. Au moment où, insensiblement, le ton monte entre Téhéran et Washington, de Moscou, le vice-président irakien, Taha Yassine Ramadan, met en garde les Etats-Unis en indiquant: «Après le 11 septembre les Etats-Unis ont renforcé la politique qui a causé les attentats de New York et Washington», avertissant: «Leur politique est devenue encore plus sale. Si cela continue, quelque chose de beaucoup plus grave que le 11 septembre va se passer.» A l'évidence, aucun pays ne peut aujourd'hui juguler seul le danger du terrorisme international et quoi qu'en dise Washington il n'y a pas d'alternative à l'ONU, à moins d'ouvrir un désordre mondial qui serait encore plus dangereux et préoccupant que le terrorisme. Car la sécurité du monde ne saurait faire l'économie d'une coopération internationale laquelle ne peut se faire valoir que sous l'égide de l'ONU.